Vendredi 14 février 1879 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1879-02-14A pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-02-14A pages 2-3.jpg


14 Février 1879

Mon père chéri, voilà une fille de 18 ans bien gâtée par tout le monde à commencer par son papa qui lui a écrit une si gentille lettre. Comme me voilà vieille ! je crois que je n’oserai plus f ni faire, ni dire de bêtises maintenant que j’ai atteint un âge si respectable, qu’en penses-tu ? il me semble du moins que je ne devrais plus oser.

J’ai reçu tous les baisers que tu m’envoies pour ma fête, mais je regrette comme toi que tu n’aies pas pu me les donner toi-même ; ils seraient arrivés d’une manière bien plus sûr encore, enfin j’espère que ton absence ne se prolongera plus beaucoup et que ces messieurs[1] vont se dépêcher de faire leurs affaires à Berlin. Sait-tu qu’il y aura bientôt un mois que tu es parti ; c’était le 18 Janvier et nous voilà déjà au 14 Février.

Il faut maintenant que je te mette au courant de tous les cadeaux qu’on m’a faits : tante[2] m’a donné un charmant petit bracelet rouge qu’elle possédait depuis fort longtemps et qu’elle a beaucoup porté ; de Marie[3], j’ai reçu une petite cravate rose au crochet et un bon pour une boîte à dessin (encouragement à aller chez M. Flandrin[4], c’est sous ce titre qu’elle me l’a promise) ; Marthe[5] m’a donné un livre ; j’ai de plus reçu beaucoup de fleurs ce qui pare les fenêtres de notre petit salon.

Hier nous avons été à la conférence de M. Cornu[6], elle était fort intéressante, le sujet était : l’Analyse spectrale, nous avons eu des expériences superbes et qui ont parfaitement réussi ; je regrette bien que tu n’aies pas pu assister à cette séance c’est une des plus intéressantes de cette année et sous le rapport des expériences elle a été au moins aussi brillante que celle de M. Jamin[7] l’année dernière. J’ai compris beaucoup mieux que je ne m’y attendais ; il est vrai que M. Cornu a tout expliqué dans la perfection, aussi la séance a-t-elle été très longue, elle a duré près de deux heures.
Nous avions été dans la journée à notre dernier cours de physique ; nous sommes désolées qu’il soit fini, il était si intéressant et si bien fait ! En terminant, M. Fernet[8] nous a remerciés de l’attention que nous lui avions prêtée mais je crois que c’est plutôt nous qui aurions dû le remercier de nous avoir fait un cours si intéressant, amusant même et auquel on n’avait nul mérite à prêter toute son attention.

Ce pauvre M. Gervais[9] a été enterré hier ; M. Edwards[10] y a été en grand costume d’institut. Certes lorsqu’il a été nommé il y a cinq ans au détriment d’oncle[11], personne ne supposait que ce serait sa place qui serait la première vacante, tandis que tous les autres membres de la section étaient beaucoup plus âgés que lui. Il n’ ne serait pas bien de se réjouir de sa mort, mais cependant on ne peut pas s’empêcher de se féliciter qu’oncle arrive à l’Académie dans des circonstances si favorables et qu’il en fasse partie en même temps que son père. Je t’assure que M. Edwards est bien content et quant à oncle je ne l’ai jamais vu si gai.

Ce pauvre M. de Sacy[12] est de plus en plus mal, il ne reconnaît plus personne et on attend sa fin d’un moment à l’autre : il y a bien longtemps qu’on dit cela. Quelle horrible agonie ! et combien cela doit être pénible pour ses enfants de le voir souffrir si longtemps.

Il faut que je te quitte pour me mettre à étudier mon piano ; Marie est chez M. Flandrin. Je t’embrasse encore bien bien fort comme je t’aime.
Ta fille Emilie

Je te prie de ne pas m’oublier auprès de Mme Paul[13].
Marie m’a chargée avant de partir de te dire qu’elle regrettait bien de ne pas avoir le temps de t’écrire et elle m’a priée de t’embrasser de sa part.
Adieu mon père chéri, je t’envoie à mon tour par ma lettre tous les baisers que j’aurais tant voulu pouvoir te donner.


Notes

  1. Léon Duméril et Frédéric Eugène Jaeglé.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
  4. Le peintre Paul Flandrin.
  5. Marthe Pavet de Courteille.
  6. Alfred Cornu.
  7. Jules Célestin Jamin.
  8. Emile Fernet.
  9. Paul Gervais.
  10. Henri Milne-Edwards.
  11. Alphonse Milne-Edwards.
  12. Samuel Ustazade Silvestre de Sacy.
  13. Stéphanie Duval, épouse de Paul Nicolas.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 14 février 1879 (A). Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_14_f%C3%A9vrier_1879_(A)&oldid=35755 (accédée le 13 octobre 2024).

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