Mardi 2 décembre 1879 (B)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1879-12-02B pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-12-02B pages 2-3.jpg


2 Décembre 1879
Mardi

Mon pauvre papa,

Que tu as dû avoir froid toute la nuit dans un wagon qui fermait mal je t’assure que j’ai bien pensé à toi tout en m’endormant sous mes quatre couvertures surmontées d’un édredon ce qui ne laissait passer que mon bonnet de nuit, j’aurais bien voulu te communiquer un peu de cette bonne chaleur et je t’assure que je te l’aurais bien volontiers donnée. Aujourd’hui le jardin est couvert de neige, et il est loin de faire chaud.

Marie[1] t’a certainement dit Dimanche que bonne-maman Desnoyers[2] était un peu souffrante deux jours de suite, au moment du dîner, elle a été prise de malaises et d’envies de vomir. Aujourd’hui elle a passé toute sa journée dans son lit, se sentant trop fatiguée pour se lever. On attend avec impatience le retour de M. Dewulf[3] car bon-papa[4] craint d’inquiéter bonne-maman en demandant un autre médecin, et du reste on pense qu’il ne dirait rien, il est probable que ces malaises et cette fatigue proviennent de la faiblesse plutôt que d’une maladie qui commence. Pauvre bonne-maman, elle vieillit tant, c’est bien triste.

Bonne-maman Trézel[5] est installée ici depuis hier au soir, elle a pris domicile dans ta chambre pendant que sa bonne est absente. Élisa est partie hier matin et il était convenu que nous devions aller chercher bonne-maman vers quatre heures en sortant du cours de physique[6], car elle préférait rester seule tout ce temps plutôt que d’aller chez Mme Pavet[7] comme tante[8] le lui avait proposé. Enfin à 4 heures nous arrivons chez elle, nous sonnons d’abord, puis nous carillonnons, bonne-maman ne nous entendait pas, nous avions déjà tiré la sonnette une vingtaine de fois au risque de la démantibuler, Mme Trézel n’entendait toujours rien. Enfin on avise à un expédient plus sûre, car tante commençait à s’inquiéter ; nous allons chercher une échelle chez Mme Audouin[9] ; avec l’aide de sa bonne et de la concierge on l’applique le long du mur dans l’escalier contre une petite lucarne qui par bonheur était ouverte et qui sert de fenêtre au couloir, puis la bonne de Mme Audouin qui était de nous toutes la plus agile et la moins encombrée de jupes et de manteau escalade rapidement l’échelle, la petite lucarne, et descend dans le corridor, de là elle est venue nous ouvrir la porte. Bonne-maman était tranquillement dans son petit salon, fort étonnée de voir entrer quelqu’un à qui elle n’avait pas ouvert, et fort contrariée, humiliée, comme elle disait de n’avoir pas entendu la sonnette.

Hier matin nous avons eu notre leçon de dessin avec J. Brongniart[10]. M. Marquerie[11] nous a fait beaucoup de compliments, surtout à Marie, il trouve qu’elle dessine pas mal du tout, qu’elle sait très bien s’y prendre pour commencer ses dessins et tout indiquer à sa juste valeur dans l’esquisse.
Le cours de physique a été sur la hauteur du son ; on nous a montré comment, par le calcul, on pouvait trouver les rapports entre les notes et chercher un accord parfait dans la gamme à l’aide de nombres. C’est une singulière manière d’apprendre la musique, elle est fort du goût de Marie et je suis sûre qu’elle ne demanderait pas mieux que de jouer du piano par calcul, au moins cela dirait quelque chose.

Ce matin nous nous sommes revêtues de nos splendides robes de soie bleue (n’en ayant pas d’autres que celles-là ou nos vieilles écossaises) pour aller au mariage de Sophie Saulnier[12] ; nous y avons vu naturellement beaucoup de personnes de connaissance car toutes les élèves de Mme Roger[13] et beaucoup d’anciennes élèves du cours s’y trouvaient.

Tante vient de recevoir la visite de Mme Reynier[14], fille de Mme Bussy[15] et sœur de Mme Gosselin[16], elle venait nous inviter à aller danser chez elle car on doit se réunir tous les quinze jours à partir du 16 Décembre. On a choisi cette date parce que c’est la fête de Mme Bussy ; pauvre grand-mère je me demande si c’est là le cadeau que sa petite-fille[17] lui [offre].

Adieu mon mère chéri, je te quitte pour aller étudier mon piano ; mais avant je t’embrasse bien fort et te prie de transmettre à bon-papa et à bonne-maman[18] une bonne partie des amitiés que je t’envoie, tout en réservant pour toi la meilleure.

Ta fille Émilie


Notes

  1. Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Le docteur Louis Joseph Auguste Dewulf.
  4. Jules Desnoyers.
  5. Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
  6. cours de physique
  7. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  8. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  9. Antoinette Silvestre de Sacy, épouse de Paul Audouin.
  10. Jeanne Brongniart.
  11. Gustave Lucien Marquerie.
  12. Sophie Saulnier épouse Félix Louis Paul Simonnot.
  13. Pauline Roger, veuve de Louis Roger.
  14. Louise Adrienne Claire Bussy, épouse de Jules Antoine Étienne Reynier.
  15. Anne Adélaïde Baudouin (née en 1808), épouse d'Antoine Alexandre Brutus Bussy.
  16. Marie Bussy, épouse de Léon Gosselin.
  17. Marguerite Reynier ?
  18. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 2 décembre 1879 (B). Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_2_d%C3%A9cembre_1879_(B)&oldid=42502 (accédée le 28 mars 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.