Samedi 24 janvier 1874
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Samedi 24 Janvier 74.[1]
Ma chère Enfant.
Tu as sans doute reçu lettre & clef & j'attends ta réponse pour savoir si je dois continuer à chercher mes clefs ici, ou si tu les as trouvées à Paris. C'est dans le bureau de petite maman[2] que j'ai tous mes livres de compte & tu comprends combien mon impardonnable distraction me contrarie. Du reste dans quelques heures je pense avoir le plaisir de te lire.
Hier j'ai passé ma journée à Morschwiller, l'oncle Georges[3] m'a accompagné ainsi que sa femme[4] qui est allé dîner chez Mme Stoecklin[5] tandis qu'au Contraire Léon[6] a invité M. Stoecklin à dîner avec nous chez bon-papa[7].
Nous avons été avec Vogt[8] en Voiture car pour la tante[9] il ne peut plus être question d'aller à pied, elle se fatigue trop ; J'avais du reste à porter à bonne-maman[10] le tabouret d'Emilie[11] & mon propre cadeau de nouvel an. Le travail de la petite fille a fait grand plaisir & en effet le tabouret figure au Salon & est charmant, il a été très bien monté & fait bon effet ; bonne-maman a soin de le laisser se prélasser au milieu du salon pour que personne n'ignore que c'est sa petite-fille qui lui a fait ce grand travail.
Je crois que de même le manteau fait grand plaisir, mais l'on ne veut le mettre que par les gros froids, je risque donc bien de ne jamais le revoir.
Bonne-maman a bonne mine, elle dit qu'elle va bien & je le crois. Quant à bon-papa l'on ne parle pas de sa santé, il est toujours très occupé de son usine.
Après le dîner l'Oncle Georges s'est fait conduire avec M. Stoecklin chez ce dernier, il a eu bien du plaisir de voir Jeanne[12] qui n'avait rien de plus empressé que de lui faire admirer tout ce que le nouvel an lui a donné.
J'ai passé tout mon temps à l'usine qui marche bien, mais elle loin d'être achevée, il faudra encore quelque temps pour qu'elle le soit. J'y pousserai car il n'est que temps.
Nous avons été, dans notre petite course, favorisés par une vraie journée de printemps & aujourd'hui encore le temps est doux comme en Avril mai.
J'ai appris avec plaisir que M. Tachard va tout à fait bien, ces Messieurs de Morschwiller[13] le voient souvent. Sa fille[14] est fort grande & très forte pour son âge, elle est encore ce que vous la connaissez.
Ma tante Georges ne se ressent plus du tout de sa chute dernière, en rentrant elle paraissait très contente d'avoir vu sa petite-fille[15] qui est très gentille avec elle. il paraît qu'elle apprend bien & aime bien ses leçons.
Je suis heureux d'avoir reçu votre bonne lettre & bien content de pouvoir faire mes compliments à Emilie chérie pour tous ses succès de Catéchisme & du Cours.
Demain Dimanche nos bons parents[16] & Léon viennent passer la journée ici. Il sera donc parlé de vous tous.
Mon pied va bien, je marche facilement sans rien ressentir, si la douleur n'était pas réelle, je croirais que c'est un fait d'imagination car je ne m'explique pas pourquoi à Paris cette mauvaise patte finit toujours par me faire mal & qu'elle se taise après quelques jours de séjours ici. Du reste Nanette & Thérèse[17] sont aux petits soins pour moi & si je me laissais faire l'on me gâterait tout à fait, par trop d'attentions.
Le baromètre est au très beau ce qui promet encore quelques jours d'une température exceptionnelle. Pourvu que cet hiver trop doux n'ait pas une trop fâcheuse influence sur le printemps & l'été.
Généralement la misère est grande, il y a bien des ouvriers sans travail & beaucoup d'usines qui réduisent les heures de travail. Ainsi M. Berger ne travaille que de 8 à 4h, ce qui réduit bien la journée, & pourvu qu'ils puissent continuer ainsi, car ils n'ont que fort peu de commandes. L'on s'occupe beaucoup d'élections[18] & cette fois les curés s'en mêlent beaucoup. Que va t-il sortir de tout cela pour notre pauvre Alsace ?
Je vous écrirai sans doute encore demain soir ou Lundi matin, je puis donc remettre les quelques petites nouvelles que je trouverais encore en cherchant bien.
Vous direz à Oncle Alphonse[19] que je serai bien avec lui Lundi prochain. Que malgré ses craintes bien naturelles, j'espère bien recevoir une bonne dépêche mardi matin.
Embrasse bien tante[20] & croyez-moi mes chéries chéries à l'affection de votre père
Charles Mertzdorff
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Eugénie Desnoyers (†), épouse de Charles Mertzdorff.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel (« tante Georges »).
- ↑ Elisa Heuchel, épouse de Jean Stoecklin.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Ignace Vogt, cocher de Charles Mertzdorff.
- ↑ Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Emilie Mertzdorff.
- ↑ Jeanne Heuchel.
- ↑ Louis Daniel Constant et Léon Duméril.
- ↑ Marie ou sa sœur Adèle Tachard.
- ↑ Jeanne Heuchel.
- ↑ Félicité Duméril et son époux Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Annette, cuisinière et Thérèse Neeff, employées par Charles Mertzdorff.
- ↑ L'Alsace-Lorraine, devenue « Reichsland » (1871), se voit appliquer la Constitution de l'Empire et doit élire, le 1er février 1874, 15 représentants au Reichstag.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards, candidat à l’Académie des Sciences.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 24 janvier 1874. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_24_janvier_1874&oldid=51578 (accédée le 21 novembre 2024).
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