Samedi 1er et dimanche 2 juillet 1871 (C)
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff et à son épouse Eugénie Desnoyers (Montmorency)
CHARLES MERTZDORFF
AU VIEUX THANN
Haut-Rhin[1]
Chère Marie, chère petite amie. Si recevoir mes lettres, m'écrire même est un plaisir pour toi ; je te prouve bien par cette lettre que j'ai la même satisfaction à bavarder avec ma grande Mie. J'ai reçu ta bonne lettre, elle m'a fait le plus grand plaisir, car lorsque l'on est seul, comme je le suis, avoir de bonnes nouvelles de tous ceux que l'on aime est une bien douce jouissance & un vrai bonheur de les savoir tous réunis en bonne santé.
Ta lettre me dit que vous travaillez un peu, j'en suis bien content & la petite Maman[2] chérie fait très bien de ne pas trop vous laisser flâner. C'est lorsque l'on est jeune & petit encore qu'il faut s'habituer au travail, sans lui pas de bonheur parfait possible. Mais je ne suis pas venu pour prêcher ni aux unes ni aux autres ; tu sais par expérience que si le travail n'est pas toujours, ni récréant, ni amusant, lorsqu'il est fini & bien fait l'on est content de soi, l'on se donne à soi-même une bonne note & jamais le paresseux n'aura ces douceurs qui sont les plus douces dans la vie.
Je t'écris dans le petit salon, à la lumière de la lampe, assis à ma place sur le canapé ; c'est la première fois que je vous écris d'ici, d'habitude c'est au bureau, mais aujourd'hui Samedi l'on fait la toilette d'en bas. J'ai laissé ta lettre dans un des tiroirs du bureau je ne sais donc pas d'ici quel jour toi & la petite maîtresse chérie avez écrit.
La pensée est de toi, mais tu ne m'en parles pas. De votre jardin il me serait bien facile de vous en envoyer un bouquet ; haricots et petits pois d'Emilie[3] sont en fleur, les petits pois surtout ont dépassé de beaucoup la taille de la petite jardinière & si elle les voyait dépasser les <rames>, <elle aurait> certainement du plaisir. Vos choux sont de toute beauté & pour peu qu'ils poussent ainsi ce seront les plus belles têtes du potager. Dans vos rondelles, le jardinier[4] a planté des Zinnias qui sont en fleur. Toi Mimi tu possèdes les seules quarantaines que j'ai encore découvertes au Jardin.
Pour le Jardin je vous ai déjà dit qu'il était beau & bien fleuri, des roses en quantités & de toutes les variétés ; seulement Mme la pluie ne leur permet pas de conserver longtemps leur coquette toilette. Ce qui n'est pas beau, c'est le Massif de fuchsias devant le billard, ces pauvres plantes aiment la Chaleur & c'est ce qui nous a manqué à tous.
La vigne est belle mais du Soleil, le foin en demande autant & s'il paraît ce beau soleil ce n'est que pour des instants. Aujourd'hui nous avions un petit Orage, hier brouillard sans eau je crois.
La cour a été bien animée, toute la journée charrettes sur chariots qui n'ont fait qu'entrer & sortir. C'est que nous recevons quantité de toiles, mais surtout le chemin de fer manquant de Wagons, ce sont les voituriers de Mulhouse qui nous amènent de la houille. L'oncle[5] a eu la paye ce soir & comme tout le monde travaille très tard tous les soirs il lui a fallu beaucoup d'argent, aussi les petites filles & garçons étaient-ils contents en s'en allant, comptant leur fortune de ce soir.
J'ai fait ta commission auprès de Nanette[6] & sur ton ordre, elle continuera à me faire ses petits plats. Depuis que je suis seul je mange pour mon dessert une grande assiettée de fraises avec force sucre & vin. Tu vois qu'il est facile de devenir gourmand, lorsqu'on n'écoute pas sa petite raison qui ne le veut pas.
J'ai écrit hier une longue lettre à Maman. Peu de jours avant j'ai aussi adressé une longue prose à ma toute petite chérie[7]. Depuis il ne s'est rien passé de bien intéressant. La Maison est propre & luisante comme sortie d'une boîte. L'on voit bien que les demoiselles du logis sont absentes. Tout est dans un ordre parfait & sur la commode de mon cabinet de toilette pas le moindre petit panier à lessive, pas le moindre ballot de toute sorte. La chambre d'étude est irréprochable de propreté & de netteté & d'ordre. Le Coucou marche mais j'ignore à qui il doit ces petits soins, seulement il ne s'est pas corrigé & je l'entends qui déraisonne toujours. Nous avons eu la visite de M. le Curé de Leimbach[8] & comme il ne m'a pas trouvé il m'a écrit une petite lettre, me recommandant une pauvre petite fille à laquelle j'ai donné de l'ouvrage, aussi est-elle partie contente.
