Lundi 22 mars 1875 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1875-03-22B pages 1-4.jpg original de la lettre 1875-03-22B pages 2-3.jpg


Paris le [ ] [Pâques sonnés]
22 Mars 1875.

Mon petit Papa chéri,

Voilà bien bien longtemps que tes vilaines filles[1] ne sont venues te dire un petit bonjour, c’est bien mal à elles aussi te demandent-elles bien pardon d’autant plus qu’elles ont reçu ta bonne lettre et qu’elles ont appris avec une joie indicible qu’elles allaient enfin pouvoir embrasser leur petit père chéri. Que tu es bon de venir mon petit papa, tu ne te doutes pas du bonheur que cela nous fait nous en avions si envie. Nous allons avoir huit jours de vacances complètes c’est-à-dire que Mme Charrier[2] nous donnera les devoirs d’une semaine à faire en quinze jours. Cette semaine-ci du reste nous avons déjà bien moins à travailler car à mesure qu’un devoir pour les prix est fait on laisse de côté cette partie-là jusqu’après la distribution où nous recommencerons de nouveau à piocher pour le prix de la fin de l’année.

Le froid continue toujours cette nuit il a même gelé et tout à l’heure en traversant le palais royal nous avons remarqué que le bassin était couvert d’une mince couche de glace. On ne croirait jamais que nous sommes entrés depuis hier dans le printemps. Je n’ai rien de particulier à te dire, mon petit père cependant je m’en vais passer en revue tout le long temps qui s’est écoulé depuis la dernière lettre (si toutefois cette espèce de petit chiffon mérite cette dénomination pompeuse). Vendredi nous avons eu Mme Lima[3] et suivant son habitude cette bonne chère dame est restée 2h à nous parler de [Louis] et d’André Buffet[4] du reste ce dernier sujet nous amuse beaucoup. Puis nous sommes sortis vers [3]h et nous avons été en faisant une ou deux petites courses jusque chez Marie Des Cloiseaux qui n’a pas sa mère[5] en ce moment. Samedi j’ai eu Mlle Duponchel[6] et j’ai terminé mon ange puis nous avons filé chez Mme Roger[7] car je t’assure que nous nous dépêchons bien. Nous sommes rentrées de suite pour faire notre analyse ce qui a été laborieux je t’assure car Emilie[8] n’ayant pas été au catéchisme nous n’avions pour nous deux que mes seules notes qui par un immense malheur étaient indéchiffrables (malheur hélas qui arrive souvent) nous nous sommes donc installées l’une à côté de l’autre Emilie me demandant à tous les mots ce que cela signifiait enfin nous avons fini par nous en tirer.

Hier Dimanche après le catéchisme nous avons été avec Jeanne Brongniart jouer au croquet chez Marthe[9] où nous nous sommes extrêmement amusées nous avons toutes en ce moment une passion [nouvelle] pour ce jeu, Mme Brongniart[10] prétend que sa fille en rêve. Oncle et tante[11] sont venus nous chercher à 3h ½ et nous sommes rentrées emmenant avec nous Jeanne B. et Marthe. Elles se sont installées dans le cabinet d’oncle à jouer au cheval blanc[12] tandis que moi j’ai aidé oncle à battre essuyer et transporter des livres qui je t’assure étaient terriblement gris. Puis après le dîner je suis montée et j’ai passé toute ma soirée à ranger notre chambre et surtout notre armoire qui en avait bien besoin. Aujourd’hui nous sommes parties à 10h ½ chez le dentiste[13] encore pour ma pauvre petite sœur mais maintenant c’est fini. M. Pillette n’a pas l’air de faire de bonnes affaires.

Nous sommes rentrées jusqu’au Louvre à pied en entrant dans toutes les boutiques pour demander des perles pour raccommoder un châle à bonne-maman Trézel[14] et nous n’avons pu en trouver, maintenant nous voilà à la maison et en attendant Mlle Bosvy je vais aller jouer Sans Souci[15] avec Emilie. J’oubliais de te dire que ce bon petit oncle a lu Vendredi et Samedi soir la fille de Roland[16] ce qui nous a fort amusées.

Je t’embrasse de toutes mes forces ainsi que bon-papa et bonne-maman[17]

ta fille qui t’aime

Marie Mertzdorff


Notes

  1. Marie et sa sœur Emilie Mertzdorff.
  2. Caroline Boblet, veuve d’Edouard Charrier, directrice du cours.
  3. Mme Lima, professeur d’allemand.
  4. Lien avec la famille de Louis Joseph Buffet ?
  5. Alix Paris d’Illins, épouse d’Alfred Des Cloiseaux.
  6. Marie Louise Duponchel, professeur de dessin.
  7. Pauline Roger, veuve de Louis Roger, professeur de piano.
  8. Emilie Mertzdorff.
  9. Marthe Pavet de Courteille.
  10. Catherine Simonis, épouse d’Edouard Brongniart.
  11. Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
  12. Le jeu du cheval blanc est un jeu de vente aux enchères, alors en vogue ; il comprend 5 grands cartons : le cheval blanc, la cloche, le marteau, la cloche et le marteau réunis et enfin la douane. On utilise 8 dés gravés de chiffres, de la cloche, du marteau.
  13. E. Pillette, dentiste.
  14. Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
  15. Sans Souci, morceau non identifié, plusieurs œuvres portant ce titre.
  16. La Fille de Roland, d’Henri de Bornier (1825-1901), drame en 4 actes, en vers, qui connaît le succès ; créé au Théâtre-Français (Paris) le 15 février 1875.
  17. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 22 mars 1875 (B). Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_22_mars_1875_(B)&oldid=42485 (accédée le 28 mars 2024).

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