Mercredi 15 octobre 1873

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


Paris le Mercredi 15 8bre 1873[1]

Mon petit père chéri,

Voilà bien longtemps que je ne t'ai pas écrit et cependant ta lettre m'a fait bien plaisir. Si tu m'avais vue l'apercevoir, la décacheter et la lire ! car il y avait bien longtemps que nous n'avions pas reçu de tes nouvelles mais cette grande lettre-là en vaut bien trois. Nous avons repris nos leçons de français et de piano et tu ne saurais croire avec quel plaisir j'ai revu mes maîtresses[2] et recommencé un peu à travailler.

On ne m'a toujours pas trouvé de professeur d'écriture je te disais l'autre jour que nous allions chez Taupier[3] lui-même en effet après avoir bien cherché nous trouvons sa fameuse porte. Tu me vois d'ici me figurant un professeur tantôt très-sévère tantôt fort aimable mais j'étais loin d'approcher de la vérité nous sonnons, une bonne nous ouvre puis arrive un charmante petite demoiselle qui nous dit qu'elle va nous conduire auprès de son grand-père enfin nous allons le voir mais quelle n'est pas notre surprise en voyant un petit vieillard en robe de chambre la tête toute entourée de linges et de bandeaux à cause d'un abcès qu'il avait sur la joue il nous répondit qu'il ne pouvait pas nous donner de leçons, de suite, qu'il ne sortait pas && enfin ce n'était pas notre affaire ; mais je t'assure que nous avons bien ri.

Nous avions été d'abord chez le dentiste[4] ; qui à notre grande surprise et grande joie n'a rien trouvé du tout ni chez l'une ni chez l'autre[5].

Avant-hier nous avons été avec Jeanne Brongniart voir la crèche de la rue de la Glacière ce qui nous a beaucoup amusées. Il y a 27 enfants dont les plus âgés ont 3 ans et les plus jeunes quinze jours nous avons assisté à leur repas du soir qui consistait en soupe grasse. nous rions à nous tordre car ils mangeaient plus ou moins proprement et il y a un morceau de carotte qui a fait trois assiettes car c'était le morceau de prédilection et on se faisait des galanteries.

Il pleuvait à torrent j'espère que vous aviez un plus temps car pour les vendanges cela aurait été bien désagréable. En sortant de la crèche nous avons ramené Jeanne ici puis nous sommes repartis à la gare Montparnasse attendre bon-papa et bonne-maman[6] qui arrivaient de Launay seulement nous craignions d'être en retard et nous avons été très-vite et sommes encore arrivés en avance.

Hier notre seule sortie a été d'aller pendant 1h ½ jouer et sauter dans le Jardin avec Jeanne B. et Marthe Pavet[7].

C'est avec cette dernière qu’Émilie[8] fait de bonnes parties ! elles s'entendent à merveille et Émilie la trouve très gentille aussi cherchons-nous à la voir le plus possible car elle ne doit guère s'amuser chez elle.

Cécile[9] est revenue hier laissant sa mère assez bien paraît-il.

Aujourd'hui nous allons probablement aller rue Oudinot à l'orphelinat avec Jeanne B. et Marthe ce sera encore un bonne partie.

J'espère bien mon papa chéri que tu ne seras pas obligé de faire un voyage en Allemagne d'abord ce serait pour toi une grande fatigue et ensuite quelle contrariété de se trouver en pays ennemi. Si tu savais combien tes lettres m'intéressent. Quoique je ne m'entende pas en affaire ça me fait tant de plaisir que cela marche un peu et que tu sois content.

Tu ne m'as plus reparlé de Nanette[10] compte-t-elle toujours partir. Ce serait bien ennuyeux.

Adieu mon bon petit père chéri, je t'embrasse de toutes mes forces et voudrais te dire quelque chose pour te dire combien je t'aime mais je ne le peux pas. Emilie se joint à moi pour t'embrasser bien fort et te promettre qu'elle <t'écrira> bientôt et qu'elle ne t'oublie pas du tout.

Je viens de finir tous les devoirs que Mlle Bosvy m'avait donné pour demain entre autre 7 divisions et 1 devoir d'arithmétique.

C'est le 29 8bre notre 1er cours[11].

je te prie d'embrasser de ma part bon-papa et bonne-maman[12] ainsi qu'oncle Léon[13]. Nous irons probablement demain à Conflans[14].


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Probablement Marguerite Geneviève Bosvy, professeur de français et Mlle Poggi, professeur de piano.
  3. Auguste Guillaume Taupier, calligraphe né en 1798, auteur de plusieurs ouvrages pédagogiques et collectionneur de calligraphies.
  4. Ernest Pillette.
  5. Marie Mertzdorff et sa sœur Émilie.
  6. Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
  7. Marthe Pavet de Courteille.
  8. Émilie Mertzdorff.
  9. Cécile, bonne des demoiselles Mertzdorff.
  10. Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
  11. Cours des dames Boblet-Charrier.
  12. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
  13. Léon Duméril.
  14. Conflans où Marie et Hélène Berger sont en pension.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 15 octobre 1873. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_15_octobre_1873&oldid=61664 (accédée le 21 novembre 2024).

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