Mercredi 6 juillet 1831

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre)

lettre du 6 juillet 1831, recopiée livre 7 page 773.jpg lettre du 6 juillet 1831, recopiée livre 7 page 774.jpg lettre du 6 juillet 1831, recopiée livre 7 page 775.jpg lettre du 6 juillet 1831, recopiée livre 7 page 776.jpg lettre du 6 juillet 1831, recopiée livre 7 page 778.jpg lettre du 6 juillet 1831, recopiée livre 7 page 777.jpg


Au Jardin des Plantes ce 6 Juillet 1831.

Il y avait déjà quelque temps, mon cher Henri, que je comptais t’écrire, lorsque nous avons appris que tu étais fort souffrant ; mais maintenant que tu es remis, je viens te répondre à ta bonne et grande lettre, du 10 Juin. Quant à cette petite maladie, qui s’est terminée promptement, nous te faisons nos compliments sur ce qu’elle a concouru à te faire grandir d’un pouce et demi, depuis le commencement de l’année ; ainsi, tu dois avoir maintenant, au moins, 4 p. 10 p. puisque, quant tu m’as écrit, tu avais 9 po. 9 lignes. Je me suis conformé à ta demande, et je me suis mesuré : je ne savais pas exactement combien j’avais, et j’ai vu que ma taille est 5 p. 5 p, 4 ou 5 lignes. J’ai été aussi un peu souffrant, il y a une quinzaine de jours : j’ai eu la maladie à la mode, appelée grippe, pas très forte, pourtant, et malgré cela, comme j’étais assez faible, je suis resté une semaine sans suivre les classes du collège. Dans ce moment, je suis un peu moins occupé qu’à l’ordinaire, parce que c’est le moment où l’on compose pour les prix : je n’ai malheureusement pas d’espoir d’obtenir quelque chose ; je fais cependant les compositions, comme travail, qui m’instruit toujours, et après que l’on a fini, on a congé, pour le reste du jour : ainsi, depuis onze heures ou midi, l’on ne fait rien, jusqu’au lendemain : voilà plusieurs jours que cela dure, et cela continuera, jusqu’à lundi ; mais moi, je ne rentre pas sitôt à la maison : je vais déjeuner chez mon professeur[1], et j’y passe deux ou trois heures. Il a profité de ce moment, où les travaux de la classe sont interrompus, pour me faire faire des devoirs particuliers, qui m’intéressent assez : ce sont des analyses. Ainsi, il m’a fait faire ce travail, pour deux fables de La Fontaine, et j’ai à le faire, pour l’Andromaque de Racine, ce qui est assez considérable, mais cela m’amuse. Je te dirai que, depuis que nous sommes au Jardin[2], j’ai changé mes heures de travail : au faubourg Poissonnière, c’était le soir, que je faisais le plus : ici, comme l’on va se promener, toujours, après dîner, et qu’on ne rentre qu’à 9 h., à peu près ; qu’alors, je me sens un peu fatigué : j’ai pris l’habitude de me coucher de bonne heure, sur les 9 h ½ , et de me lever entre 5 et 6, le plus souvent à 5 h ½. J’ai alors une bonne heure et demie, pour faire mes devoirs, et puis, comme je rentre, le soir, avant 5 heures, et qu’on ne dîne souvent qu’à 6 h passées, j’ai encore autant de temps que le matin, de sorte que cela équivaut aux soirées du faubourg Poissonnière.

Il est vrai, que j’ai eu le tort de te demander si c’était M. Merisse, l’ancien professeur de pension, qui était ton maître, car je me rappelle qu’il était bien extravagant.

Je vois, d’après ce que tu me dis, des soirées ou des bals, que l’on a donné pour tes cousines Delessert[3], que tu y vas, et que tu mets à profit les leçons de M. Laborde : j’aimerais savoir si la danse t’amuse ; tu sais que je n’ai eu l’occasion de danser cet hiver qu’une seule fois, chez Chatoney[4], et que j’ai eu un plaisir extrême.

Ce pauvre Chatoney, je ne sais pas comment cela se fait, mais je n’ai jamais le plaisir de le voir : j’ai été quelque temps après qu’il m’avait invité, pour lui faire une visite, mais je ne l’ai pas trouvé, et à présent, que nous sommes si loin de tout, je crois qu’il me sera très difficile d’aller le trouver un dimanche, chez lui.

Nous avons pris bien part à l’accouchement d’Élise[5], et nous sommes bien heureux d’apprendre qu’elle est remise ; il faut espérer que les forces vont lui revenir rapidement.

Je comprends, par les détails que tu me donnes, sur votre belle partie à Orcher[6], que vous avez un grand talent pour faire des choses amusantes pour toi, tu as dû t’amuser beaucoup.

