Jeudi 15 août 1805, 27 thermidor an XIII

De Une correspondance familiale

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Madrid) à son frère Désarbret (Amiens) ?

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N°158

Madrid jeudi 27 Août 1805[1]

Nous sommes arrivés ici dimanche dernier à huit heures du soir. Notre voyage de Bayonne a duré neuf jours par le temps le plus chaud et par le pays le plus sec et le plus aride qu’on puisse peut-être trouver dans toute l’Europe. la Biscaye, la première province d’Espagne, que nous ayons visité est un pays de montagnes habité dans tous les lieux où il y a de l’eau et par conséquent dans presque toutes les gorges. les habitants sont très aisés. les maisons sont toutes en Pierre de taille, ils cultivent bien leurs terres et ils exploitent des mines de fer d’une excellente qualité dont le minerai est très abondant, mais c’est le seul beau pays que nous ayons vu. nous partîmes de Bayonne vers midi. nous composions deux voitures dans lesquelles on avait admis deux autres voyageurs, ils nous en coûtait pour nous sept, en comptant les domestiques dont l’un allait alternativement sur le siège en dehors 1 700ll la première nuit nous allâmes coucher à une demie lieue de la Bidassoa, petite rivière qui coule au bas des Pyrénées et qui sépare l’Espagne de la France ; le Bourg où nous nous arrêtâmes se nomme Irun. là toutes les coutumes sont changées, le vêtement des hommes et des femmes, la forme des façades des maisons, des chariots traînés par les bœufs tout était nouveau pour nous, ainsi que le patois langage qui est une sorte d’idiome Basque, que les Castillans ou francs Espagnols méprisent beaucoup, ainsi qu’on le voit dans Don Quichotte. nous quittâmes Irun à 2 heures de la nuit, et nous fîmes ce jour-là dix-huit lieues. nous arrivâmes, pour dîner à Tolosa et nous couchâmes à Villafranca deux petites villes fort jolies. le lendemain, qui était un dimanche, nous eûmes à cheminer par les montagnes avec beaucoup de détours mais par des chemins superbes entretenus aux frais de la Province, nous dînâmes à Mondragon, où nous vîmes la procession et les forges où l’on prépare le plus beau fer de l’Europe et nous allâmes coucher à Vitoria. c’était un jour de grande fête. on dansait sur les Places. les Dames de bel air se promenaient sous des allées couvertes à quelque distance et on allumait devant la porte de notre auberge des feux publics en réjouissance. nous restâmes forcément à vitoria pour nous soumettre aux visites de la douane. nous vîmes le lendemain une très nombreuse procession et j’entendis pendant la nuit la plus belle sérénade que oncques je n’avais ouïe.

