Jeudi 1er septembre 1887

De Une correspondance familiale


Lettre de Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Grigny dans l'Essonne) à leur petite-fille Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Allevard en Isère)


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Grigny[1] 1er Septembre 1887.

Merci ma chère Marie pour ta bonne lettre reçue à l’instant. Je voudrais pouvoir te donner de meilleures nouvelles de Launay mais nous n’en avons pas aujourd’hui & tu en reçois peut-être par Émilie[2]. Damas est allé hier à Paris & s’y est trouvé avec ton Oncle[3], qui n’a plus d’espoir pour le pauvre M. Desnoyers[4], qui est dans un état qui ne peut pas se prolonger ; puisque non seulement il ne prend aucune nourriture mais ne peut avaler aucun liquide & quand on lui en présente une petite cuillère qu’il essaie d’avaler il ne veut pas renouveler la tentative : d’ailleurs il ne parle plus du tout, & ce qui est bien triste c’est qu’il souffre tant qu’il crie continuellement nuit & jour : on ne peut plus le changer de position dans son lit : il ne reconnaît plus personne & la présence d’Émilie n’est utile qu’à son Oncle, avec lequel elle se tient dans la chambre de l’agonisant avec lequel elle prend les repas & se promène dans le parc. Tu vois donc que ta présence n’aurait pas une véritable utilité & les quatre enfants[5] sont un obstacle absolu.

La mort est imminente ton oncle disait déjà avant-hier : c’est une affaire de quelques jours & même de quelques heures. Que ferez-vous alors : reviendrez-vous à Paris pour les funérailles sera-ce pour tout à fait, avec tout votre monde ?

Nous savons que Marie Léon[6] t’a écrit pour te dire qu’elle était obligée de renoncer au rendez-vous de Suisse qui les charmait elle & son mari[7]. Heureusement que les nouvelles de notre petite Hélène sont très bonnes maintenant mais elle a été bien fortement prise & la rougeole s’est compliquée d’une forte toux. Jusqu’à présent André ne semble pas vouloir prendre la maladie ; mais il peut bien encore être atteint. M. Henri Stackler est allé deux fois à Berck pour cette chère enfant & s’arrangera pour y retourner Samedi si sa présence était nécessaire pour l’un ou l’autre enfant, quoiqu’il lui soit bien difficile de s’absenter en ce moment.

[Ici] Damas ne peut rien décider non plus & il ne sait rien de positif pour ce qu’il deviendra ; il est destiné au Ministère pour se rendre à Poitiers ; mais son chef actuel tâchera de le garder à Corbeil[8] jusqu’à ce que la commission soit entièrement exécutée. Par les circonstances de Launay les [Froissart[9]] [devaient] partir aujourd’hui pour Brunehautpré sinon pour Berck d’abord où ils ne peuvent plus aller non plus par crainte de la rougeole.

Léon est depuis samedi soir près de sa femme & de ses enfants : c’est de lui que nous avons les deux dernières lettres & il ne parle pas de son départ pour l’Angleterre.

Tu vois que les événements nous tiennent tous en suspens : car nous[10] aussi nous devions partir pour Berck & Brunchautpré.

Nous avons un bien grand désir de vous revoir ainsi que vos quatre enfants : Marie Thérèse sera de plus changée : nous jouissons bien ici de voir notre petit Jacques & cette Lucette si vive d’une figure si mobile & qui court avec tant d’aplomb : elle donne bien quelques émotions à la bonne-maman mais elle qui commence à s’habituer à voir ses entreprises.

Cette habitation de Grigny nous serait bien agréable si Émilie y était & si nous ne souffrions pas de la sentir si péniblement retenue dans de si tristes conditions.

Nous embrassons bien, bonne-maman & moi, notre chère et bonne Marie ainsi que les enfants, serrons cordialement la main de Marcel[11] & vous rappelons au bon souvenir de Madame Dumas[12] & de sa charmante nièce[13], si elles sont encore avec vous.

Le vieux bon-papa

C. Duméril

Dans ce moment ma chère petite Marie, notre pensée se porte constamment vers ton bon-papa Desnoyers, ce si parfait ami qui nous a donné dans la vie des témoignages de si profonde amitié. Que Dieu le soutienne dans les cruelles souffrances qui l’accablent et lui accorde bientôt la récompense de ses mérites. Ici nous allons bien et sommes heureux quand il nous arrive des nouvelles de nos chers enfants. Ta lettre, celle de notre fils[14], reçues ce matin nous ont fait du bien mais voilà tous les projets arrêtés et changés sur la manière dont se passera pour les uns et les autres le mois de Septembre. Je te quitte ma chère enfant en vous envoyant à tous nos tendres amitiés.

Félicité Duméril.


Notes

  1. Les Froissart, qui ont loué pour l'été une maison à Grigny (Essonne), reçoivent leurs grands-parents.
  2. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie, et épouse de Damas Froissart (« Damas »).
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Jules Desnoyers.
  5. Les quatre enfants de Marie : Jeanne, Robert, Charles et Marie Thérèse de Fréville.
  6. Marie Stackler épouse de Léon Duméril et mère d'Hélène et André Duméril ; elle séjourne à Berck (Pas-de Calais).
  7. Les Duméril-Stackler devaient rejoindre les de Fréville en Suisse après leur saison à Allevard.
  8. Corbeil où est exposé du matériel ferroviaire destiné à l'armée.
  9. Émilie Mertzdorff, son époux Damas Froissart et leurs deux enfants, Jacques et Lucie Froissart.
  10. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril ("bonne-maman").
  11. Marcel de Fréville.
  12. Cécile Milne-Edwards, épouse d'Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  13. Marthe Pavet de Courteille.
  14. Léon Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original.


Pour citer cette page

« Jeudi 1er septembre 1887. Lettre de Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Grigny dans l'Essonne) à leur petite-fille Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Allevard en Isère) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_1er_septembre_1887&oldid=53686 (accédée le 22 décembre 2024).

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