Samedi 2 août 1879

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1879-08-02 pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-08-02 pages 2-3.jpg


Paris 2 Août 1879

Mon cher Papa,

Merci pour ta bonne lettre de ce matin qui bien qu’adressée à Émilie[1] m’a fait le plus grand plaisir ; tu ne parles pas de ta santé mais comme tu as commencé tes bains c’est une preuve que tu vas bien et voilà enfin que je vois où penser à toi. Vous étouffez, nous étouffons, nous sommes tous de même et il n’y a pas à parler du temps qui malgré quelques petites menaces d’orage se maintient au beau fixe. Malgré cette température un peu plus chaude qu’on ne la voudrait pour vivre agréablement nous remuons beaucoup et faisons beaucoup de choses. Jeudi comme tante[2] est en train de te l’écrire nous avons été chez M. Empis[3] (not for my own pleasure but for papa’s sake[4]) et j’ai été très contente de ma visite ; je suis sûre qu’il te plairait beaucoup aussi, il a l’air très bon, très paternel et en même temps très sérieux ce n’est pas du tout un médecin charlatan comme on en voit souvent ; je ne te parle pas de ce qu’il a dit puisque je pense que tante te le raconte par le menu il n’a guère eu l’air de me trouver bien malade et m’a promis de me mettre tout à fait d’aplomb ; c’est tout ce que je souhaite, non pas pour moi, puisque je me trouve déjà très bien comme cela, mais pour vous ; aussi je suis disposée à faire tout ce qu’il faudra, c’est beau n’est-ce pas ? It is for you papa because I love you, you know ? Seulement quand je me sentirai sur le point d’être changée en barre de fer, je m’arrêterai car je ne veux pas perdre absolument toute ma souplesse. En attendant ce moment-là je pense aux vacances et rien que les préparatifs m’amusent déjà beaucoup, que sera-ce quand j’y serai ? Nous avons toujours l’intention d’aller à Launay, bonne-maman[5] viendra bien entendu avec nous puisque c’est en partie pour passer un peu de temps avec elle que nous y allons, et, en partie pour qu’oncle[6] puisse prendre déjà, entre ses examens, un peu de vacance qui ne comptera pas, en attendant le moment où il sera plus libre et où nous nous envolerons tous vers la Suisse et ses neiges éternelles. Le départ pour Launay est fixé à Mercredi ; oncle viendra nous retrouver Jeudi jusqu’à Samedi soir, repartira pour ne revenir que le Mardi d’après (probablement) nous passerons encore tous là-bas la fête du 15 Août, oncle fera reviendra à l’Institut du Lundi 18 et à sa réunion des professeurs puis enfin nous partirons définitivement le 19 ou le 20 pour te retrouver en un coin de la Suisse comme cela était convenu déjà. Approuves-tu ? Nous emmenons avec nous à Launay Marthe[7] et Jean[8] ce qui quadruple le plaisir ; ce sera une vraie nursery de grands enfants, aussi comptons-nous jouer et nous amuser énormément et mettre notre bon oncle à contribution pour nous aider dans toutes nos folies. Nous nous délierons les membres pour être prêtes à affronter la Suisse à laquelle nous pensons déjà joliment ; la pensée de ce beau voyage nous excite fort, nous rêvons Chamonix et Mont-Blanc et pour nous donner un avant-goût de voyage oncle nous lit quelques-uns des voyages de Töpffer[9]. Sommes-nous gâtées père chéri, c’est effrayant ; qu’avons-nous fait pour cela ? Je crois vraiment qu’on nous aime trop. Toujours du plaisir partout. Mon seul petit nuage c’est de ne pas t’avoir avec nous à Launay où nous comptons déjà bien nous amuser, mon petit Papa, car on ne jouit complètement que quand on est tous ensemble ; tu devrais avoir un petit téléphone, pour te mêler à nos rires ; je ne te propose pas le phonographe parce qu’il enregistre tout et si tu déroulais ensuite toutes nos conversations à la file, j’aurais peur que tu n’entendes trop de bêtises et trop de bruit et que tu n’en sois assourdi.

Adieu, Papa chéri, que j’aime de tout mon cœur ; je t’embrasse avec toutes mes forces présentes et futures.
Your own little
Mary.

Hier nous avons été à Montmorency et sommes restés à dîner avec bonne-maman.


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Georges Simonis Empis, médecin (voir la lettre du 29 juillet).
  4. « Pas pour mon propre plaisir, mais pour le bien de papa ».
  5. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  6. Alphonse Milne-Edwards.
  7. Marthe Pavet de Courteille.
  8. Jean Dumas.
  9. Rodolphe Töpffer, auteur du Voyage autour du Mont-Blanc (1843).

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 2 août 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_2_ao%C3%BBt_1879&oldid=35437 (accédée le 16 avril 2024).

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