Mardi, août 1877

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1877-08 pages 1-4.jpg original de la lettre 1877-08 pages 2-3.jpg


Paris [ ] Août 1877.

Mon cher Papa,

Comme je pense que nous allons être fort en mouvement aujourd’hui et que je tiens absolument à t’écrire je vais tout de suite venir auprès de toi je serai sûre au moins de ne pas manquer l’heure de la poste ; tu t’expliques déjà pourquoi je pense que nous serons agitées toute la journée car tu sais que c’est demain que nous partons pour Launay et il nous faut préparer nos affaires ce qui du reste ne sera pas long ; ensuite nous devons retourner encore chez le dentiste[1], aller chez Paulette[2] qui a dû revenir hier soir à Paris pour repartir à la fin de la semaine au Vivier, faire une dernière visite au bon Marché enfin terminer nos emplettes de voyage car nous n’aurons plus le temps en repassant ici de nous occuper de rien. Depuis qu’Émilie[3] t’a écrit Dimanche soir nous n’avons rien fait qui mérite de t’être signalé !

Dimanche à 5h Mme Pavet[4] et Marthe[5] sont venues nous faire une petite visite, Marthe est dans la joie la plus grande de venir avec nous joie bien partagée du reste, nous comptons faire bien des parties de rire et explorer la butte de fond en comble, oncle[6] doit aussi nous faire tirer avec l’arc de Jean[7] dans la sablonnière il prétend que c’est un très bon exercice mais j’ai peur de ne jamais pouvoir le tendre car il est bien grand. Oncle, comme Émilie a dû te le dire, avait passé toute sa journée de Dimanche au Jardin d’acclimatation, il n’est rentré qu’à 6h, ramenant avec lui M. Geoffroy[8] qui a dîné avec nous ; le soir nous avons été tous ensemble dans la ménagerie où il faisait délicieux car la journée au contraire avait été accablante.
Dans la nuit il y a eu un grand orage qui a très agréablement rafraîchi la température. Hier Lundi j’ai été avec tante[9] chez le dentiste qui n’a pas trouvé ma dent en état encore d’être plombée, ce qui fait que nous y retournerons aujourd’hui. De là nous avons été chez tante Target[10] qui est en ce moment toute seule à Paris et qui loin de se plaindre trouve cela la chose la plus naturelle du monde ; elle est vraiment admirable mais nous l’avons trouvée un peu fatiguée par la chaleur. De là nous avons été dans un magasin anglais chercher des manteaux imperméables afin de supporter bravement tous les orages qui auront envie de nous taquiner dans les Alpes ; cette course m’a beaucoup amusée car nous avions les commis les plus drôles du monde ; nous nous sommes enfin décidées pour 2 manteaux fort sacrifiant la beauté et la grâce à la légèreté et l’imperméabilité, espérons que nous en serons récompensées, l’expérience faite dans le magasin sur la pièce de drap a parfaitement réussi l’eau roulait dessus comme sur une feuille de chou. Nous sommes déjà en possession de nos bottes extra fortes et nous allons les emporter à Launay pour les faire ; je suis sûre que la vue de mes larges talons te réjouirait, si je tourne ces talons-là c’est à y renoncer. Et toi mon Père chéri, commences-tu à penser au pays des Helvètes ? Fais-tu des projets comme nous ? Je t’avertis que j’ai emporté par mégarde de Vieux-Thann ton album avec les nôtres et que je te le porterai en Suisse, ne le cherche donc pas. Oncle nous lit toujours les Nouvelles genevoises[11], c’est bien drôle, tu devrais les emporter à Wattwiller cela te distrairait. Mais sois tranquille, nous n’avons pas l’intention de copier toutes les jeunes Miss.

Adieu, Papa chéri que j’aime, que ne t’emmenons-nous demain ! Je suis sûre que des bains de sable chaud lutteraient comme efficacité avec les eaux minérales de Wattwiller et au moins pendant ces bains-là nous te tiendrions compagnie. Voyons cela ne te tente pas ? ton sac serait vite fait, tu voyagerais de nuit pour avoir moins chaud et nous irions à ta rencontre à la gare de Nogent, nous ferions vite ton lit et tout serait dit ; tu serais avec nous, et tu nous verrais tant nous amuser que malgré tous tes efforts tu ne pourrais pas t’empêcher de t’amuser et de rire aussi. Voyons ce ne serait pas la mer à boire et cette petite proposition demande réflexion ; si j’étais plus éloquente je te vanterais davantage les charmes de cette réunion au grand complet et peut-être que je t’entraînerais.

En attendant je t’embrasse de tout mon cœur et suis ta petite fille qui t’aime beaucoup, beaucoup
Marie


Notes

  1. Ernest Pillette.
  2. Paule Arnould.
  3. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  4. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  5. Marthe Pavet de Courteille.
  6. Alphonse Milne-Edwards.
  7. Jean Dumas.
  8. Probablement Albert Geoffroy Saint-Hilaire.
  9. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  10. Eléonore Pauline Lebret du Désert, veuve de Louis Ange Guy Target.
  11. Nouvelles genevoises de Rodolphe Töpffer (1850).

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi, août 1877. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi,_ao%C3%BBt_1877&oldid=61644 (accédée le 22 décembre 2024).

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