Sans attendre le combat des Taureaux qui devait avoir lieu dans le courant de l’après-dîner et dont le spectacle ne nous avait pas beaucoup amusé à Bayonne, nous quittâmes Vitoria le lundi sur les deux heures et nous allâmes coucher sur les confins de la vieille castille à Pancorbo après avoir traversé l’èbre, fleuve qui a donné son nom à L’ibérie et qui présente cette particularité que prenant sa source à quatre lieues de l’océan, il va se jeter dans la Méditerranée du côté opposé dans la Catalogne. les gorges de Pancorbo sont horribles ; mais on peut dire qu’elles offrent une belle Horreur. Figure-toi deux montagnes de deux cents pieds de haut coupées non à pic mais de manière que la partie supérieure est beaucoup plus étroite que le fond qui offre au plus 150 pieds de large et cela pendant près d’une demie lieue. Il était près de neuf heures lorsque nous arrivâmes à l’auberge isolée qui termine cette gorge. Nous y couchâmes. le lendemain nous allâmes dîner à Briviesca et coucher à Burgos, capitale de la Province et la plus grande ville que nous ayons vu depuis Bayonne. Nous étions arrivés de bonne heure. Nous allâmes visiter les églises, la place publique, la Promenade et nous eûmes quelques petites aventures qui rendent les voyages amusants. jusque-là nous avions cheminé du nord à l’ouest. à Burgos nous changeâmes tout à fait de direction pour nous diriger vers le sud. Nous couchâmes dans la petite ville de Lerma et le lendemain dans une autre située sur le bord du Duero, rivière qui sépare les deux Castilles et qu’on nomme Aranda. Encore ici quelques petits événements qui retarderont un peu notre voyage. Le Porte-manteau de M. Desgenettes, celui de tous qui était le plus précieux, fut volé mais retrouvé intact parce qu’il était cadenassé. Ce même jour nous rencontrâmes dans une auberge isolée à Honrubia, un médecin Danois établi à Philadelphie que j’avais connu à Paris. il revenait de Madrid où il avait été dans le dessein d’étudier la maladie épidémique, mais ayant appris qu’elle ne se renouvelait pas il s’en retournait à Bayonne. il me reconnut. Je le priai de se charger d’une lettre pour toi que j’écrivis dans la voiture que je fis arrêter pour cela. Tu as du recevoir cette lettre que ce médecin m’a promis de mettre à la poste à Bordeaux. Le chemin de Burgos à Madrid est une route de traverse, sans auberge, sans aucune espèce de moyen pour les voyageurs. Nous couchions sur de mauvais grabats craignant les quatre mendiants et principalement les blancs dont nous trouvâmes plusieurs ; mais les plus communs étaient ceux qui marchent que de nuit et qu’on craint tant de toucher ! enfin nous voici à Madrid. on prétend que nous avons passé par les plus rudes épreuves. à trois lieues de la capitale dans le plus beau village qu’on nomme Alcobendas, où nous avons été obligé de faire la sieste ou méridienne pendant près de six heures pour laisser passer la chaleur qui était de près de 31 degrés. nos provisions ayant manqué : Médard fut à la Boucherie pour avoir des côtelettes. nous nous trouvions très heureux. mais il n’y avait ni bois, ni charbon, ni beurre, ni graisse. de sorte qu’on fut obligé de mettre rôtir les côtelettes devant un feu de fumier dans une chambre appelée la cuisine où le toit percé au centre tenait lieu de cheminée.

Nous sommes ici pour quinze jours : nous avons été très bien accueillis de l’ambassadeur[2]. Il m’a donné une lettre pour le prince de la Paix[3] que j’ai été voir et auquel j’ai présenté mon ouvrage et la lettre de M. Lacépède. Il m’a promis d’écrire aux divers établissements que je désirerais de visiter. hier toute notre commission a dîné chez l’ambassadeur et le soir il est venu nous rendre visite. aujourd’hui Jeudi, fête de l’assomption, nous avons reçu visite des deux premiers médecins du Roi[4] que nous n’avions pu encore aller voir nous-mêmes et je m’occupe d’écrire ces lettres qui partiront ce soir. Il n’y a que deux courriers par semaine. nous espérions trouver des nouvelles de france. Il n’y en avait pas du tout. M. l’ambassadeur même ne connaissait notre nomination que par la voix du moniteur. Je lui ai demandé la permission de recevoir les lettres sous son couvert il me l’a accordée. Je le prierai en partant de vouloir bien expédier celles qui lui parviendraient lorsque nous aurons quitté Madrid. ainsi profite de cette voie je te prie. je n’écris pas à la maison tu pourras y faire passer celle-ci. nous nous portons tous très bien. Je t’embrasse.

C. Duméril

P.S. N’oublie pas de me donner des nouvelles de Duméril[5] si tu en as. j’ai écrit sous ce pli au général[6].


Notes

  1. Confusion de date : André Marie Constant Duméril a écrit 27 août au lieu de 27 thermidor (qui correspond au 15 août).
  2. Pierre Riel de Beurnonville.
  3. Manuel Godoy Álvarez de Faria.
  4. Charles IV (1748-1819), roi d’Espagne de 1788 à 1808.
  5. Jean Charles Antoine dit Duméril, frère d’André Marie Constant Duméril.
  6. Jean François Aimé Dejean.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 2ème volume, p.126-133)

Pour citer cette page

« Jeudi 15 août 1805, 27 thermidor an XIII. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Madrid) à son frère Désarbret (Amiens) ? », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_15_ao%C3%BBt_1805,_27_thermidor_an_XIII&oldid=39850 (accédée le 7 décembre 2024).

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