Jeudi 4 décembre 1879
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
[Jeudi 4[1]] Décembre 1879
Mon Père chéri,
C’est au milieu d’épouvantables tourbillons de neige que je t’écris, et si ma pauvre petite lettre t’arrive saine et sauve ce sera bien en dépit de tous les éléments déchaînés ; il y a longtemps que je n’ai vu un aussi mauvais jour ; il neige depuis ce matin et comme il fait beaucoup de vent on dirait une véritable tempête ; c’est à peine si on y voit ; les malheureuses personnes qui s’aventurent dans le jardin enfoncent jusqu’à mi-jambe et quoique cela nous rappelle un peu notre excursion au col des Chaudes[2] nous n’envions pas du tout leur sort et nous nous réjouissons de n’être pas forcées de sortir. J’attendais ce matin M. Beauregard[3] mais il n’est pas venu, je me suis bornée à peindre toute seule. Tante[4] vient de partir chez bonne-maman[5] qui est toujours bien enrhumée ; nous en étions même tourmentées depuis quelques jours mais M. Dewulf[6] qui est revenu hier matin d’Italie et qui a de suite été voir bonne-maman nous a rassurés en disant que ce n’était bien réellement qu’un rhume et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.
Ce qui nous a fait bien de la peine c’est ce que tu nous dis du pauvre oncle Georges[7] ; pourvu que ce ne soit qu’une crise passagère comme il en a eu déjà ; j’y pense bien souvent et je suis très triste de le savoir si malade ; je suis sûre aussi que cela te préoccupe beaucoup mon petit Père chéri ; j’attends avec impatience de ses nouvelles qui je l’espère sont meilleures. Combien la tante[8] doit souffrir ! Y vas-tu souvent ? Tes visites lui font toujours tant de plaisir.
Bonne-maman Trézel[9] est toujours avec nous ; sa bonne ne revient que Lundi – elle est très aimable et ne paraît pas trop s’ennuyer ici et cependant nous ne faisons pas trop autant de frais que nous devrions ainsi en ce moment je t’écris en lui tournant le dos disant un mot de temps à autre seulement pour lui faire remarquer comme il neige fort && conversation qui varie peu et que tu entends de loin sans que je te la répète. Le soir nous lisons régulièrement l’histoire de notre cher Copperfield[10] ; nous l’avons enfin marié hier soir avec sa petite Dora et tout ce récit des préparatifs et de la noce est ravissant ; je suis fâchée que tu ne l’aies pas entendu jusqu’au bout.
Hier il faisait très froid mais il ne neigeait pas du tout et on marchait agréablement aussi pendant que j’allais à ma leçon de piano[11] avec tante, Émilie[12] est sortie avec oncle[13] pour réaliser un de ses rêves : elle a été acheter de beaux petits patins ! et on compte aller prochainement à Vincennes pour lui faire faire ses 1ères armes. Tu devines sa joie ! et en la voyant je déplore de n’avoir pas mieux le sentiment de l’équilibre.
Après la leçon de Mme Roger nous avons été faire une petite visite à Paule[14] chez laquelle je n’étais pas encore montée depuis mon retour ; elle n’allais pas mal et n’avait pas souffert depuis cinq jours.
Ce soir tante Louise et Marthe[15] dînent avec nous ce sera là toute la famille. On a reçu hier une dépêche de Mme Dumas[16] qui est arrivée à Cannes et installée à l’hôtel Beau Rivage (où elle a déjà été) avec Jean[17] et le précepteur[18] qui est très bien paraît-il.
Adieu, mon cher cher petit Papa, je saute à ton cou et je t’embrasse de toutes mes forces comme je t’aime. Prends bien garde d’avoir froid par ce vilain temps.
ta fille Marie
Dis à oncle Georges combien nous pensons à lui. J’embrasse bien fort bon-papa et bonne-maman[19]. Merci, merci mon petit papa pour ta lettre d’hier qui nous donne tant de bons détails, tu sais comme nous en sommes friandes de ces chères lettres-là.
Ci-joint la carte d’un M. qui venait l’autre jour te présenter ses hommages au nom singulier, je crois reconnaître le protégé de sœur Bonaventure. Je te prie d’admirer les belles tranches dorées de cette carte. Ce n’est pas en France qu’on [imagine] un raffinement [pareil].
D’après le bulletin météorologique je vois que nous avons plus froid qu’à Belfort.
Notes
- ↑ Probablement jeudi, jour du dîner de famille.
- ↑ Excursion en Suisse l’été précédent.
- ↑ Ange Louis Guillaume Lesourd-Beauregard.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Le docteur Louis Joseph Auguste Dewulf.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
- ↑ Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
- ↑ David Copperfield, roman de Charles Dickens d’abord paru en feuilleton en 1849-1850.
- ↑ Leçon de piano avec Pauline Roger, veuve de Louis Roger.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Paule Arnould.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille et sa fille Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse de Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ L’abbé Clair.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 4 décembre 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_4_d%C3%A9cembre_1879&oldid=40105 (accédée le 18 décembre 2024).
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