Jeudi 18 juillet 1918

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)

original de la lettre 1918-07-18 pages 1-4.jpg original de la lettre 1918-07-18 pages 2-3.jpg


18 Juillet 18

Mon cher Louis,

pauvre petit loqueteux ! je t’envoie aujourd’hui même, en 2 paquets par la poste, tout ce que tu demandes et même plus car ayant trouvé très avantageuses des serviettes pas très grandes, je t’en envoie 6 au lieu de trois.

Mon pauvre enfant, je pense bien à toi, tu le devines, et je te remercie de me promettre de fréquents petits mots.

Ton papa[1] installe aujourd’hui les Degroote[2] au Bourdieu et revient demain.

Grâce à la manière raide dont vous recevez les Boches ils n’osent plus nous canonner après un timide essai Lundi et Mardi. Essai arrivé bien mal à propos pour les CD[3] qui n’ont pas voulu faire traverser Paris aux enfants[4] et ont renoncé Mardi à partir pour Saint-Pair[5], tandis que tous leurs bagages étaient partis le matin de bonne heure et doivent être arrivés là-bas avant hier ! Je viens de leur retenir un compartiment pour demain soir et les ai engagés par dépêche à reprendre leur projet de voyage, sans savoir si mon initiative aura leur approbation.

J’ai de bonnes nouvelles de tes frères : Michel[6] paraît se retaper à la vue du cacodylate[7] dont il ne peut user autrement car la seringue que j’y avais jointe est arrivée en miettes ! Je lui en envoie une autre que j’ai fait emballer par le pharmacien.

Pierre[8] paraît être providentiellement protégé par sa nomination à l’EM[9] : sa batterie a souffert, dit-il ; c’est le plein de la bataille là où il est. Jacques[10] doit être dans l’Oise provisoirement à la TM[11] 284.

Jeanne Dupont[12] vient de m’apprendre l’arrivée d’Henri Parenty à Evian. J’avais vu hier le frère d’Emile Lesaffre[13] qui était otage avec Henri et qui m’a confirmé les souffrances atroces qu’ils ont eu à supporter en Janvier et Février. Il m’a confirmé qu’Henri est très changé.

Michel[14] m’apprend qu’André Piot avait été, peu avant son arrivée à ce même secteur, bien calme pourtant, traversé de part en part par une balle, sans grand dommage. Tu le savais sans doute. Il est probable que ses parents[15] ne sont plus à Paris, j’essaierai cependant de téléphoner.

Ne t’excuse pas, je t’en prie, de me donner à faire des commissions, rien ne me fait plus de plaisir et j’ai bien le temps. Je ne déménage plus rien puisque je n’ai pas de wagons et d’ailleurs si les choses continuent à marcher comme elles ont commencé, Paris ne court pas de risques. Quoiqu’il en soit ton papa a loué pour un prix très avantageux, d’un autre côté de Bordeaux, et plus loin que Bègles, une grande maison un peu meublée mais pouvant contenir beaucoup de meubles et beaucoup de gens et que nous pouvons garder 3 ans si cela nous plaît. Ce sera un bon refuge que l’on aime à posséder.

Je t’embrasse tendrement.

Emy


Notes

  1. Damas Froissart.
  2. Henri Degroote, son épouse Lucie Froissart et leurs enfants.
  3. Guy Colmet Daâge, son épouse Madeleine Froissart et leurs enfants.
  4. Patrice, Bernard et Hubert Colmet Daâge.
  5. Saint-Pair-sur-Mer près de Granville, dans la Manche.
  6. Michel Froissart.
  7. Le cacodylate est un dérivé arsenical utilisé en injections sous-cutanées dans le traitement des asthénies.
  8. Pierre Froissart.
  9. EM : Etat-major.
  10. Jacques Froissart.
  11. TM : Transport de matériel.
  12. Jeanne Descat épouse d’Alfred Dupont.
  13. Emile Lesaffre (1875-1955) a deux frères, Maurice Lesaffre et Léon.
  14. Michel Froissart.
  15. Stéphane Piot et son épouse Anne Gariel.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 18 juillet 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_18_juillet_1918&oldid=53751 (accédée le 14 novembre 2024).

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