Lundi 30 avril 1917
Lettre de Guy de Place (mobilisé) à M. Meng (Fellering)
Répondu le 3.5. 1917
le 30 avril
Mon cher Monsieur Meng
Je reprends la plume pour répondre à votre lettre du 24 courant. En même temps j’accuse réception à M. Hochstetter de l’état Léon frères[1] que je viens de faire suivre à Paris.
Inventaires. Entendu pour que M. Zundel se joigne à MM. Meyer et Zwingelstein pour nous représenter. Je suis d’accord également pour que M. Muller fils[2] soit proposé comme expert pour le compte de l’administration.
En raison du prix que coûteront les machines après la guerre, il faudra que nos experts défendent très énergiquement nos intérêts. Il ne faudra pas, en particulier, qu’ils oublient qu’en dehors de la machine proprement dite, il y a une foule d’accessoires qui font qu’une machine mise en place revient parfois au double de son prix net d’achat : Bâtis, commandes, garde-fous, passerelles de circulation (autour des rames par exemple, etc.) En outre les procès-verbaux devront être établis de telle sorte qu’il apparaisse clairement que le prix d’évaluation porté sur l’inventaire ne serait pas forcément le prix à payer en cas de réquisition : il ne faut pas que nous soyons, en cas de réquisition, liés par le prix d’évaluation. Par exemple : 1 machine achetée 30 000 F, sera évaluée avec 10% d’usure : il ne s’agit pas que nous soyons obligés à la céder à 27 000 F. En effet suivant la loi sur les réquisitions et la jurisprudence dont je vous ai parlé, il faut que le prix qui nous sera versé nous permette de la remplacer par une machine analogue sans y gagner ni y perdre. Par contre il est bien évident que les expertises que nous acceptons nous lient sur la valeur de l’usure d’une machine, ou le pourcentage de moins value dû au fait de guerre. Sous réserve qu’un bombardement subséquent ne vienne pas augmenter cette plus moins value.
Scierie. Je m’élève très énergiquement contre la manière de faire du commandant Hirsch cherchant à vous influencer en prétendant qu’une réquisition ferait mauvais effet sur notre compte et je vous prie de vouloir bien porter ma protestation formelle à M. Poulet. J’ai non seulement à couvrir ma responsabilité vis-à-vis des actionnaires mais aussi à défendre leurs intérêts : il peut se faire que la réquisition soit le seul moyen de les défendre et cette procédure n’est en rien contraire aux Intérêts de la défense nationale : elle est précisément prévue pour concilier tous les intérêts : ce peut être mon devoir de l’exiger et c’est mon droit absolu d’y avoir recours. Il est évidemment plus commode de s’entendre à l’amiable ; et c’est toujours ce que nous ferons lorsque les offres qui nous sont faites le permettront : mais nous devons songer dès à présent au remplacement de l’outillage qui nous est enlevé : si le prix offert ne nous permet à l’avenir le remplacement de cet outillage que dans des conditions de pertes que la défense nationale ne n’a jamais songé à nous imposer, nous demanderons la réquisition, n’en déplaise au commandant Hirsch. J’ai fait assez de réquisitions depuis le commencement de la guerre pour savoir que l’honneur de personne n’en est diminué, et je suis tout le premier à proposer cette procédure quand je reconnais que c’est le seul moyen de régler en toute justice des intérêts contradictoires.
La réquisition, je le répète, n’est qu’une forme de procédure ; il ne faut pas la confondre avec l’intervention de la force armée. C’est ce que m’a l’air de faire le commandant Hirsch. Ce que j’en dis n’est pas du tout pour vous blâmer d’avoir accepté de vendre à l’amiable : je crois les prix que vous avez obtenus pour la scierie satisfaisants. Ça m’intéresserait de savoir ce qu’avaient coûté les diverses machines. Si je me suis appesanti sur ce chapitre c’est uniquement d’ailleurs pour ne pas vous laisser sous l’impression que nous pourrions être déshonorés par le fait que nous demandons une réquisition : ça ne peut en rien faire mauvaise impression. le tout, bien entendu, est dans la manière de le faire.
