Mardi 28 octobre 1879
Lettre de Marie et Émilie Mertzdorff (Paris) à leur père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris 29 Octobre 1879[1].
Mon Père chéri,
C’est encore moi qui viens te faire une petite visite, visite d’amitié seulement car depuis hier[2] je n’ai absolument rien appris qui puisse t’intéresser mais je ne veux pas manquer à mes bonnes habitudes et sous prétexte de t’envoyer des nouvelles régulières de mon genou qui aujourd’hui se porte tout à fait bien j’aime à venir causer un peu avec toi même n’ayant rien à te dire. Le beau temps continue, ce matin le ciel paraissait couvert et on dit même qu’il faisait froid mais le soleil n’a pas tardé à venir dissiper ces apparences et maintenant il brille dans tout son éclat aussi est-ce encore la fenêtre ouverte que j’écris.
J’ai commencé à lire ce matin les Mémoires de Mme de La Rochejaquelein[3], comme je viens de terminer les guerres de Vendée dans l’histoire de la Révolution[4], je trouvais intéressant de lire le récit de cette même guerre écrit par un des plus ardents partis de cette révolte malheureuse ; ce livre me captive beaucoup et j’en ai déjà dévoré un quart. Je pense comme c’est Mardi que nous aurons peut-être quelques visites aussi je viens de m’habiller un peu, tout le changement a consisté en un col et une cravate propres ainsi tu vois que mon luxe n’est pas encore considérable. Hier pendant que tante[5] et Émilie[6] étaient sorties j’ai reçu Mlle Duquesne[7] de Grenelle ; une grand’tante qui est aussi bien en admiration devant son petit neveu de 2 ans. M. Gosselin[8] qu’oncle[9] a vu hier à l’Institut a été enchanté que M. Empis[10] ait trouvé un peu de crépitation dans mon genou, ce qu’il avait vainement cherché et il a été confirmé dans sa 1ère idée ; il paraît que j’ai une périarthrite un peu rhumatismale mais que c’est aussi peu grave que le nom est ronflant. Mes deux médecins sont donc absolument d’accord et j’espère que demain on me donnera quelque permission de mouvement puisque aujourd’hui je ne sens nullement ma jambe. Émilie réclame et dit que c’était bien à son tour d’écrire ; je vais donc céder et lui abandonner ce reste de papier après t’avoir embrassé mille et mille fois de toutes mes forces mon Père chéri que j’aime tant.
Ta fille qui pense beaucoup à toi.
Marie
Mon père chéri, je ne veux pas encore aujourd’hui céder toute la place à Marie et je profite du petit bout de papier blanc qu’elle me laisse pour venir t’embrasser. J’ai passé toute ma matinée avec tante dans l’escalier de la cave à ranger les trois caisses de poires qui sont arrivées il y a deux jours. Elles sont toutes dans un état de santé parfait et nous en avons garni toutes les petites place vides que nous avons pu trouver après avoir rempli jusqu’au bord toutes les planches et les armoires qui leur avaient été primitivement destinées. Nous serons bien sûrs de ne pas manquer de fruits de cette année. Tu sais que c’est moi qui vais être chargée de veiller à leur conservation et ce ne sera pas une petite besogne. J’espère cependant que je m’en acquitterai bien (je suis pleine de belles résolutions à cet égard) et que je ne ferai pas manger que des poires pourries.
J’ai reçu ce matin une très gentille lettre de Marie Berger[11] à laquelle j’avais écrit pour lui exprimer tous nos regrets de ne pas les avoir trouvées pour leur faire nos adieux, et il paraît que le concierge ne leur a pas dit que nous étions venues et qu’elles n’ont appris notre départ que le Dimanche matin par Maria[12]. Cependant elles devaient s’en douter car je leur avais déjà dit que nous comptions partir ce jour-là.
C’est demain que je prendrai ma leçon de piano, j’ai un peu peur de ce que pourra me dire Mme Roger[13]. Mes pauvres [doigts sont raides] et plus maladroits que jamais ! Nous avons eu aujourd’hui la visite de Mme Brouardel[14] et celle de bonne-maman Trézel[15].
Marie t’a dit sans doute que bonne-maman Desnoyers[16] devait revenir à la fin de la semaine ou peut-être seulement au commencement de la semaine prochaine. Bon-papa est reparti Dimanche pour Launay.
Adieu, mon papa chéri, je t’embrasse aussi tendrement que je t’aime.
Ta fille Émilie
Notes
- ↑ Le mardi (voir plus bas le texte de la lettre) est le 28 octobre.
- ↑ Voir la lettre du 27 octobre.
- ↑ Marie Louise Victoire La Rochejaquelein, née de Donnissan (1772-1857), Mémoires de Mme la marquise de La Rochejaquelein écrits par elle-même (nombreuses éditions depuis 1814).
- ↑ Possiblement l'Histoire de la Révolution française d'Adolphe Thiers en 10 volumes in-8.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Mlle Duquenne ?
- ↑ Le docteur Léon Gosselin.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Le docteur Georges Simonis Empis.
- ↑ Marie Berger venue de Vieux-Thann à Paris( avec sa sœur Hélène et sa mère ?)
- ↑ Maria, possiblement une bonne des Milne-Edwards.
- ↑ Pauline Roger, veuve de Louis Roger.
- ↑ Élisabeth Coudray, veuve de Pierre Brouardel.
- ↑ Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mardi 28 octobre 1879. Lettre de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_28_octobre_1879&oldid=41417 (accédée le 15 novembre 2024).
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