Samedi 20 et dimanche 21 mai 1876

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)


original de la lettre 1876-05-20 pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-05-20 pages 2-3.jpg


Dimanche 21 Mai 76.

Ma chère Marie

Si tu me demandais comment il se fait que je suis ici depuis 8 jours. (& cependant cela me paraît infiniment plus long) & de ne vous avoir écrit qu’un tout petit mot très à la hâte ? Que tu me demandes cela, & je serais rouge de honte & franchement ne saurais pas donner une solution honnête.

Si j’avais la belle & vertueuse habitude de votre tante[1] de savoir partager sa journée sans jamais remettre au lendemain, de ces choses aussi blâmables ne m’arriveraient pas & chaque heure devrait avoir sa besogne. Il n’en est rien ici, aussi ce que j’ai fait pendant ces successions de jours est peu considérable ! Le soir je me Vendredi persuade que je suis fatigué & au lieu d’aller me coucher ou d’écrire je lis au billard pendant que l’on fait la partie tout en fumant mon cigare, ou je joue avec les jeunes[2], ce qui arrive encore quelquefois.
Tu vois que je suis pas mal coupable & ferai bien de m’amender.
Pour le coup ce n’est pas ma santé qui cloche, attendu que je suis une grande partie de la journée au dehors.

Il est Samedi Soir, 9 h je suis seul dans la Wohnstube[3]. avant le souper. Thérèse[4] est venu en pleurant me dire que sa mère[5] est au plus mal & ne passera pas la nuit. C’est une fluxion de poitrine ; elle a cependant tenu à nous servir avant d’aller auprès des siens où elle passera la nuit. C’est une grande perte pour ces pauvre gens.

Vendredi dernier j’étais avec l’Oncle Georges[6] à Mulhouse visiter l’exposition de l’industrie Alsace Lorraine. J’ai eu beaucoup de plaisir à visiter d’abord les quelques machines où j’ai constaté avec une joie réelle que mon ami Flühr[7], qui jusqu’à présent n’avait pas fait grand chose dans son atelier a exposé une machine à Vapeur nouveau système qui a fait grande sensation & qui peut être la machine la plus parfaite que l’on ait fait jusqu’à ce jour.
Des machines (la place ne permettait pas d’en exposer beaucoup) l’on monte aux impressions & tissus, où réellement il y a des produits ravissants. Il serait peu intéressant pour toi de te donner grands détails. Les progrès me paraissent considérables & l’industrie du pays peut à juste titre être contente d’elle.
Nous n’avons pas exposé, l’on m’en fait quelque reproche & cependant malgré tout & tout le monde je ne le regrette pas. Quelle chute du blanc à toutes ces merveilles que [tâte] l’Impression.

Un peu plus loin quelques salons de peinture produits Alsace lorraine puis la photographie Braun. Céramie très belle des plats variant de 2000 à 300 F !
Enfin cristallerie de Saint Louis[8], sans tout ce que je passe, n’ai pas vu, ou ai oublié.

Samedi prochain il y aura grandissime bal à la Bourse[9]. Où toutes ces dames seront habillées des produits du pays. Eclairées à la lumière électrique elles vont toutes être charmantes. Ce sera dit-on tout à fait féerique & pas un prussien ! toutes les précautions sont prises pour cela.

En allant à Mulhouse nous avons voyagé avec Mme Berger[10] & ses 2 grandes filles[11] qui étaient très causantes, elles avaient reçu ta lettre & l’on savait tout ce que j’aurais pu leur raconter de vous. Ce qui n’empêche pas que nous avons si bien bavardé de vous surtout que j’ai oublié de demander si l’on allait au bal à Mulhouse.

Ce soir j’étais à Cernay pour une réunion du canal où l’on a pris une décision que je n’approuve pas, mais comme elle dépend de mon bon vouloir, je ne m’y suis pas opposé. Mais cela m’a pris ma demie journée.

Ce matin Mme Henriet[12] m’a fait demander pour un de ces jours la voiture pour venir chez moi. Il est possible que j’aille faire mes visites à VieuxThann & Thann demain dans l’après-midi.

Il y a deux jours l’on m’a demandé à faire entrer à l’hôpital la femme Wiegert[13] j’ai immédiatement donné mon consentement & la voiture allait la prendre, lorsque l’on est venu me dire qu’elle était morte. C’est bien un Martyre de moins.

La belle-fille de Nanette[14] était très malade au Dellys[15], la voilà remise mais un instant on la disait en danger. Nanette ne sait pas pour qu’elle époque son fils ira à Paris & viendra en Alsace, elle ne me dit pas qu’elle pense me quitter, cependant je sais que son fils fera l’impossible pour ne plus la laisser en condition, il voudrait toujours l’avoir auprès de ses enfants. Elle finira par s’y décider.

Mme Berger s’est beaucoup remercié des chambres qu’ont occupées 5 de leurs gens de noce[16] ; mais il paraît que ces pauvres personnes se perdaient chez nous en prenant une maison pour l’autre au grand plaisir de nos Messieurs. J’ai su aussi que Mme Deguerre (Marie André) était très souffrante à Rome, que l’on a peu joui du voyage & l’on a hâte de rentrer. Pauvre début !

T’ai je dit que j’avais reçu tes deux bonnes lettres. si tu vois bon-papa & bonne-maman D. Duméril[17], leur dire que toutes les santés sont bonnes. l’on[18] est au Casino.

Georges[19] me dit que l’une des Demoiselles de Brincard[20] est fiancée mais sans autres détails c’est de M. Henriet[21] qu’est la nouvelle.

Malgré la beauté de la maison, il paraît que les Stoecklin[22] ne se plaisent pas beaucoup à Epinal. Arrive un âge où il est difficile de changer ses habitudes.  

Te voilà bien au courant des nouvelles d’ici il ne me reste qu’à vous embrasser tous, tous de tout cœur
ton père qui t’aime
Chs

soir encore un bec avant de fermer ma lettre. La mère de Thérèse va mieux aujourd’hui. je ne sais trop si elle hors de danger.


Notes

  1. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  2. Léon Duméril et Georges Duméril.
  3. Le salon.
  4. Thérèse Neeff, employée par Charles Mertzdorff.
  5. Joséphine Fricker, épouse de François Neeff.
  6. Georges Heuchel.
  7. Jérôme Xavier Flühr.
  8. Très ancienne cristallerie de Saint-Louis-lès-Bitche (Moselle).
  9. A Mulhouse.
  10. Joséphine André, épouse de Louis Berger.
  11. Marie et Hélène Berger.
  12. Célestine Billig, épouse de Louis Alexandre Henriet.
  13. Christina Barbara Meyer, veuve ? de Joseph Wiegert.
  14. Annette, cuisinière chez Charles Mertzdorff.
  15. Dellys, ville côtière en Algérie.
  16. Le mariage de Marie André avec Antoine Albert Deguerre.
  17. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
  18. « On » : en particulier leur fils Léon Duméril.
  19. Probablement Georges Duméril.
  20. Fanny Brincard est fiancée à Théophile Sève.
  21. Louis Alexandre Henriet.
  22. Jean Stoecklin et sa famille.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 20 et dimanche 21 mai 1876. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_20_et_dimanche_21_mai_1876&oldid=35451 (accédée le 29 mars 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.