Mura. Je suis très au regret de voir partir Mura ; je lui rends entière justice et ce que j’en pense se confond entièrement avec ce que vous m’en dites. Dans les circonstances actuelles nous ne pouvons malheureusement pas lui faire une proposition d’appointements équivalents à ceux dont il nous parle. Nous ne pouvons que regretter son départ ; vous voudrez bien lui dire toutefois que j’ai très vivement apprécié ses services pendant la guerre et que je l’en remercie personnellement. Vous pouvez lui dire qu’il est le seul de nos employés dont les appointements soient supérieurs aux appointements du temps de paix, les autres, même ceux qui travaillent, ayant dû subir des réductions conformes aux circonstances. Vous ajouterez que mon intention était d’en tenir compte dans une très large mesure à la paix et que j’avais entretenu déjà le conseil de son cas.
Pour vous, j’ajouterai que j’avais reçu il y a trois mois une lettre incriminant son honnêteté. Je n’ai pas voulu y donner suite, parce que je me rendais très bien compte qu’elle était inspirée par Flory. Je ne vous en ai pas parlé davantage parce que cette lettre me disait que vous étiez averti. Il était donc tout à fait inutile de bâtir en ce moment une histoire puisque d’un côté je ne voulais pas ajouter foi à ce qui m’était dit et que je me disais d’autre part que M. Meyer et vous étant avertis le nécessaire serait fait.
Aujourd’hui que j’apprends que Mura a eu à souffrir de ces bruits calomnieux je regrette de ne pas vous en avoir entretenu plus tôt ; il est vrai que je regrette maintenant aussi que vous n’ayez pas abordé le premier ce sujet. Entre les deux je n’aurais pas hésité une seconde à balancer Flory. Il n’est pas dit d’ailleurs que je ne le fasse pas. Je voudrais que vous causiez de cette affaire en secret avec MM. Meyer et ZWingelstein et que vous me disiez le résultat de votre conférence. Quel a pu être dans le départ de Mura le rôle de Flory. Quel est d’ailleurs d’une manière générale le rôle de Flory dans la fabrique. Quelle attitude a-t-il : avec qui correspond-il ? Je ne suis pas du tout sûr de sa discrétion et je crains qu’il continue une correspondance qui pourrait ne pas être très correcte. Nous rend-il des services. Quelle attitude a-t-il vis-à-vis de vous et de MM. Meyer et ZWingelstein. Je suis tout prêt à lui interdire l’accès de la fabrique. Je vous prie instamment de ne mêler à cette conversation aucune autre personne que Meyer et ZWingelstein.
J’estime en outre que Lucien W. n’est absolument pas qualifié pour remplacer Mura là-Bas. Voyez si parmi nos contremaîtres vous n’y en trouveriez pas de capable d’y aller. Au besoin parmi des ouvriers susceptible de faire un contremaître. Est-ce que Mambré[3] ou [Lassonne] ne pourraient faire. Mambré pourrait, s’il voulait : En tous cas je veux quelqu’un d’absolument indépendant de Flory, qui ne puisse être sous son influence et ne se laisse pas faire par lui, ou même si besoin en est, sache lui tenir tête. Autrement dit je ne veux pas là-Bas un double de Flory. Plutôt quelqu’un qui soit mal avec lui.
Salaires. Entendu pour les augmentations que vous me demandez.
Aucune nouvelle de la demande de permission spéciale.
Nordon. Les 4 premières chaudières me paraissent en effet bien vendues. Pour les 3 autres la différence entre le prix d’achat et le prix de vente est tout de même encore de 25%. J’espère que vous arriverez à les vendre sans baisser davantage.
Assez pour aujourd’hui. Cordialement à vous.
GP
Notes
- ↑ Fin XIXe siècle, « Léon frères » est une entreprise de tissage mécanique à Paris.
- ↑ Le fils de François Xavier Muller-Fichter ?
- ↑ Probablement Albert Mambré.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 30 avril 1917. Lettre de Guy de Place (mobilisé) à M. Meng (Fellering) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_30_avril_1917&oldid=51845 (accédée le 21 novembre 2024).
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