Samedi 16 juillet 1870 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1870-07-16A pages1-4.jpg original de la lettre 1870-07-16A pages2-3.jpg


Paramé

16 Juillet 70

Samedi 9 h du matin

Merci, mon cher Ami, pour la bonne dépêche[1] qui est venue m'assurer que tu étais arrivé à bon port à la maison, et que si tu n'avais pas encore trouvé tout dans l'ordre ordinaire, du moins tu avais la conviction que la grève touchait à sa fin. Espérons qu'il en sera bientôt de même pour tous ces bruits de guerre et que les préparatifs qu'on fait ne serviront qu'à montrer à l'étranger que les Français seraient tout disposés à les rosser à la 1re occasion, malheureusement la même envie existe dans le camp opposé. Aussi qu'adviendra-t-il ?

Depuis longtemps je savais qu'oncle Georges[2] était toujours très aimable, mais il vient encore de m'en donner une preuve en m'écrivant Jeudi tout ce qui se passait dans notre pays. Ce pauvre oncle parait bien heureux de te voir arriver, et je le comprends, et je ne veux pas me plaindre de ton absence en songeant à combien ton arrivée à Vieux-thann aura fait plaisir.

D'après les détails que j'ai lus hier soir dans la bonne lettre de l'oncle je vois que la force a dû arriver jusqu'à Thann pour faire respecter la liberté. Il me semble que les ouvriers Kestner ont été les derniers à se joindre aux grévistes ? En est-il comme cela ? ou est-ce le hasard ? Et Pourquoi ?

Tes petites filles[3] t'écrivent toutes deux, je les laisse griffonner comme bon leur semble ; c'est donc 3 éditions que tu recevras des mêmes faits et gestes, et peu de choses intéressantes, si ce n'est que nous pensons beaucoup à toi et que nous regrettons bien que tu ne sois plus avec nous.

Les fillettes te diront qu'hier on a été patauger dans les rochers, mais de la vraie patauge, glouglouff au sable, Tante[4] et moi travaillant et l'oncle seul explore les rochers non loin de notre halte ; à 4 h retour à la villa, chacun se <pare> de ses plus beaux atours et on part va faire visite aux Hovius[5] et Vaillant[6] ; ces dames étaient sur la grève, rien de remarquable à te conter ; à 5 h 1/2 le bain s'est pris mais sans grande joie l'eau était froide.

11 h. Un mot de Julien[7] nous annonce son arrivée pour demain soir avec Hortense[8] s'il n'est pas appelé avant sous les drapeaux[9] ? car voici la guerre déclaré ! ah ! que de préoccupations de tous genres ! Dans quelle limite de temps ? Et sur quel point ? L'Alsace bien entendu. Ne pas être ensemble. Enfin tu vas voir ce que tu veux que nous fassions ; si nous devons raccourcir la saison de bains pour aller te retrouver...

Voici un calmant pour les grévistes et l'ordre va se rétablir dans les ateliers mais pour faire place à quoi ? à la guerre et entre deux armées comme celles qui vont se trouver en présence ! Que de victimes ; mais la lutte ne peut pas être longue.

En ce moment Marie étudie son piano, Jean[10] lit, Emilie apprend une fable, l'oncle Alphonse après nous avoir fait la lecture du Moniteur, examine quelques petites bêtes ; la mer est d'un bleu magnifique, le ciel superbe.

Je voudrais te recommander de te bien soigner, ménager, mais je sais que cela ne servira de rien et que tu vas avoir tant trouvé à faire que tu n'auras pas le temps de songer à toi.

Adieu, cher Ami, je t'embrasse comme je t'aime, c'est à dire du plus profond de mon cœur.

ton Eugénie M.

Je ne te renvoie pas les lettres d'oncle Georges et de Léon[11] car tu as par eux tous les détails mais je te les conserve.

1 h. Le Bain s'est pris avec plaisir, l'eau était excellente, les petites mines sont roses et brunes, on vient de manger comme des ogres et on se prépare à passer le reste de la journée à la patauge. Tu vois que tu peux être tranquille sur tes trois tiennes que t'aiment beaucoup

EM

Bien des choses à oncle et tante Georges[12] et à Morschwiller[13] dont je suis bien préoccupée. Julien m'exprime le regret de n'avoir pas été prévenu pour passer avec toi de <5> h à 7 h


Notes

  1. Voir la dépêche du 15 juillet.
  2. Georges Heuchel.
  3. Marie et Emilie Mertzdorff.
  4. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  5. Elisabeth Marie Fontan et son époux Auguste Jean François Hovius.
  6. Henriette Jeanne Hovius et son époux Léon Vaillant.
  7. Julien Desnoyers.
  8. Hortense Duval.
  9. Julien Desnoyers est mobilisable dans la garde mobile.
  10. Jean Dumas.
  11. Léon Duméril.
  12. Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer.
  13. A Morschwiller vivent Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 16 juillet 1870 (A). Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_16_juillet_1870_(A)&oldid=61049 (accédée le 18 décembre 2024).

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