Vendredi 22 juillet 1870 (B)
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé)
vendredi midi
Chère amie
Jusqu'à présent je n'ai pas manqué de t'écrire journellement & compte bien continuer. Il est bien doux, lorsqu'on est séparé de savoir des nouvelles de tous ceux qu'on aime.
Charles Dugué m'a écrit qu'il se mettait à ma disposition, je viens de lui envoyer 2 500 F & dans 2 à 3 jours encore 75... plus tard je compte encore augmenter ce chiffre.
Ce matin l'on a publié que les gardes mobiles de 1866. 7. 8. & 9 doivent se préparer à partir. l'ordre de départ n'est pas arrivé, mais ne tardera pas. Je pense que notre pauvre Julien[2] est fixé dès maintenant & que probablement il n'est plus avec vous.
Je ne comprends pas l'irrégularité de la poste à St Malo. Ici je reçois tes bonnes lettres en temps, ainsi celle de Mardi m'est parvenue ce matin. Mon nom pas mal prussien aurait-il provoqué quelque indiscrétion à la poste.
Tout le long de la frontière dans notre département il n'y a pas de soldat, l'on commence d'abord par masser vers Metz & Wissembourg, plus tard seulement ici, s'il en reste.
A Colmar l'on prépare les casernes écoles lycées etc. pour recevoir la Mobile que cette organisation doit être difficile. Mais il y a beaucoup d'entrain & cela se fera avec moins de difficultés qu'en temps ordinaire.
En Allemagne malheureusement il y a le même entrain & la même fureur & personne ne se dissimule toutes les difficultés pour chaque nation.
La France ménagera autant que faire se peut l'Allemagne du Sud, qui dit-on est encore un peu hésitante.
Le premier & grand choc se fera entre Metz & Mayence. Pauvres gens, pauvre pays.
Je compte que la Mobile enlèvera 100 jeunes gens à Vieux thann ce qui ferait une armée de 25 000 pour le seul département.
Georges[3] t’a probablement dit que j'ai eu ce matin visite de Mlles Sick & Kohl[4] qui me demandent étoffe pour chemises de soldats. Je viens de choisir 2 pièces que je vais leur envoyer.
Toutes ces dames s'occupent activement de charpie etc.
L'argent espérons-le ne manquera pas non plus.
Pour moi je vais voir pour les femmes que laissent les soldats & mobiles, il y en a une 15 à 20. Il y aurait quelques-unes nécessiteuses, je soignerai pour cela si possible.
Je viens de même d'écrire à Émilie[5], qu'elle s'informe, désirant placer un vieillard à l'asile de Colmar.
Je ne me souviens pas si je t'ai dit qu'elle m'a écrit. Ils ont de bien bonnes nouvelles de Henry[6] en Cochinchine.
Ceux de Nancy sont pris dans la mobile & celui de Paris[7] veut s'engager. Edgar est très occupé à la préfecture.
D'ici pas de nouvelles bien intéressantes, notre travail va bien, encore assez à faire. Morschwiller a beaucoup de travail d'avance. Léon[8] doit venir ici demain aujourd'hui Vendredi, il me dit que M. Auguste[9] a quelques bonnes nuits & va assez bien. Rien n'est décidé pour son départ pour Paris.
La Catherine[10] de chez Maman est venu me faire visite m'annoncer son mariage pour Mardi prochain avec un forgeron de Thann. Mme Mairel[11] a écrit à Emilie pour une cuisinière, qu'elle n'a pas & ne voit pas.
Nous venons de recevoir une lettre de faire-part de la mort du fils de M. <Dechaucé> (marchand de vin) que tu connais, un fils de 19 ans. Que c'est malheureux, je vais lui écrire un petit mot de condoléance.
Toujours une sècheresse & chaleur brûlante, accablante pour ceux qui travaillent les Moissons, bonne 1/2 des blés sont déjà rentrés.
Les travaux de pose de tuyaux pour la source des vignes seront terminés cette semaine.
Nous avons une bonne quantité d'Eau & surtout de qualité excellente.
Jeudi soir 10 h. Je viens de passer une heure au Jardin fumer mon cigare & penser à tout ce que j'ai de plus cher. Le soleil avait laissé le Rosberg dans sa teinte de pourpre.
C'est là qu'elles sont & peut-être comme moi admirant ce beau coucher. S'il est ennuyeux et parfois triste d'être ainsi loin les uns des autres. Votre sécurité me donne force & tranquillité que je ne saurais avoir si vous étiez ici ; car il ne serait plus facile de s'en aller.
Nous pouvons ainsi attendre ce que Dieu nous réserve sans trop d'inquiétude. Ici généralement, c'est un sentiment de tristesse peinte sur tous visages. Pas & plus de < > pas de cris. C'est le silence le plus complet. Même l'Eau ne murmure plus dans la cour.
Amitiés à tous, baisers pour toi & tes bonnes petites fillettes[12]
ton ami qui t'aime
Charles Mertzdorff
tes lettres m'arrivent toujours très régulièrement. Je viens de lire ta lettre du 20 mercredi. Recevez-vous régulièrement le Moniteur, depuis quelques jours nous n'avons pas envoyé d'Industriel.
Barbé vient de rentrer. Rien de particulier ce matin 22.
Encore bien des baisers pour toi & enfants.
Notes
- ↑ Lettre écrite en plusieurs fois, probablement jeudi 21 et vendredi 22.
- ↑ Julien Desnoyers.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Marie Louise Kohl ?
- ↑ Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Possiblement Henry Zaepffel.
- ↑ Hubert Edgard Zaepffel.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Auguste Duméril.
- ↑ Catherine Ritzenthaller était cuisinière chez feue Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff.
- ↑ Joséphine Müller épouse d’Alphonse Eugène Mairel.
- ↑ Marie et Émilie Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Vendredi 22 juillet 1870 (B). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_22_juillet_1870_(B)&oldid=61026 (accédée le 18 décembre 2024).
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