Samedi 6 décembre 1879
Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Samedi [6] Novembre 79[1].
Mon père chéri,
Heureusement que la neige a fini de tomber, sans quoi nous aurions été complètement bloqués. Hier il y en avait 35 à 40 centimètres de neige dans le jardin, et on en avait parfois jusqu’au genou. Ce pauvre oncle[2] qui a passé toute sa matinée dans la ménagerie, avant qu’on y ait frayé les chemins, pour faire rentrer tous les animaux et déblayer les parcs était absolument trempé ; enfin on se serait cru en Sibérie. Aucun train n’a pu arriver à Paris et nous avions très peur que cela ne dure et ne nous empêche de communiquer avec toi, mais hier la neige a cessé et aujourd’hui je crois qu’il dégèle un peu ou tout au moins qu’il ne gèle plus aussi fort. Paris a un aspect singulier, on rencontre peu de voitures mais cependant les omnibus marchent avec trois chevaux et certains tramways en ont eu paraît-il jusqu’à huit.
Nous sommes très peu sorties ces jours-ci, car les promenades ne tentaient guère. Jeudi nous avons passé toute notre journée à la maison et hier nous avons été seulement avec oncle chez bonne-maman[3]. Elle va mieux, M. Dewulf[4] a dit que ce n’était qu’un rhume et il lui recommande beaucoup de se lever tous les jours afin qu’elle ne s’affaiblisse pas trop. Tante[5] est désolée qu’on l’empêche d’aller la voir mais dans la nuit de Jeudi à Vendredi, elle a encore eu de la fièvre et oncle ne veut pas qu’elle sorte par ce temps. Elle s’est remise à la quinine parce que presque tous les soirs elle sent encore un petit mouvement de fièvre, mais dans la journée elle va bien.
Nous venons d’avoir notre leçon d’allemand qui nous a, comme toujours enchantées ; cette maîtresse[6] donne vraiment ses leçons d’une manière très amusante, et j’espère qu’elle nous fera faire des progrès, car il faut travailler avec elle, ce n’est pas comme avec Mme Lima.
Tout à l’heure, nous irons à la Sorbonne au cours de chimie avec Élise[7] puisque ni oncle, ni tante ne peuvent nous y conduire, et c’est tante Louise[8] qui nous ramènera du cours d’anglais.
La neige a empêché M. Beauregard[9] de venir Jeudi dernier, mais Marie[10] n’en travaille pas avec moins de courage ; oncle lui a rapporté des [cobées[11]] lilas de l’école de pharmacie et elle commence à les peindre.
Mme Trézel[12] est toujours ici, je ne sais pas (et personne ne le sait) quand sa bonne doit revenir. Tante est très occupée cette semaine à tailler des robes de pauvres pour les donner à Noël, nous l’aidons un peu mais avec le piano, le dessin & nous n’avons pas beaucoup le temps de coudre dans la journée.
Il me semble, à en juger par ce que nous éprouvons ici, qu’il doit faire bien froid à Vieux-Thann, est-ce que tu n’en souffres pas trop, mon père chéri ? Prends bien garde de ne pas t’enrhumer n’est-ce pas.
On a reçu ce matin une lettre de tante Cécile[13] ; elle est définitivement installée à l’hôtel Beau Rivage[14] sur le boulevard de la Croisette dans l’appartement qu’elle a déjà habité il y a trois ans. Il paraît qu’il fait froid aussi, que le mois de Novembre a été détestable et que le mois de Décembre n’annonce rien de meilleur. Elle ne peut pas se chauffer et trouve bien triste de s’être exilée ainsi pour avoir également froid.
Adieu mon père chéri, je t’embrasse comme je t’aime, ainsi que bon-papa et bonne-maman[15].
Ta fille Émilie
Marie [...]
Notes
- ↑ La lettre semble plutôt du samedi 6 décembre.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Le docteur Louis Joseph Auguste Dewulf.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Mlle Jacobsen.
- ↑ Elise, employée par les Milne-Edwards.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Ange Louis Guillaume Lesourd-Beauregard, professeur de dessin.
- ↑ Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
- ↑ Emilie écrit « gobéas ».
- ↑ Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse de Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ A Cannes.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 6 décembre 1879. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_6_d%C3%A9cembre_1879&oldid=35636 (accédée le 18 décembre 2024).
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