Jeudi 7 avril 1842
Lettre d’Auguste Duméril l’aîné (Lille) à son neveu Auguste Duméril (Paris)
d’Auguste Duméril père.
Lille le 7 Avril 1842.
Mon cher ami,
Tu as su, par ma dernière, à Félicité[1], que toutes les pièces que tu m’as adressées m’étaient parvenues.
J’ai lu avec un vif intérêt, comme tu dois le penser, ta missive du 25 Mars ainsi que le mémoire et la thèse dont elle était accompagnée[2]. J’ai des félicitations à te faire sur la précision, l’ordre et la justesse des idées que j’ai remarqués dans ces divers écrits. Comme ton oncle M. Delaroche[3], je croyais que, sous le rapport de la fortune, la chirurgie devait offrir une carrière, sinon plus facile, mais plus sûre, et plus prompte à parcourir que celle de la médecine et des sciences naturelles. Je pensais que, pour être admis à professer l’histoire naturelle, il fallait préalablement avoir obtenu de l’université le grade de bachelier ès-sciences, ce qui nécessairement devait exiger des études diverses assez approfondies, et, par conséquent, un emploi de temps fort long. Le moyen proposé par ton père[4] tranche toutes difficultés ; tu l’as adopté, j’en suis fort aise pour toi, et pour nous tous. Actuellement je n’ai plus qu’un désir, mon cher ami, c’est de savoir ton travail approuvé par l’Institut, et de pouvoir embrasser, comme mon troisième fils, un neveu dont j’apprécie depuis longtemps les excellentes qualités. Je n’ai pas été surpris d’apprendre que tes amis particuliers aient désiré être, et même ont été témoins de ton admission au doctorat, car le sentiment a souvent des plaisirs dont on recherche la jouissance ; mais ce qui m’a le plus flatté, sans me surprendre cependant, c’est que ton oncle ait voulu aussi honorer de sa présence le premier acte solennel de ta vie publique. Il est des personnes envers lesquelles on ne peut pas et on ne doit jamais avoir de secrets. Je t’aurais blâmé de n’avoir pas confié le tien ou plutôt le nôtre à l’oncle M. Delaroche, qui a toujours représenté si bien représenté vos grands-parents, par son affection particulière, et sa généreuse bienveillance envers ton frère[5] et toi.
J’ai remarqué avec plaisir, mon cher ami, qu’en pensant à l’avenir, déjà tu t’étais formé un budget de recettes et dépenses annuelles. Tous les actes qui tendent à pouvoir se rendre compte de son avoir et à établir de l’ordre, sont indispensables, car de là, dépend la prospérité des familles. Je n’ai aucune observation à te faire relativement aux chiffres divers qui composent les articles dont tu m’as présenté le tableau, car si l’un, tel que celui de la pension, m’a paru fort modique, un autre, comme celui des dépenses courantes et imprévues, m’a donné une idée contraire : en définitive, la pratique et l’usage peuvent seuls déterminer la composition, et fixer le chiffre des économies mensuelles. Je suis très reconnaissant envers tes père et mère[6] de l’idée qu’ils ont eue de vous conserver près d’eux. Je te charge de les bien remercier pour moi. Je vois dans ce témoignage d’une affection, un très grand avantage pour mes enfants et particulièrement pour Eugénie, complètement étrangère aux détails du ménage. Je connaissais ces heureuses dispositions de tes père et mère, et c’est en leur considération que j’ai porté à 50 000 F la dot de ma fille[7], égale, d’ailleurs, à celle de ses frère et sœur, et auxquels je donnerai un supplément, à l’époque de ton mariage. Malgré toutes mauvaises pensées, l’argent n’a jamais été le mobile de mes actions : ce que j’aime par-dessus tout, ce sont mes enfants et leur bien-être ; je n’avais pas besoin, mon bon ami, de connaître le chiffre de ton avoir. Je ne te l’ai pas demandé, je ne connaissais pas alors les intentions de tes père et mère, mais je désirerais savoir si, au commencement de ton établissement, par ta place ou ta clientèle, en y joignant le produit de la dot d’Eugénie, vous pourriez vivre convenablement. J’avais l’intention de partir, pour le 3 de ce mois, pour Abbeville et Oisemont : le mauvais temps m’a obligé de remettre ce voyage, que j’exécuterai samedi. Je passerai la journée du dimanche avec mon fils[8], qui m’attend depuis 4 jours : ne me voyant pas arriver, il m’a annoncé hier avoir une lettre à me remettre de ta part ; samedi donc, mon cher ami, je serai avec toi par la pensée, avec ton cousin et avec Adine, dont les qualités personnelles grandissent toujours dans une affection de famille. Ma femme[9] et ma fille se joignent à moi, pour te faire nos amitiés et te prier de dire mille choses agréables de notre part à ta maman et à mon frère, que j’aimerai toujours.
Adieu, mon cher ami, embrasse bien cordialement Constant[10], Félicité et leur famille, pour nous tous ici. Dis-leur que nous attendons avec impatience le jour de leur arrivée.
Je suis tout à toi
Notes
- ↑ Félicité Duméril, fille de l’auteur de la lettre, belle-sœur du destinataire.
- ↑ Le 31 janvier 1842 Auguste Duméril a présenté à l'Académie des sciences un mémoire Sur le développement de la chaleur dans les oeufs des serpents, et sur l'influence attribuée à l'incubation de la mère (11 pages imprimées chez Bachelier, Paris) et il a soutenu sa thèse le 22 mars 1842 (le texte remanié de la thèse de doctorat paraît en 1846 : L'évolution du fœtus, imp. de Fain et Thunot, 164 p.).
- ↑ Michel Delaroche.
- ↑ André Marie Constant Duméril.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Alphonsine Delaroche.
- ↑ Eugénie, fiancée d’Auguste Duméril.
- ↑ Charles Auguste Duméril, ingénieur, occupe alors un poste à Arras ; il est marié à Alexandrine Brémontier, dite Adine.
- ↑ Alexandrine Cumont.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste, marié à Félicité ; ils ont deux enfants, Caroline et Léon.
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 135-139
Pour citer cette page
« Jeudi 7 avril 1842. Lettre d’Auguste Duméril l’aîné (Lille) à son neveu Auguste Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_7_avril_1842&oldid=40146 (accédée le 15 novembre 2024).
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