Mercredi 12 septembre 1855

De Une correspondance familiale


Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Adèle Duméril (Trouville)


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Paris 12 Septembre 1855

Je viens t’annoncer une bien triste nouvelle ma chère enfant, c’est la mort du pauvre petit Cordier[1], il a succombé cette nuit à un érysipèle ; vois un peu comme les malheurs nous atteignent vite, hier nous devions tous dîner chez cette pauvre Félicie et aujourd’hui son enfant n’est plus, ah ! l’on a bien raison de dire l’homme propose et Dieu dispose, ce qui fait bien sentir encore la vérité de cette vieille sentence c’est la mort de cette pauvre Mme Perrot la cousine de Mlle Bibron, elle avait été Dimanche à Versailles avec ses deux plus jeunes enfants ; au retour, la foule étant grande, elle les fit monter dans un wagon où il y avait 2 places et alla se placer elle-même dans un autre. Arrivé près de la gare, le convoi en a rencontré un autre de marchandises qui partait et quoique la vitesse fût bien diminuée des deux côtés, le choc fut si violent que deux wagons furent littéralement écrasés[2]. Les enfants Perrot n’étant pas blessés se sauvèrent comme ils purent et arrivèrent chez eux en courant. Les fils aînés se sont mis aussitôt à la recherche de leur mère et ils l’ont trouvée le lendemain matin au milieu des morts ; elle avait les bras coupés mais la figure n’était point atteinte. On l’a enterrée aujourd’hui à 11 h. Enfin, puisque nous ne pouvons rien faire à tous ces tristes événements n’en parlons pas plus et causons un peu. Je te dirai d’abord que ta lettre m’a fait grand grand plaisir, j’ai eu aussi la jouissance de la surprise, car je ne m’attendais pas du tout à recevoir quelque chose de ton écriture. Voilà près de trois semaines que je n’ai vu Étienne[3], il a été un peu souffrant et maintenant il est à la campagne, comme toi, je l’ai trouvé souvent bien ennuyeux, mais lui m’aimait assez et quand il arrivait il demandait de suite : Mlle Caroline est là ? Je regrette que tu ne voies pas les petites Fröhlich[4], elles sont vraiment bien gentilles et nous amusent beaucoup, demain on les conduira à ma demande chez Séraphin[5]. Puisque tu as reçu une lettre de Launay[6], je ne te dirais rien des chers amis, il paraît que Julien[7] s’amuse beaucoup, au reste je n’ai encore reçu qu’une fois de leurs nouvelles depuis qu’ils sont partis. Mlle Bibron est un peu mieux, elle se lève maintenant. Dimanche soir nous avons vu Mme Bibron[8] qui n’était pas venu depuis très longtemps. Ce soir-là, Mlle Romane a dîné avec nous, elle m’a chargée de mille tendresses pour vous tous. Maintenant M. [ ] mange de la viande et boit de l’eau mais il commence toujours ses repas par la salade crue et ses fruits et il les termine par le potage ; à chacun son goût et son idée. Nous n’avons pas encore vu M. et Mme Fabre[9] ; ce soir M. et Mme Barlow[10], M. et Mme Fröhlich et mon cousin Valéry[11] viendront passer la soirée ici. Nous avons encore reçu cette semaine une lettre de Cahors, ma tante[12] a bien été sur le point de venir à Paris avec ses enfants mais au dernier moment elle ne s’est pas décidée. On n’entend toujours pas parler de l’inspecteur. J’ai oublié de te dire que Clémence[13] n’était pas arrivée comme elle l’avait annoncé, ce qui est fort heureux, puisqu’elle se serait trouvée chez Félicie au milieu de bien tristes scènes. Je comprends parfaitement que le beau temps vous engage à rester quelques jours de plus à Trouville, le soleil ne nous favorise pas autant que vous et hier nous avons eu une pluie froide des plus désagréables ; aujourd’hui le ciel est redevenu bleu plus sec et il garde cette charmante couleur, d’abord pour nous maintenant, puis ensuite pour la dernière semaine de Septembre que nous avons toujours idée d’aller passer à Montataire, les vacances malheureusement finissent le 30 car cette année le mois d’Octobre commence un lundi, mais l’année prochaine il y aura pour la même raison 8 jours de plus de congé, si tu ne comprends pas fais-toi expliquer la chose par mon cher frère[14] et dis-lui en même temps je te prie que je lui fais bien mes excuses de ne pas avoir répondu plus tôt à sa bonne lettre, je compte réparer ma faute dès qu’il sera au Havre, et en signe de réconciliation je l’embrasse bien fort.

