Samedi 2 mai 1863
Lettre de Félicité Duméril (Vieux-Thann) à Eugénie Desnoyers, amie de sa fille décédée (Paris)
Vieux Thann 2 Mai 1863
Il y a longtemps, ma chère enfant, que je ne suis venue causer un peu avec toi, mais depuis ta dernière lettre, nous avons eu notre bonne petite Emilie[1] bien souffrante par le travail des grosses dents, notre bon Charles[2] était aussi fortement pris par la grippe, puis lorsque tout mon monde ici s'est trouvé mieux, j'ai été faire une petite visite à Morschwiller[3] où ma pensée me transporte bien souvent. Lorsque je m'éloigne des chères petites, j'ai du moins la tranquillité de savoir que je les laisse entre les mains de cette bonne Cécile[4] dont je ne puis assez faire l'éloge, je la considère comme faisant partie de la famille. Cette fille excellente et sensée connaît tout ton mérite ; elle dit que tu es pour elle l'image de notre bien aimée[5], en effet tu l'es non seulement pour elle mais pour chacun de nous en particulier. Combien il m'est doux d'entendre mon mari parler de toi ; sa piété, sa grande confiance en Dieu, la noblesse de ses sentiments, et son esprit exempt de toute exagération donnent à ses paroles quelque chose qui pénètre le cœur. Miky grandit et se développe de la manière la plus heureuse, la petite Emilie, moins jolie qu'elle, est pleine comme sa sœur d'intelligence et de cœur ; j'ai bien souvent à l'esprit le charmant, le fin, l'affectueux sourire qu'elle fit, il y a quelque temps, à son grand-père[6]. Mon mari arrivait avec Léon[7] de Morschwiller, je tenais dans mes bras la petite Emilie qui, à moitié endormie, en entendant la voix de son grand-père se mit à lui sourire d'une manière qui nous fit à tous la plus douce impression.
Que d'actions de grâce nous devons à Dieu pour le rétablissement de ma bonne mère[8], je ne puis assez te dire combien ses derniers adieux m'avaient déchiré le cœur, sans cesse j'avais le désir de retourner à Paris pour la voir, mais à présent lorsque j'irai, j'aurai le bonheur de la trouver bien portante. Que de bonnes lettres nous recevons de ma sœur[9], d'Adèle et de mon beau-frère. Ces lettres soulagent notre douleur et nous donnent bien des détails sur ceux que nous aimons. Mais hélas ! voilà à présent nos parents Delaroche et nos bons amis de Tarlé bien préoccupés de l'état de leurs filles[10], puissent de bonnes nouvelles nous arriver bientôt sur Julie et Antoinette. Lorsqu'on est malheureux comme nous le sommes, on s'inquiète vite et on voit tout en noir.
Madame Mertzdorff[11] désire faire cadeau à ses petites-filles de manteaux d'été demi-deuil en étoffe grise : aurais-tu la bonté de vouloir bien te charger de cet achat que tu pourrais faire porter au Jardin chez ma sœur où Charles les prendrait. Notre bon gendre est parti avant-hier pour Paris et il ira aussi à St Quentin. C'est par un sentiment de délicate discrétion que toi et tes parents[12] saurez bien apprécier, qu'à son grand regret, il se privera du plaisir d'aller vous voir. Comment va ma chère Aglaé[13] ? embrasse-la bien fort pour moi. Notre chère petite Miky a été enchantée de ta bonne lettre qu'elle a montrée à tout le monde, en parlant de toi elle dit : ma gentille petite marraine comme elle disait ma gentille petite mère. Pauvre chère enfant elle se sent attirée vers toi. Adieu douce et bien aimée Eugénie je t'embrasse bien fort, ainsi que ta bonne mère. Ne nous oublie pas auprès de ton bon père et de Julien[14].
F. Duméril.
Nous avons la satisfaction d'avoir ici pour femme de chambre une jeune personne que je ne puis mieux comparer qu'à notre bonne Louise.
Pauvre famille Dunoyer combien elle est éprouvée[15] !
Veuille demander des manteaux pour l'âge de trois ans et de cinq, car nos fillettes sont grandes et il faut que les manteaux resservent l'an prochain.
Notes
- ↑ Emilie Mertzdorff, fille de Charles et de Caroline Duméril (fille décédée de Félicité).
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Félicité habite auprès de ses petites-filles Emilie et Marie (Miky) Mertzdorff à Vieux Thann ; son époux Louis Daniel Constant Duméril demeurant à Morschwiller.
- ↑ Cécile, bonne chez les Mertzdorff, attachée au service des fillettes.
- ↑ Caroline Duméril, décédée, épouse de Charles Mertzdorff.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril, mari de Félicité.
- ↑ Léon Duméril, fils de Louis Daniel Constant et Félicité.
- ↑ Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril l’aîné.
- ↑ La sœur de Félicité est Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril, mère d’Adèle.
- ↑ Julie Delaroche ; Antoinette de Tarlé, épouse de Gilbert de Milhau.
- ↑ Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff, grand-mère de Marie et Emilie.
- ↑ Jeanne Target et son époux Jules Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards et sœur d’Eugénie.
- ↑ Julien Desnoyers, frère d’Eugénie.
- ↑ Charles Dunoyer le père est mort en décembre 1862 et son fils Charles en avril 1863.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Samedi 2 mai 1863. Lettre de Félicité Duméril (Vieux-Thann) à Eugénie Desnoyers, amie de sa fille décédée (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_2_mai_1863&oldid=35442 (accédée le 18 décembre 2024).
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