Lundi 13 octobre 1873

De Une correspondance familiale

Lettre d’Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) à son beau-frère Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)



original de la lettre 1873-10-13 pages 1-4.jpg original de la lettre 1873-10-13 pages 2-3.jpg original de la lettre 1873-10-13 pages 5-6.jpg


Lundi 13 Octobre 73[1]

Comment, mon cher Charles, pouvez-vous nous remercier de quelque chose, est-ce que notre plus grand bonheur n'est pas de nous occuper de vos chères petites filles[2] et pouvons-nous rester insensibles à la si grande marque de confiance que vous nous donnez. Je vous assure que c'est un bien grand bonheur pour moi de continuer la tâche si bien remplie et si tristement interrompue par les deux chères mères[3] et vous avez su me donner la seule consolation qui pouvait adoucir mon chagrin, celle de chérir tendrement ce que notre chère Eugénie aimait le plus au monde.

Je n'ai que de bonnes nouvelles à vous donner, notre petite Émilie[4] sans avoir la mine du bord de la mer paraît bien portante, son bras lui fait mal de temps en temps mais M. Dewulf[5] m'ayant dit qu'il ne voyait là rien de sérieux je me suis bornée à lui mettre un peu de flanelle ; les leçons de piano seules sont reprises, mais Mlle Bosvy arrive à Paris aujourd'hui et doit venir dès demain matin pour reprendre le travail ; je vous répèterai ce que vous savez déjà c'est que nous avons encore pris un peu de vacances afin de reprendre avec plus de plaisir les études sérieuses car cette horrible Founichon n'est pas encore rassasiée de repos et comme avant tout nous la voulons voir florissante nous la retiendrons plutôt que nous ne la pousserons au travail. Hier on a joué toute la journée dans le jardin avec Jeanne Brongniart et Marthe[6], on a sauté à la corde et bien profité d'un temps magnifique aussi les mines paraissaient bien satisfaites.

En ce moment Marie[7] étudie son piano et la petite Émilie joue avec sa poupée aussi me suis-je chargée de venir vous dire au nom de tous qu'on pense bien à vous qu'on en parle souvent et qu'on sera bien heureux de vous voir ; je vous dirai tout bas qu'il faudra vous arranger pour passer avec nous le 4 novembre. On est un peu désappointé de ne pas avoir de vos nouvelles depuis 6 jours aussi commence-t-on à se persuader que vous allez arriver très promptement. Votre dernière lettre a fait un si grand plaisir que la petite Émilie ne la quitte pas, le soir elle est placée sous son oreiller et la nuit lorsque son bras la réveille elle prend sa chère lettre et la promène sur la douleur, elle me disait hier avec un si gentil petit air : « Pauvre papa[8] il ne se doute pas qu'il sert de cataplasme, mais le remède est infaillible. » J'ai cependant envie de redemander à M. Dewulf si il ne serait pas bon de lui donner un peu de sulfate de quinine[9] car ces petites douleurs viennent régulièrement d'abord toutes les nuits et maintenant toutes les deux nuits seulement.

Nous devons aujourd'hui aller avec Jeanne Br.[10] visiter la crèche de la rue de la Glacière ; malheureusement il ne fait pas beau ; le reste de la journée se passera à la maison en travail à l'aiguille et en lecture ce que nous appelons notre cher petit moment car nous aimons beaucoup à être toutes les trois ensemble.

Vous me feriez bien grand plaisir si vous pouviez m'apporter le livre de pensées religieuses qu'Eugénie[11] a fait pour Caroline[12] ; j'aimerais beaucoup à faire pour notre petite Émilie un petit livre du même genre pour sa première communion et il me serait précieux de revoir celui que notre chère Eugénie avait fait avec tant de soins, je désirerais bien avoir aussi un carton carré vert que vous trouverez dans la bibliothèque de la chambre de jeu près de la fenêtre à côté de la petite cuisine, il est rempli de devoirs d'E. et des feuilles qui lui sont restées de son fameux livre.

Alphonse[13] est en ce moment très occupé de sa candidature qui paraît ne pas trop mal marcher, il fait aujourd'hui une lecture à l'Académie et hier en la rédigeant il regrettait de ne pouvoir profiter du beau soleil pour aller courir sur la Rangen ou dans la vallée du chevreuil. Notre séjour à Vieux-Thann tout en nous rappelant de bien tristes souvenirs nous a été je vous assure bien agréable car si nous aimons les filles je ne vous cacherai pas que nous portons une bien tendre amitié au pauvre père que nous sommes tout tristes d'avoir laissé seul.

Marie et Émilie vous envoient de tendres baisers ; Alphonse se joint à moi pour vous assurer de notre plus dévouée affection.

Chargez-vous de mille choses pour bon-papa et bonne-maman Duméril[14]

AME

Marie vous a appris la mort du père de cette pauvre Cécile[15], je lui ai écrit aussitôt que je l'ai apprise lui conseillant de rester quelques jours auprès de sa mère.


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Marie et Émilie Mertzdorff.
  3. Caroline Duméril (†) et Eugénie Desnoyers (†), première et seconde épouses de Charles Mertzdorff.
  4. Émilie Mertzdorff (« Founichon »).
  5. L. J. A. Dewulf, médecin.
  6. Marthe Pavet de Courteille.
  7. Marie Mertzdorff.
  8. Charles Mertzdorff.
  9. Le sulfate de la quinine est actuellement utilisé pour traiter le paludisme. L’utilisation contre les douleurs (crampes) est déconseillée à cause de graves effets secondaires possibles.
  10. Jeanne Brongniart.
  11. Eugénie Desnoyers (†), seconde épouse de Charles Mertzdorff.
  12. Caroline Duméril (†), première épouse de Charles Mertzdorff.
  13. Alphonse Milne-Edwards.
  14. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
  15. Cécile, bonne des demoiselles Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 13 octobre 1873. Lettre d’Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) à son beau-frère Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_13_octobre_1873&oldid=61753 (accédée le 18 décembre 2024).

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