Mardi 12 mars 1918

De Une correspondance familiale

Lettre collective dactylographiée d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) ; exemplaire à son fils Louis Froissart (mobilisé)

Original de la lettre collective 1918-03-12.jpg


12 Mars 1918

Mes chers enfants, je pense vous faire plaisir en vous disant que nous ne sommes pas morts, mais il ne s’en est pas fallu de beaucoup que les coups aient porté sur nous[1]. Claude Chappe a failli être parmi les victimes mais seul son piédestal a été atteint[2]. Des devantures et vitres avoisinantes, il ne reste guère. Le Boulevard, de là au Ministère[3], a été plusieurs fois visité et le Ministère surtout et par derrière jusqu’à la rue Las Cases. Tout près des de Fréville, au coin de la rue Mézières et de la rue Madame, une maison est en partie détruite. Il n’y a plus de vitres rue du Luxembourg, votre appartement est probablement dans ce cas. Le Luxembourg a reçu plusieurs projectiles. Beaucoup d’autres quartiers ont été visités aussi, la place d’Italie encore, dit-on. Et la banlieue beaucoup. Les Degroote sont descendus à la cave. Nous aussi, naturellement et Élise[4] qui s’était d’abord arrêtée chez Mme de Vernouillet[5] est venue nous rejoindre à la cave avec ses marmots[6] en entendant les gros coups. Nous allons nous installer plus confortablement et dresser un lit pour les enfants. Au premier signal, votre papa[7] est allé chercher notre voisine Mme Pillet[8] (de Senones) qui vient de faire revenir ses meubles de Reims et de s’installer au 6e, elle a passé avec nous tout le temps de l’alerte. Les Colmet Daâge[9] qui n’ont de bonne cave que sur la rue du Bac se sont décidés à partit pour Écuelles ; il fait si beau que les enfants en profiteront et j’en suis particulièrement contente pour Made qui a mauvaise mine et est de plus en plus maigre, elle a besoin de se reposer.

Laure[10] vient d’arriver d’Avranches avec Jules qui est au Val de Grâce en attendant d’être envoyé à Saint-Cloud ou à Meudon. Il commence à marcher mais souffre encore d’un pied qui ne paraît pas très bien remis. C’est bien 5 fractures qu’il a eues.

Je termine là pour que mes lettres partent encore ce soir ; je vous embrasse collectivement et en détail.

Emy


Notes

  1. Paris a été bombardé par les zeppelins le 11 mars 1918.
  2. Une statue de Claude Chappe (1763-1805), inventeur du télégraphe aérien, est élevée en 1893, par souscription, au carrefour du boulevard Raspail, du boulevard Saint-Germain et de la rue du Bac. La statue est fondue en 1942.
  3. Le ministère de la Guerre, 231 boulevard Saint-Germain.
  4. Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart (mobilisé).
  5. Marie de Montaignac de Chauvance, veuve de Maurice Marchant de Vernouillet.
  6. Jacques Damas, Marc et Claude Froissart.
  7. Damas Froissart.
  8. Marie Pillet, veuve.
  9. Guy Colmet Daâge, son épouse Madeleine Froissart et leurs enfants Patrice, Bernard et Hubert.
  10. Laure Froissart, épouse de Jules Legentil.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 12 mars 1918. Lettre collective dactylographiée d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) ; exemplaire à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_12_mars_1918&oldid=60956 (accédée le 3 octobre 2024).

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