Lundi 7 avril 1919
Lettre de Damas Froissart (Paris) à son Louis Froissart (mobilisé)
Commandant Froissart
29, Rue de Sèvres, Paris[1]
Paris, le 7/4, 1919
Mon cher Louis,
Je viens d’avoir la visite de Guy de Place qui venait me parler de la réunion du lundi 14 à Vieux-Thann[2] : il est très désireux que tous les actionnaires y soient présents ou représentés. Si tu peux y venir, ce sera parfait et on te rendra la procuration que tu pourrais avoir envoyée – mais il faut, avant tout, que tu fasses tout pour que celle-ci arrive, et avec les retards dans le courrier, il faut s’y prendre d’avance. Si donc, quand tu recevras cette lettre, ta procuration n’est pas en route, envoie-la directement à [maison] Duméril Jaeglé et Cie[3] ou à Guy de Place à Vieux-Thann, par Thann (ajoutes-y la mention ne pas faire suivre, de peur que la lettre ne courre après Guy à Paris, et ne le rattrape pas. Les Bureaux et M. Meng regagnent Vieux-Thann cette semaine et Guy Vendredi prochain.
Si, par hasard, tu étais libre d’y venir, sache qu’il y a le lundi matin 14 une messe pour les membres du personnel de l’usine décédés pendant la Guerre : je pense (sans en être sûr) qu’un train partant le matin de Mulhouse pour Thann te permettrait d’arriver à ce service. Il est possible que nous-mêmes, c’est-à-dire ceux d’ici qui m’accompagneront couchent dimanche à Mulhouse, dimanche soir bien que Guy nous offre 2 chambres à l’hôpital de Vieux-Thann où il vient de s’installer avec un confort relatif. Les heures du train me manquent au moment où je t’écris.
Je t’ai renvoyé le 1er Avril en la recommandant la lettre qui arrivant pour toi, recommandée, t’apportait le pouvoir à signer pour le 14.
Le fait qu’il s’agit d’une réunion extraordinaire nécessite qu’il y ait le plus grand nombre de voix que dans une réunion ordinaire pour que les décisions soient prises.
Il est question d’autre part que ta mère[4] m’accompagne : Guy voudrait aussi que Jacques[5] y soit : l’entraînerons-nous. Oui s’il y a, la veille, Réunion du conseil de surveillance dont il est membre, parce que, dans ce cas, son voyage est payé : sinon, non ! parce qu’il revient de Belfort où il a été [causer] avec son copain [Arquembourg] qui y est encore mobilisé pour quelques jours.
Degroote[6] nous a quittés hier pour aller recevoir un 3e wagon de meubles expédiés de Meudon. Mais (opération plus importante) il doit trouver, cette fois à Hazebrouck les engins qui permettront à son déménageur de transporter du 1er du 61 de la rue de la Clef au 41 rue du Rivage, un meuble de la Maison Fichet[7] qui ne se déplace pas facilement et où il pourra donner l’hospitalité à des objets précieux que l’oncle[8] manifeste le désir de lui confier avant d’aller faire une cure d’Aix. Le dit oncle a, depuis 2 mois, une santé précaire : Il a même eu une ou plusieurs syncopes : est-il en état d’aller à Aix ??
Ici Claude[9] est à la veille d’être baigné et remis en contact avec ses parents : il n’a vu depuis 5 semaines que ta mère en dehors de sa nounou.
Georges[10] a une Rubéole qui l’a fait isoler depuis 3 jours.
Les autres vont bien.
Tu as su que j’ai fait il y a 10 jours un séjour à Campagne avec Michel[11], ce qui m’a permis de l’initier aux mystères du « balivage » et du « solivage » tant au [Ban de Rue] qu’à Boufflers[12] (où j’ai vendu mes 60 peupliers, dans le carré de bois marécageux que j’y possède). Nous sommes allés plusieurs fois à Bamières où nous avons vu ton oncle Paul[13] – tu sais qu’il a eu un peu de congestion, lui ôtant l’emploi normal d’un bras et d’une jambe, sans d’ailleurs affecter sa santé générale. Il cause comme d’ordinaire mais il traînait la jambe et ne descendait pas. Il descend maintenant, nous est-il revenu.
