Mercredi 10 décembre 1879
Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
10 Décembre 1879
Quel bonheur nous avons eu, mon père chéri, en recevant hier la lettre que tu nous avais écrite Samedi, nous avions peur que toutes les communications ne soient arrêtées d’autant plus que nous connaissions par le journal la lamentable histoire du train arrêté entre Cernay et Lutterbach et à demi enseveli sous la neige. Nous avions pris le parti de t’envoyer une dépêche pour te donner de nos nouvelles et te prier de nous faire savoir par le même moyen comment tu allais parce que nous n’avions pas reçu de lettre depuis Mercredi dernier, et nous commencions à en être ennuyés ; mais ta bonne missive a ramené la tranquillité.
Le jour où tu nous a écrit, le froid diminuait un peu ; ici, nous croyions qu’il allait dégeler, mais pas du tout le thermomètre descend tous les jours davantage ; cette nuit à la fenêtre il y a eu 23 degré et quand je me suis levée il y en avait encore 20. Qu’est-ce que cela a été dans un endroit exposé au vent ? Tout gèle, oncle[1] passe son temps dans la ménagerie à inventer des moyens de réchauffer ses pauvres animaux ; mais ce matin le gaz ne marche plus et c’est justement dans la pièce chauffée au gaz que se trouvent ses animaux les plus précieux.
C’est aujourd’hui que M. Filhol[2] et Mlle Péligot se marient. M. Edwards[3] est témoin aussi est-il parti en grand apparat malgré le froid ; oncle et lui font partie du dîner mais l’un et l’autre se passeraient bien de cet honneur car il ne sera pas positivement agréable de rentrer tard par ce temps.
Lundi il a encore neigé toute la journée et comme on ne déblaie pas les rues, et qu’on se contente se frayer un petit chemin, il y a de grands murs de neige le long des trottoirs.
Cécile[4] est arrivée Lundi dans la journée étant partie de Lyon la veille au soir à 7 heures. Le train est resté quatre heures dans la neige sans pouvoir passer. La pauvre fille a perdu sa mère[5], elle s’est éteinte la semaine dernière après être restée je ne sais combien de mois sans quitter son lit. Cécile voulait t’écrire pour te l’annoncer, mais je lui ai dit que je me chargeais de la commission.
Bonne-maman Desnoyers[6] va bien à présent, et elle ne se ressent pas trop du froid, il est vrai qu’elle ne quitte pas sa chambre.
Et toi, mon papa chéri, comment vas-tu ? est-ce que cette température extraordinaire ne te fait pas de mal ? Du reste nous constatons par le bulletin météorologique que nous avons plus froid que vous, et que même à Moscou il n’y avait que 16 degrés tandis qu’à Paris il y en avait 24 ; aussi peut-être ce froid ne va-t-il pas durer, c’est tellement extraordinaire.
Aujourd’hui pour nous réchauffer, nous irons, en voiture, au mariage de M. Filhol à Saint-Germain-des-Prés, puis à notre leçon de piano[7]. Nous ne serons pas bien à plaindre, mais ce sont les pauvres gens qui travaillent dehors qui sont à plaindre et les malheureux qui n’ont ni de quoi se chauffer, ni de quoi se couvrir. Comme ils doivent souffrir !
Nous avons été bien tristes d’apprendre que le pauvre oncle Georges[8] n’allait pas mieux, au contraire. Pauvre tante[9], elle doit passer un hiver bien triste et elle doit être bien inquiète.
Bon-papa et bonne-maman[10] ne sont-ils pas bloqués au moulin ? comment peuvent-ils s’approvisionner ? il me semble que la neige doit rendre la course bien difficile, et il est probable que bonne-maman ne peut plus venir à Vieux-Thann.
Je te quitte pour préparer ma musique et aller revêtir ma robe de soie bleue.
Je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime.
Ta fille Émilie
Notes
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Henri Filhol épouse Berthe Péligot.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Cécile Besançon, bonne des demoiselles Mertzdorff.
- ↑ Marguerite Besancenez, veuve de Pierre Joseph Besançon.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Leçon de piano avec Pauline Roger.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Élisabeth Schirmer épouse de Georges Heuchel.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mercredi 10 décembre 1879. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_10_d%C3%A9cembre_1879&oldid=60696 (accédée le 15 novembre 2024).
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