Mardi 19 et mercredi 20 septembre 1871

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Nogent-le-Rotrou-Launay)


original de la lettre 1871-09-19 pages 1-4.jpg original de la lettre 1871-09-19 pages 2-3.jpg


Vieux-Thann[1]

Mardi soir

Ma chère petite Gla,

Tu es bien gentille de nous écrire ainsi et de commencer ta journée, en venant causer avec nous car de la sorte tes lettres sont mises à la poste si bien à l'heure, qu'aujourd'hui à 4h nous étions en possession de celle que tu adressais à maman[2] hier matin à 8h. Je n'ai pas besoin de te dire que tous les détails que tu nous donnes sur les grandes et petites choses, ont un intérêt de premier ordre pour notre colonie de Vieux-Thann qui vit par la pensée près de toi, et jouit tant du repos que tu peux prendre tout en faisant les honneurs de Launay à toute ta famille.

Je vois que tout marche bien et que ton organisation est bonne, et je suis bien contente pour toi.

C'est nous qui, en propriétaire, allons avoir profité de votre séjour à Launay, car voici plusieurs réparations utiles pour lesquelles votre présence aura été très bonne, et je te remercie de veiller ainsi à tout depuis la solidité du toit jusqu'à la destruction des souris, sans oublier la question délicate que tu traites d'une façon si parfaite à tous points de vue. Je regrette le contretemps, mais je ne puis qu'approuver tout ce que vos soins éclairés à toi et à Alphonse[3] ont su décider... Nous avons bien ri, faut-il l'avouer, vous paraissez en avoir pris votre parti si bien en braves, que nous sommes excusables. Le guignon est sur l'objet, car Alfred[4] écrit à maman une lettre dont l'un des plus longs paragraphes traite du même sujet ; seulement la scène se passe à Montmorency.

Un petit bout de journal te fera peut-être plaisir. Vendredi et Samedi travail à la maison, maman s'acharne après sa petite bande qui est très jolie, qu'elle réussit bien et qui lui est agréable à faire, aussi celle qui l'a choisie a déjà reçu bien des compliments. Dimanche j'ai mal commencé ma journée, j'ai été avec papa[5], maman et Emilie[6] à la messe de 7h (sans avoir déjeuné, en me dépêchant) et pour je ne sais quelle raison (sans motif aucun) au dernier Evangile, j'ai perdu connaissance. Tu comprends l'émotion de nos pauvres parents, heureusement que ça n'a rien été, je me suis couchée quelques heures, et pour tout remède on m'a fait manger. J'étais bien ennuyée, comme bien tu penses.

Hier nous avons passé la journée à Morschwiller[7], comme la voiture ne pouvait tous nous contenir Charles et Marie[8] sont allés par chemin de fer. Je n'ai pas besoin de te dire qu'on nous a chargés de bien des choses pour toi, même nous avons eu le plaisir d'avoir une lettre de toi, celle adressée à Mme Auguste[9] qui a fait beaucoup plaisir. Je te fais compliment sur la propreté et le reste. Merci de m'avoir envoyé la lettre d'Attila[10], elle est remplie de beaux sentiments qui trouvent un écho dans nos cœurs car ils sont suggérés par la vertu et toutes les aimables qualités de notre Julien[11]. Je te remercie pour ma part d'avoir répondu, cela devait te coûter. Hélas, hélas, que de regrets pour nous tous dont il était la joie. Notre pauvre mère a des jours de tristesse, mais en somme elle est bien ainsi que papa, elle ne tousse pas. Je ne la laisse pas marcher, car après une toute petite promenade à pied, elle a eu un peu d'irritation, mais il me semble que ce soir le visage était bon, nous sommes allées faire visite à Mesdames Heuchel[12] et André[13]. Papa est toujours à son rocher, il vient de mettre les derniers coups de pinceaux, et en ce moment il a 4 ouvriers et avec les pierres qu'il retrouve encore dans le jardin il fait faire le petit pont sur la rivière là où il n'y avait qu'une planche. Le petit pont, œuvre de M. Edwards[14], est toujours très joli.

Les dernières décisions de l'Assemblée nous occupaient beaucoup[15], comme bien tu penses. Voici encore près de 2 années d'assurées, cela redonne un peu le temps de la réflexion ; Les voitures rapportent déjà de la marchandise et on pourra recommencer un peu à travailler. C'est bon pour tout le monde.

Bonsoir, ma Gla, je t'embrasse de tout cœur

EM

10h Mercredi matin à côté de maman, dans la fenêtre du salon havane. Cette bonne mère te fait dire qu'elle ne t'écrit pas aujourd'hui puisque tu auras de nos nouvelles ce qui n'empêche pas qu'elle pense beaucoup à toi et qu'elle t'embrasse bien tendrement ainsi que son petit Alphonse.

Cela m'amuse beaucoup qu'on nous prenne l'une pour l'autre. Jusqu'à nouvel avis, garde l'argent de La Croix[16].

Les fillettes embrassent leur ami Jean[17] et leur tante chérie et nous en faisons autant.

Eugénie M

Amitiés et respect à ton aimable entourage[18].

Demain nous aurons les Vatblé avec les Duméril.


Notes

  1. Lettre sur papier deuil, à situer pendant le séjour alsacien des Desnoyers (du 10 septembre au 13 octobre).
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Alfred Desnoyers.
  5. Jules Desnoyers.
  6. Emilie Mertzdorff.
  7. Morschwiller où vivent Félicité et Louis Daniel Constant Duméril.
  8. Charles et sa fille Marie Mertzdorff.
  9. Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
  10. Attila de Gérando.
  11. Julien Desnoyers (†).
  12. Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
  13. Marie Barbe Bontemps veuve de Jacques André.
  14. Henri Milne-Edwards.
  15. Allusion possible à la loi du 6 septembre 1871 qui, prenant acte de la réunion à l'Empire d'Allemagne des provinces d'Alsace et de Lorraine, accorde aux Alsaciens-Mosellans la possibilité d'opter pour la nationalité française jusqu'au 30 septembre 1872 (et jusqu'au 30 septembre 1873 pour les résidents hors d'Europe).
  16. Ferme de La Croix, à Launay.
  17. Le petit Jean Dumas.
  18. Aglaé est à Launay avec ses belles-sœurs Milne-Edwards et Mme Trézel.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 19 et mercredi 20 septembre 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Nogent-le-Rotrou-Launay) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_19_et_mercredi_20_septembre_1871&oldid=51782 (accédée le 14 novembre 2024).

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