De Campagne, je suis allé en Auto rouge chez Laure[14] (le vilebrequin de l’autre s’étant cassé bien malencontreusement dans le garage lors de l’allumage. après 4 mois de repos m’a-t-il été dit !!!!), puis à Calais, Oye, Petite-Synthe, Dunkerque, Hazebrouck, Boulogne, où je désirais assister aux obsèques de M. Félix Adam avant de rentrer ici. Mes pourparlers de relocation avec 50% d’augmentation ou avec prix, variable, suivant un programme très étudié, avec le prix des produits et avec les dépenses de la ferme n’ont pas abouti jusqu’ici. Je tiens bon, ne pouvant admettre que tout double ou triple de valeur et que les fermages n’augmentent pas au moins de 50%. Les pourparlers vont peut-être reprendre, cette semaine, avec une échelle mobile ne comprenant plus que 3 échelons les prix du blé, de la Betterave et du kilogramme de viande du bœuf vivant, ce qui tient en 6 lignes au lieu de 4 pages et ne nécessite que la lecture des mercuriales.
Si on ne marche pas sur ces bases, je crains que [j’ensemencerai] les fermes à louer : le fait qu’elles sont à prendre dans quelques mois est une circonstance peu favorable.
J’ai la promesse (verbale jusqu’ici) d’une location à 3 000 F avec faculté d’achat à [75 000] d’ici à 3 ans, de la maison Rich[15]à Vieux-Thann, le paiement d’un dédit de 3 000 F si nous n’achetons pas. Il paraît qu’un mauvais coucheur qui habitait cette maison avant la guerre pourrait me créer des ennuis et je vais tâcher d’avoir un bail écrit. Il s’agit du célèbre Beha, acheteur de l’usine Berger, qui était autorisé, dit-on, à habiter cette Maison jusqu’à la mort, survenue récemment, de Madame Berger mère[16].
Michel doit être bientôt à Troyes s’il n’y est déjà, et pense [voisiner] un peu avec Paris. Pierre[17] est venu passer 24 heures à Paris avant le départ de Michel qui est parti avec lui allant joindre son groupe à Lunéville, où il n’a fait que passer.
J’ai appris (avec la satisfaction que tu devines) que, à défaut d’autres avantages, Neunkirchen a celui de s’être prêté à la reprise de tes chères études. J’espère que tu trouves tout le temps que tu désires. Penses-tu toujours entrer aux Mines de Sarrebruck, je ne sais si je dois le désirer pour toi avant que tu sois débarrassé de la tâche commencée, la licence.
Charles de Fréville est démobilisé, en principe, mais retenu encore pour le service qu’il occupe au service financier à Strasbourg jusqu’à ce que certains résultats soient atteints : il était hier en mission à Paris, paraît-il, et devait voir le Ministre[18] lui-même ?
Brunehautpré nous est rendu, mais je refuse de le recevoir sans un nouvel inventaire : on a fait en mon absence un simulacre d’inventaire malgré mes instances, avant le départ du personnel. Le capitaine américain qui restait auprès le Colonel[19] (retourné brusquement auprès de sa femme malade en Amérique) étant absent, le plus souvent, ça devient une boutique [ ] où personne ne commande plus.
Mille amitiés.
J’espère que tu ne tousses plus !
Notes
- ↑ Papier à en-tête.
- ↑ Voir la lettre de Guy de Place du 22 mars 1919.
- ↑ L’entreprise DJC.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.
- ↑ Jacques Froissart, frère de Louis.
- ↑ Henri Degroote.
- ↑ Maison qui fabrique des coffres-forts, fondée par Alexandre Fichet (1799-1862), gérée depuis 1914 par Jacques Bournisien et Marcel Beau.
- ↑ Ferdinand Degroote.
- ↑ Le petit Claude Froissart, fils de Jacques Froissart et Elise Vandame ; il a deux frères.
- ↑ Georges Degroote ; il a quatre frère et sœurs.
- ↑ Michel Froissart, frère de Louis.
- ↑ Rue et Boufflers, villes dans la Somme.
- ↑ Paul Froissart.
- ↑ Laure Froissart, veuve de Jules Legentil.
- ↑ Maison de la famille de Paul Henri Rich (†), époux de Maris Berger.
- ↑ Joséphine André, veuve de Louis Berger.
- ↑ Pierre Froissart, frère de Louis.
- ↑ Georges Clemenceau, ministre de la Guerre du 16 novembre 1917 au 18 janvier 1920 ?
- ↑ Le colonel Robert Bacon.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 7 avril 1919. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_7_avril_1919&oldid=53115 (accédée le 21 novembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.