Lundi 27 octobre 1879

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1879-10-27 pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-10-27 pages 2-3.jpg


Paris 27 Octobre 1879.

Que d’excuses j’ai à te faire de n’être pas venue dès hier comme j’en avais si bien l’intention te remercier de ta bonne lettre qui nous a fait tant de plaisir ; j’étais si bien en train de jouer et de rire avec oncle[1], Marthe[2], Émilie[3] et Jean[4] que j’ai laissé passer l’heure sans m’en douter, heureusement que tante[5] a eu plus de tête que moi et que tu n’en auras pas moins été, ce matin, tout à fait au courant de ma bonne journée de Samedi.

J’ai été enchantée de la visite de M. Empis[6], tu sais qu’il avait déjà gagné une fois mes bonnes grâces, et j’ai été très contente qu’il inspecte à son tour mon genou et qu’enfin il découvre quelque chose d’un peu malade car cela m’ennuyait de jouer ainsi un rôle intéressant sans qu’on ne découvre rien. Je mets consciencieusement 3 fois par jours la pommade destinée à désenflammer les [gaines] de mes tendons et je vis dans l’espoir qu’il m’a donné qu’après 8 jours de repos encore le mal serait passé. Hier, j’allais si bien qu’il me semblait que j’anticiperai ce terme des 8 jours et j’aspirais à Mercredi espérant que M. Empis qui doit revenir, étendrait bien vite mes permissions ; mais aujourd’hui mon coquin de genou calme un peu ces pensées d’émancipation et de temps en temps il élève ma la voix pour me dire qu’il n’est pas encore guéri ; je le tiens aussi tranquille que possible et vraiment il faut qu’il soit bien entêté pour persister ainsi à me faire mal par moments malgré tous les bons soins qu’on lui prodigue. En attendant je ne m’ennuie pas ; mon petit couvre-pied vient d’être fini ; j’aurai bientôt lu tout un volume de la Révolution[7], j’ai commencé Soll und Haben[8] (mais malgré ma bonne volonté il m’a complètement endormie hier soir) enfin comme toujours je trouve que le temps passe rapidement et je n’arrive jamais à faire tout ce que je m’étais proposé ; je flâne pas mal, je regarde par la fenêtre et j’ai sans cesse de bonnes et aimables visites qui viennent me distraire très agréablement. Il fait un temps splendide j’ai la fenêtre ouverte à côté de moi et le bon soleil inonde la chambre et vient chauffer mes pieds ; tu ne sais peut-être pas qu’on m’a parfaitement installée ; oncle a enlevé le piano qui est derrière la table d’Émilie et l’a remplacé par ma chaise longue de sorte que j’ai presque la tête dans la fenêtre qui donne sur le labyrinthe[9] et ma vue s’étend jusqu’à la rue Linné, de cette façon aussi j’ai le soleil toute la journée tantôt par une fenêtre tantôt par l’autre et à cette époque-ci c’est un hôte fort bien reçu ; depuis notre arrivée ici nous n’avons pas eu de feu un seul jour et on n’en a même pas éprouvé le besoin. Les caisses de poires sont arrivées hier et tante est dans ce moment à la cave occupée à les étaler dans leur nouveau domaine ; c’eût été mon ouvrage ! mais dans ce moment je ne saurai faire qu’une chose ce sera de les manger. Je ne puis te dire encore si elles sont en bon ou en mauvais état mais ce que je sais c’est qu’elles sont arrivées port payé contrairement aux recommandations faites et tante m’a chargée de t’en gronder. Combien la pauvre petite Hélène[10] a dû souffrir ! ses parents[11] ont dû être fort tourmentés afin de voir ce que c’était ? Et les vendanges ? si c’était moins triste pour les pauvres paysans on pourrait faire une vraie comédie. Es-tu sûr au moins que tes ouvriers daigneront boire le vin que tu leur fabriques ?

Adieu, mon cher petit Père, merci encore pour ta bonne et longue lettre reçue hier, écris-moi souvent rien que des petits mots cela me fera tant de plaisir.
Je t’embrasse de tout mon cœur et de toutes mes forces.
ta fille éclopée
Marie


Notes

  1. Alphonse Milne-Edwards.
  2. Marthe Pavet de Courteille.
  3. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  4. Jean Dumas.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Le docteur Georges Simonis Empis.
  7. Possiblement l'Histoire de la Révolution française d'Adolphe Thiers en 10 volumes in-8.
  8. Soll und Haben (Droit et avoir), roman de Gustav Freytag (1816-1895), publié en 1855, et en français en 1857 (plusieurs éditions suivent).
  9. Le labyrinthe du Jardin des plantes.
  10. Hélène Duméril.
  11. Léon Duméril et son épouse Marie Stackler.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 27 octobre 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_27_octobre_1879&oldid=40482 (accédée le 15 novembre 2024).

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