Lundi 18 février 1878

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1877-02-18 pages 1-4.jpg original de la lettre 1878-02-18 pages 2-3.jpg


Lundi 18 Février 1878.

Mon Père chéri,

J’ai été bien contente, je t’assure, de tous les détails que tu nous donnes sur Hélène[1] cette illustre petite fille qui sait déjà si bien remplir sa place dans les pensées et l’affection de ceux qui l’entourent et même de ceux qui sont très loin d’elles. Il me semble que je la vois remuant ses petits doigts et faisant la petite moue par laquelle elle t’a accueilli. Mais j’aimerais encore bien mieux la voir réellement, entendre ses cris et les calmer même aux besoin, quoique je ne m’y entende guère cependant ; je n’ai jamais osé porter un bébé, je suis si maladroite que je ne sais par où les prendre. Bonne-maman[2] doit être bien contente surtout voyant la maman[3] et l’enfant en bonne voie ; c’est là le principal.

La grande agitation du Lundi a commencé, elle me semble pourtant moindre que les deux premières fois car Marie[4] est à son cours de dessin ; tante[5] l’y a menée en allant chercher des fleurs place Saint-Sulpice et Mlle Duponchel[6] la ramène à 4 heures. Cette pauvre tante est très occupée en bas à arranger des corbeilles de fleurs pour les bouts de table. Quant à moi, je suis vraiment honteuse de mon inaction, je reste bien tranquillement dans mon petit salon tandis que tout le monde va et vient. Tout cela changera après l’examen[7].

Je serai placée ce soir à côté de M. Hément[8] un examinateur et j’espère bien qu’il me demandera si je compte passer mon examen ; oncle[9] ne veut pas le lui dire parce qu’il craint que de paraître ne l’avoir invité que pour cela, et c’est tout au contraire pour lui rendre un dîner. Je suis néanmoins très contente de cette rencontre car me connaissant il s’intéressera davantage à mon sort et c’est tout juste un des examinateurs les plus difficiles ; il demande toujours qu’on dessine les côtes de France au tableau mais je ne m’en soucie pas du tout, et je t’assure que je ne laisserai pas échapper l’occasion de lui dire que je ne sais pas dessiner.

Nous avons reçu ce matin le billet de mariage de Jeanne Laroze[10] ; c’est pour le Jeudi 27 Février.

Samedi nous avons été à la Sorbonne pour entendre la conférence de M. Boissier[11] (gendre de MmeBurnouf[12]) sur les rapports de l’archéologie avec l’histoire. Oh ! que je t’ai regretté ; c’était si intéressant, et si bien dit. M. Boissier a démontré par des exemples pris dans l’histoire romaine principalement à l’époque de Tacite, comment l’archéologie sert à vérifier l’histoire, à la compléter, et y supplée même quelquefois ; je voudrais bien pouvoir te redire tout ce qu’il a dit mais j’ai la mémoire trop courte pour cela, et quand bien même elle serait assez longue, je n’aurais jamais le temps de tout écrire. J’aurais bien voulu que tu puisses l’entendre je suis sûre que tu en aurais été aussi enchanté que nous.

Il fait un temps superbe depuis quelques jours, et il fait si chaud que nous ouvrons notre fenêtre toute la journée.

Adieu mon père chéri, chéri, je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime et je te charge de toutes mes amitiés pour bon-papa, bonne-maman[13], oncle Léon, tante Marie et Mlle Hélène[14].
C’est demain qu’aura lieu le baptême. Si je ne suis pas présente à la cérémonie, je n’y penserai pas moins.
Ta fille Emilie.

Nous aurons encore un examen demain. C’est assommant ce monsieur Pitolet[15] va encore nous tenir de 1h à 6 pour nous raconter les mêmes histoires que la dernière et l’avant-dernière fois, car il ne varie jamais.


Notes

  1. Hélène Duméril, bébé dont Emilie Mertzdorff est la marraine.
  2. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  3. Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
  4. Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie ; elle dessine à l’atelier de Paul Flandrin.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Marie Louise Duponchel, professeur de dessin.
  7. Brevet de capacité à l’enseignement primaire.
  8. Félix Hément.
  9. Alphonse Milne-Edwards.
  10. Jeanne Laroze épouse Joseph Jules Frédéric Merlhe.
  11. Gaston Boissier.
  12. Reine Victoire Angélique Poiret, épouse d’Eugène Burnouf.
  13. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
  14. Léon Duméril, son épouse Marie Stackler et leur fille Hélène Duméril.
  15. Amédée Pitolet.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 18 février 1878. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_18_f%C3%A9vrier_1878&oldid=40310 (accédée le 24 avril 2024).

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