Jeudi 16 mars 1882

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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16 Mars 1882[1]

Mon Papa chéri,

J’espère que tu as à Vieux-Thann un temps aussi radieux que le nôtre. Tous les jours nous avons un soleil splendide, il fait doux, les feuilles poussent et beaucoup d’arbres sont déjà en fleur. On dit que c’est trop tôt ; j’espère bien que l’on se trompe.

Voyons, qu’ai-je fait depuis que je ne t’ai écrit, c’est à dire depuis Lundi ? J’ai eu Mardi ma leçon d’italien deux heures plus tôt que d’habitude ce qui arrive chaque fois que Mlle Templier[2] va au bal le Lundi, et il paraît qu’elle a souvent dansé le Lundi cet hiver. Heureusement je ne me livre pas aux mêmes folies et que notre maîtresse peut venir sans crainte se réfugier auprès de moi. Cependant je dois avouer que, ne m’attendant pas à la voir si tôt, ’elle n’a pas trouvé tous les devoirs au complet. Après ma leçon j’ai été avec tante[3] chez Mme Trézel[4] qui allait mieux, mais aujourd’hui elle est paraît-il moins bien, elle a beaucoup toussé cette nuit. Tante Louise et Marthe[5] sont tout à fait installées chez elle avec leur bonne[6], mais Mme Trézel n’en sait rien et on ne le lui dit pas de peur de l’inquiéter ; elle ne s’étonne nullement de voir tante Louise à toute heure, et même Mardi elle l’a invitée à dîner. Quant à Marthe, elle travaille dans le grand salon où sa grand-mère ne vient jamais et elle se cache chaque fois qu’elle craint de la rencontrer, ce qui du reste l’amuse beaucoup et la met dans une gaîté folle.

Mardi tante a eu plusieurs visite ce qui l’a passablement fatiguée, hier encore elle l’était un peu, ce qui ne l’a pas empêchée de me conduire chez Mme Foussé[7] et M. Flandrin[8]. Nous avons terminé la journée par une visite à Marie[9]. Elle allait dîner en ville, aussi tante qui ne perd jamais une minute l’a-t-elle bien vite coiffée pendant que je jouais avec Jeanne puis que je cousais des ruches neuves à la robe de Marie. Ce matin tante était encore fatiguée, de plus elle a une espèce de mal de dent névralgique qui l’a empêchée de dormir une partie de la nuit. T’ai-je dit que j’ai recommencé à prendre des leçons avec Mlle Magdeleine[10] ? c’était aujourd’hui la seconde. Elle me fait repasser tout ce que j’ai déjà appris et nous nous arrêtons sur les points les plus nuageux dans mon pauvre petit esprit. Tante, après ma leçon, est allée chercher bon-papa[11] pour le mener au cimetière, c’est une triste course qu’on doit faire depuis longtemps. Pendant ce temps, bonne-maman Duméril[12] m’a menée à la Sorbonne, mais en l’honneur de la mi-carême, nous nous sommes cassé le nez à la porte. Pour réparer ce contretemps nous avons fait une petite visite à Marie, puis une autre à Jeanne dans le Luxembourg et enfin, bonne-maman m’a ramenée chez Mme Dumas[13] où j’ai retrouvé tante.

Jean[14] va mieux, il se lève presque toute la journée, mais tante Cécile[15] est toujours décidée à le mener à la campagne ce dont il a grand besoin. Elle partira pour Montreux ou Clarens le plus tôt possible.

C’est ce soir qu’aura lieu le dîner de famille, mais un bien petit dîner, il n’y aura que Marcel et Marie[16], Mme Pavet et Marthe, huit couverts, quelle petite table ! Quand donc viendras-tu l’agrandir, mon père chéri ? je t’assure qu’il faudrait commencer à y penser sérieusement.

C’est Dimanche que Jeanne aura un an, nous déjeunerons chez Marie en son honneur.

Adieu, mon cher papa, je t’embrasse de tout mon cœur

[Émilie]


Notes

  1. Lettre sur papier-deuil.
  2. Possiblement Amélie Templier.
  3. Aglaé Desnoyers, épouse d'Alphonse Milne-Edwards.
  4. Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
  5. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille (« Mme Pavet ») et mère de Marthe Pavet de Courteille.
  6. Le bonne des Pavet de Courteille nommée Jeannette ?
  7. Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé, professeur d'anglais.
  8. Paul Flandrin, professeur de dessin.
  9. Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville, sœur d’Émilie et mère de Jeanne de Fréville.
  10. Mlle Magdelaine, professeur de beaux-arts.
  11. Jules Desnoyers, récemment veuf de Jeanne Target.
  12. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  13. Probablement Hermine Brongniart épouse de Jean Baptiste Dumas.
  14. Jean Dumas.
  15. Cécile Milne-Edwards, épouse d'Ernest Charles Jean Baptiste Dumas, et mère de Jean Dumas.
  16. Marcel de Fréville et son épouse Marie Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Jeudi 16 mars 1882.  », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_16_mars_1882&oldid=59429 (accédée le 22 décembre 2024).

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