Vendredi 15 juillet 1870 (C)
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé)
Vendredi 15 Juillet 70
Ma chère Amie
Ma dépêche de tout à l'heure[1] te dit que je suis bien arrivé un peu fatigué, mais cette nuit j'ai bien reposé & me sens bien.
A Mulhouse j'ai trouvé l'oncle[2] & Léon[3] qui m'attendaient nous avons soupé tous ensemble chez Mme Stoecklin[4] qui a son mari aux bains en Suisse. Mme Galland est un peu souffrante.
En arrivant Léon m'a fait part de la triste nouvelle que M. Auguste[5] va toujours moins bien. Il a consulté le docteur Baddenberger qui a constaté une hytro hypertrophie du cœur très avancée. C'est d'une gravité extrême Mme Auguste[6] qui < > connaît cet état est jour & nuit dans les anxiétés les plus cruelles.
Il était même question de faire venir Adèle[7], c'est le médecin qui les y engage. Tu vois qu'à Morschwiller s'ils n'ont pas la grève, ils ont de bien autres soucis.
A Mulhouse quelques ateliers ont commencé à travailler au moins en partie. mais somme toute la position est toujours très grave. Les ouvriers ont formulé des demandes que les patrons ne peuvent accepter. L'excitation est extrême & si nous n'avions pas de troupes ici, il y aurait déjà de grands crimes à constater, sans nul doute.
Jusqu'à présent les fabricants n'ont offert aucune résistance, l'on a forcé les portes des Kestner & Scheurer[8], le flot des grévistes est entré par milliers, ont arrêté tout travail même sans attendre qu'une opération soit achevée.
Ainsi Haeffely l'on a laissé les pièces en travail dans les cuves etc. il a bien de l'argent de perdu. Voilà un homme qui a donné 700 000 pour les ouvriers tant pour écoles hôpital doté capital produisant 5 000 F de rente à distribuer aux plus anciens ouvriers de Mulhouse etc. etc...
Quant à nos ouvriers, ils ont été un peu montés par ceux de Mme André[9] qui quittant le Mercredi matin sont allés à Thann se réunir aux grévistes & ce sont eux qui revenant ont forcé la porte & l'on a renvoyé toute la fabrique. Hier personne ne travaillait, ce matin l'on savait déjà dans le village que je devais venir. que si j'avais été ici, rien ne serait arrivé à Vieux-thann etc.
Ce matin l'on a sonné, beaucoup de femmes & quelques hommes sont entrés environ 100 à 150. J'ai fait marcher la machine, l'on sort des cuves ce que l'on peut & sèche ce qui est en travail, il n'est pas question de finir. La marchandise sèche ––––––––––––––
Je t'écrirai un peu, ma chère amie, à bâton rompu. Je suis à la mairie. Je viens de recevoir
1° la députation des ouvriers hommes.
2° les femmes-filles <par> salle par poste par individu même. Voilà 2 h que je passe à écouter toutes les réclamations des uns & des autres. Mais pas un mot désagréable, pas de menace, c'est en suppliant que tout ce monde pa a passé devant moi. J'ai promis aux uns, refusé aux autres. Mais la grande généralité je les ai remis après la reprise du travail. En somme j'ai demandé toute ma liberté, leur laissant la leur. Mais je crois que demain nous aurons les 3/4 des ouvriers qui viendront travailler & pour nous je considère la grève comme terminée. Je vois une fois de plus que l'on a confiance en moi & compte sur moi. Pour moi ce qui vient de se passer tout à l'heure m'a un peu remis cette <lassitude> car ils ont été très gentils.
Attendons à demain, nous saurons s'ils mettent leur promesse de rentrer demain ou s'ils se laissent encore influencer par les mauvaises influences.
A chaque instant je suis interrompu étant toujours depuis 3 h à la mon poste.
Charles Wallenburger vient de venir j'ai tellement confiance dans mes gens que je fais arrêter de sécher les pièces, comptant reprendre le travail demain.
à voir suite
Suite. Je rentre de la mairie pour voir ce qui se passe ici.