Nous avons bien pris part au chagrin de cette pauvre Louise dis-lui je te prie pour moi un mot bien affectueux. Salvé et Henriette[15] lui font bien des amitiés, ils ont été tout affligés d’apprendre ce nouveau malheur.

Adieu ma bien chère petite Adèle, je ne puis causer plus longuement avec toi aujourd’hui car les petites Fröhlich sont là depuis ce matin et elles trouveront peut-être que je suis bien longue à écrire à Adèle de Paris. Séliko[16] et le ménage font leurs délices, elles ont trouvé cette pauvre Anna[17] bien sale et la dédaignent un peu, je lui ai pourtant hier fixé une demi-douzaine de papillotes qui rendent des physionomies originales et [ ].

Adieu de nouveau chère enfant, reçois baisers et tendresses pour toi et distribue respects et amitiés à tes entours

Ta sœur et cousine

Caroline Duméril


Notes

  1. Fils de Félicie Berchère et de Charles Cordier, le bébé était âgé de deux semaines (voir lettre du 28 août 1855).
  2. L’accident de chemin de fer à Versailles rive gauche est survenu le 9 septembre 1855.
  3. « Étienne » non identifié.
  4. Adèle et Marie sont les filles d’Eléonore Cumont et d’André Fröhlich.
  5. Le théâtre Séraphin est un théâtre d’ombres créé à la fin du XVIIIe siècle par François Dominique Séraphin (1747-1800). Installé dans les galeries du Palais-Royal, il offre une représentation tous les après-midi, et deux les dimanches et fêtes. Les Parisiens viennent y applaudir La Chasse aux canards, Les Embarras du ménage, Arlequin corsaire, etc. En 1797, apparaissent Polichinelle et des marionnettes. Après la mort de Séraphin (en 1800), le neveu qui lui succède ajoute des transformations mécaniques, qu'il appelle métamorphoses ; puis le gendre, à partir de 1844, donne des pièces à costumes, des tableaux de fantasmagorie et des intermèdes de chant. En 1858, les affaires déclinant, le théâtre de Séraphin émigre au boulevard Montmartre où il se maintient tant bien que mal jusqu’en 1870.
  6. Launay près de Nogent-le-Rotrou est un lieu-dit où se trouve une propriété de la famille Desnoyers.
  7. Julien Desnoyers.
  8. Jeanne Belloc, veuve de Georges Bibron.
  9. Joseph Auguste Fabre et son épouse Alexandra van Blarenberghe.
  10. Probablement Edward Barlow et sa seconde épouse Elizabeth Burford.
  11. Possiblement Valéry Vasseur, frère d’Éléonore.
  12. Alexandrine Bremontier (dite Adine) et Charles Auguste Duméril ont trois enfants : Clotilde, Paul et Georges Duméril.
  13. Clémence, soit la jeune cousine Clémence Gibassier, soit une domestique chez les Cordier.
  14. Léon Duméril.
  15. Employés par les Duméril.
  16. L’homme de lettres et auteur dramatique Émile Vanderburch (1794-1862) a composé un livre de lecture pour les enfants de 7 à 9 ans : Le Petit neveu de Berquin, théâtre d'éducation pour le second âge (première édition en 1825, seconde édition illustrée en 1838), qui comprend : « Séliko, ou le Petit nègre » et de nombreux autres contes (« Le Chat botté », « La Vanité punie » ; « La Curiosité punie » « Croquemitaine repoussé avec perte », « L'Enfant gâté », etc.)
  17. Possiblement Anna Martin (née en 1846), petite-fille de Florimond Duméril l’aîné.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 12 septembre 1855. Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Adèle Duméril (Trouville) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_12_septembre_1855&oldid=61387 (accédée le 21 novembre 2024).

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