Je suis bien fâché de ne t’avoir pas encore envoyé ce petit psautier : je n’ai pas pu m’en occuper, n’allant que rarement dans le quartier ; mais je te promets d’aller chez le libraire, le plus tôt possible : je crains seulement que ce format ne soit un peu difficile à trouver ; tu m’approuverais, je pense, si je n’en trouvais qu’un broché, et que je le fisse relier un peu joliment : je doute que, dans cette grandeur, les notes soient marquées partout, et il me semble que tu aimes assez cela. Dis-moi un peu ton avis, sur ces considérations que je te présente, par le moyen d’une petite note, insérée dans la prochaine lettre de Constant[7].

Depuis que Mme de Tarlé[8] nous a quittés, et son départ a eu lieu dans les premiers jours de Juin, nous l’avons vue quelquefois : sa petite devient toujours plus gentille ; mais tu te trompes, en pensant que M. de Tarlé est à Paris : il n’y est pas encore venu : s’il fait un petit voyage, ce ne serait que lorsque sa femme reviendra de chez son père[9], en Flandre (pour laquelle elle est partie hier), c’est-à-dire dans un mois ou six semaines.

Nous voici dans le fameux mois de Juillet, où la France… je m’arrête ; prie Constant de te terminer la phrase, et il le fera très agréablement, je t’assure ; mais pour en revenir au mois de Juillet, nous savons qu’il y aura ici des fêtes, pendant les trois journées[10]. A ces fêtes, doivent assister des députations de 10 gardes nationales par département : le hasard ne pourrait-il pas faire, que Constant fît partie de cette députation ? nous ne le verrions pas beaucoup de temps, mais ce serait toujours bien agréable. Parle-lui de cela, je te prie, de notre part.

Je n’ai pas grand-chose à te dire de nos anciens camarades, si ce n’est que j’en ai vu une bande ici, jeudi dernier, qui se promenait dans le jardin, avec le gros père Delattre, qui ne fait que croître, mais non pas embellir. J’ai vu plusieurs figures de connaissance, sans pouvoir me rappeler leurs noms. Ils disent que le nouveau possesseur de la pension, M. Cournand[11], est un petit Tartuffe, parce qu’il se laisse diriger par Arnauld, qui, à ce qu’il paraît, n’a rien perdu de son autorité, mais Boulet, que nous avons rencontré, nous a fait l’éloge de ce Monsieur.

Nous nous portons tous bien ici : maman[12], dans ce moment, s’occupe beaucoup de dessin, ce qui l’amuse toujours ; papa[13] est très occupé et ne s’en trouve que mieux. Quant à ma tante[14], sa santé est bonne, mais non pas son humeur.

Adieu, mon cher Henri ; j’espère que tu ne vas pas tarder à te rétablir tout à fait ; nous t’embrassons tous, bien tendrement, ainsi que tes alentours, et les Latham[15]. Dis, je te prie, à Élise, que sa charmante boîte à gants est admirée par tous ceux qui la voient.

Tout à toi, ton cousin et bon ami.

A. Aug. Duméril.


Notes

  1. Antoine Joseph Baudon-Desforges.
  2. En 1830 les Duméril ont quitté la rue du Faubourg Poissonnière pour le Jardin des Plantes, 7 rue Cuvier.
  3. Les cousines Delessert sont : Laure (née en 1816), fille d’Auguste Delessert, Emma (née en 1812) et Ida (née en 1814), filles d’Armand Delessert. Leurs pères sont associés à la maison Delaroche au Havre.
  4. Jules Chatoney.
  5. Pauline Élise Delaroche, épouse de Charles Latham, vient d’accoucher de son troisième enfant (Charles) Frédéric.
  6. La terrasse et le château d’Orcher dominent l’estuaire de la Seine en amont du Havre.
  7. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  8. Suzanne de Carondelet, épouse d’Antoine de Tarlé, mère d’Antoinette.
  9. François Louis de Carondelet, retiré à Sceaux après la mort de sa femme, est rentré dans sa terre natale de Thumeries, où il meurt à l'âge de 80 ans en 1833.
  10. Les fêtes de Juillet célèbrent l’anniversaire des trois journées révolutionnaires de 1830 et l’avènement de Louis-Philippe. Avant l’attentat de Fieschi en 1835 qui marque le retrait de la présence royale, Louis-Philippe apparaît en public et participe avec sa famille aussi bien à la journée du 27 consacrée aux célébrations funèbres qu’aux journées du 28 et du 29 consacrées aux réjouissances publiques et aux revues militaires.
  11. Antoine Cournand (1797-1842).
  12. Alphonsine Delaroche.
  13. André Marie Constant Duméril.
  14. Élisabeth Castanet.
  15. Charles Latham, son épouse Pauline Élise Delaroche et leurs enfants.

Notice bibliographique

D’après les « Lettres adressées par mon bon mari A. Auguste Duméril, à son cousin germain Henri Delaroche, du 30 Août 1830, au 6 Mai 1843 » in Lettres de Monsieur Auguste Duméril, p. 773-778

Pour citer cette page

« Mercredi 6 juillet 1831. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_6_juillet_1831&oldid=59927 (accédée le 21 novembre 2024).

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