Ce matin le commandant est venu se mettre à ma disposition avec ses soldats. je n'étais pas encore habillé & l'ai reçu, comme je pouvais en manche de chemise. Je l'ai remercié, voyant à 6 h les ouvriers rentrer, j'ai trouvé inutile d'avoir de la troupe devant ma porte. à 7 h j'étais chez Mme André, voir M. Berger ; ce qu’est savoir les propositions de ses ouvriers & les siennes. Ce sont les ouvriers André les plus exaspérés. de là à la mairie où il n'y avait rien, à 9 h chez M. Kestner[10], où j'ai trouvé tous ces Messieurs une partie de leurs ouvriers travaillant.
À 10 h j'étais à Thann où j'ai rencontré M. Conraux M. Henriet & le Sous-Préfet[11] avec lesquels je me suis longuement entretenu sur la rue.
Pendant que j'étais là la colonne des grévistes <a> passé. Henriet qui paraît avoir une grande influence sur les ouvriers, s'est détaché & a cherché à arrêter. je n'ai pas entendu ce qu'il leur disait. Mais partout on l'accuse, je suis persuadé à tort, qu'il ne cherche que de la popularité & était contre l'appel des troupes. Quoiqu'il en soit j'ai entendu ce que le mot d'ordre de la colonne a été, à Vieux-thann, la troupe a immédiatement suivi les grévistes & est arrivée en même temps que moi dans ma cour, les grévistes ont fait le tour du village & sont rentrés à Thann.
le capitaine m'a demandé il était 11 ½ h un verre de vin pour ses hommes ce qui a été donné.
En attendant j'ai demandé des renseignements & sachant que la colonne est retourné à Thann, j’ai la présence de tous ces soldats a été inutile ils sont repartis. La troupe ne fait rien heureusement, n'a rien à faire, elle est à la disposition des industriels qui peuvent en avoir besoin. à Midi le peu de monde qui a travaillé n'osait plus sortir. je les ai accompagnés jusqu'à la porte & la voyant tout tranquille j’ai rien n'est arrivé. Ce soir, croyant à la rentrée, je laisse sortir mon monde avant l'heure, n'ayant rien à leur faire faire.
A voir tous ces gens tellement excités l'on se croyait en pays ennemi.
Je ne sais trop rien à te dire de la maison, mon temps a été pris ailleurs. J'ai vu Thérèse[12] qui a défait ma malle. Nanette je l'ai a peine vue. Tout est ciré ou peu s'en faut, l'ordre est dans la maison si elle il n'est pas ailleurs.
Les confitures sont faites c'est par centaines de pots qu'il faut compter. Sirop, me dit Thérèse à mon dîner de 10 minutes, il y en a 55 pots. le reste à l'avenant.
Je ne sais rien du Jardin et peu de tout ce qui m'entoure ici. Je vais, je t'écris & le temps passe. il est 4 h, à demain.
Il est probable que ce soir, plus à mon aise je te raconterai plus en ordre ce qui s'est passé. Embrasse bien fort nos fillettes[13] chéries, mes amitiés les plus affectueuses à nos chers amis[14]
tout à toi
Ce qui est plus effrayant pour nous que la grève c'est la guerre. Nous ne savons pas plus que vous par les Journaux.
Je n'y crois pas encore & cependant cette baisse de 3 F ne nous dit rien de bon & nous fait tout craindre.
Mais je t'en reparlerai à tête plus reposée. Pour le moment je suis bourrelé.[15]
Notes
- ↑ Voir la dépêche du 15 juillet.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Probablement Elisa Heuchel, épouse de Jean Stoecklin.
- ↑ Auguste Duméril, oncle de Léon.
- ↑ Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
- ↑ Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil, leur fille.
- ↑ L’entreprise de Charles Kestner et son gendre Auguste Scheurer-Kestner.
- ↑ Marie Barbe Bontemps, veuve de Jacques André.
- ↑ Charles Kestner.
- ↑ Charles Maximilien Auguste Jacquinot (1814-1894), sous-préfet de Mulhouse depuis 1868.
- ↑ Thérèse Neeff et Annette, domestiques chez les Mertzdorff.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Cette dernière feuille est un papier à en-tête.
Notice bibliographique
D’après l’original
Annexe
<...> Mertzdorff
maison Chabert
à Paramé
près St Malo
Ille & Vilaine
Pour citer cette page
« Vendredi 15 juillet 1870 (C). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_15_juillet_1870_(C)&oldid=60220 (accédée le 21 novembre 2024).
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