Je suppose que demain à l'Eglise M. le Curé d'ici[9] va bien gronder. Figure-toi que les grands garçons qui avaient tous loué des places à l'orgue, n'ont plus voulu payer 30 sols par an, trouvant que c'était trop cher & comme l'on n'a pas voulu céder, ils sont tous partis en riant. de sorte que maintenant l'on ne les laisse plus monter. Tu vois que Vieux-thann a aussi ses petites révolutions. Demain Dimanche, c'est un bon jour d’un peu de tranquillité ; je vais encore continuer mes rangements. Je ne te charge pas d'embrasser la maman, je compte bien lui écrire un petit mot demain matin. Mais la petite joueuse tu l'embrasseras bien. N'oublie pas bonne-Maman[10] et <> Tante[11] si cela peut lui faire plaisir, l'Oncle artiste[12] s'il n'est pas trop taquin & Alfred[13] s'il est at home. Cécile[14] sur les deux <joues>. Amitiés à cette bonne Pauline et brave François[15]. Sans oublier Jean[16] & <>. Je ne sais pourquoi je m'imagine que petit Jean est avec vous en ce <moment> <> toute la maison doit dormir
tout à toi ma Chérie
Charles Mff
Dimanche soir, c'est à la chère Maman, ma Nie chérie que je m'adresse pour lui dire que ce matin lorsque j'ai voulu lui écrire, j'en ai été distrait par des solliciteurs & aussi par Georges & Jaeglé qui sont venu causer un peu au bureau. Quoique je n'aie pas fait le paresseux et que dès 6 h je me suis levé, mon Dimanche s'est passé très vite & il me semble que je n'ai rien fait. Je le doublerais volontiers. Cet après-midi j'étais à Wattwiller où je n'ai trouvé qu'une partie du monde que j'y cherchais. M. Risler président des bains n'y était pas. J'ai vu par contre les Henriet & les Zurcher. Je dois avouer que l'on m'a reconnu de loin, Marie Zurcher[17] était sur le balcon du chalet & c'était une véritable joie en me voyant, tout le monde s'est précipité à ma rencontre. J'ai trouvé tout le monde en très bonne santé. henriet[18] sans perruque n'avait pas trop mauvaise mine, Célestine grosse & grasse a une mine enviable. Gabrielle[19] a un peu de teint n'est plus si momie. Jeanne[20] est grosse & forte & grande, c'est une demoiselle bientôt. Marie Z[21] va bien, elle est un peu éprouvée, quoique maigre, elle est formidable mais elle se porte bien. La petite Marie[22] était là bien mignonne mais bon teint, le gros Charles[23] commence à peine à se tenir sur ses petites jambes, c'est un magnifique bébé : L'on est parfaitement installé au Chalet, tout y est, même le portrait de M. de Sèze. Ils paraissent très contents. Où se trouvent Célestine et Charles Zurcher l'on n'a pas besoin de faire de frais de conversation. Je ne devais rester que quelques minutes, mais j'ai dû plusieurs fois les doubler ; mais enfin j'ai fini par arriver à dire ce que je voulais savoir, pour un payement de Wattwiller à faire à un entrepreneur. Tu sais ces gens s'adressent volontiers à moi. Il est plus que probable que cet hiver je provoque la vente de cette affaire je n'en sortirai pas autrement. Encore une leçon. L'on m'en a déjà pas mal donné de ces leçons & je m'y laisse toujours prendre. J'ai quitté la maison à 3 h & ne suis rentré qu'à 6 h 1/2.
Demain matin je vais à la forêt pour une vente de bois de la Commune je me hâte de terminer voulant encore écrire à Morschwiller.
Jules Heuchel va bien mieux, & Mme Jaeglé[24] aussi, quant au mari il n'y paraît plus.
Toujours même presse pour les pièces malgré ma circulaire. J'espère encore arriver à contenter < > d’affaires < > faire de dépenses.
Adieu Ma chère amie Je t'embrasse bien comme je t'aime. Jouis bien auprès de la bonne mère[25] ne t'inquiète pas de moi, j'ai assez de besogne pour ne pas avoir le temps de m'ennuyer. Lorsque je suis seul & veux me reposer, voilà ce que je fais, bavarder avec vous.
Notes
- ↑ En-tête imprimé.
- ↑ Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (la « petite maîtresse »).
- ↑ Emilie Mertzdorff (la « toute petite chérie », « la petite joueuse »).
- ↑ Probablement Gustave, jardinier chez les Mertzdorff.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Annette, domestique chez les Mertzdorff.
- ↑ Lettre non conservée.
- ↑ Théodore Abt, curé de Leimbach de 1870 à 1876.
- ↑ François Xavier Hun, curé de Vieux-Thann de 1862 à 1875.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Pauline et François, domestiques chez les Desnoyers.
- ↑ Le petit Jean Dumas.
- ↑ Marie Baudry, épouse de Charles Zurcher.
- ↑ Louis Alexandre Henriet, époux de Célestine Billig.
- ↑ Gabrielle Henriet.
- ↑ Jeanne Henriet, 14 ans.
- ↑ Marie Henriet, épouse de Léopold Zurcher, est enceinte de son 3e enfant.
- ↑ Marie Zurcher, née en 1867.
- ↑ Alexandre Charles Zurcher, petit frère de Marie, né en 1870.
- ↑ Marie Caroline Roth, épouse de Frédéric Eugène Jaeglé.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 1er et dimanche 2 juillet 1871 (C). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff et à son épouse Eugénie Desnoyers (Montmorency) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_1er_et_dimanche_2_juillet_1871_(C)&oldid=35428 (accédée le 21 novembre 2024).
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