Jeudi 12 et vendredi 13 mai 1870
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards et sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris)
Jeudi soir[1]
Ma chère petite Gla,
J'ai voulu faire acte d'indépendance, ou plutôt, j'aurais voulu pouvoir t'éviter la fatigue de nouvelles courses, et l'ennui de faire choix d'un nouvel objet, mais, il n'y a pas moyen que je me passe de toi ; à Mulhouse je n'ai pu absolument rien trouver en fait d'objet religieux approprié à la circonstance. Aussi je viens te prier de vouloir bien me renvoyer un bénitier semblable à celui-ci (Je n'en sais pas le prix) ou autre, celui-ci nous plaisait, l'accident est peu de chose, mais chez les Henriet je ne veux pas donner un objet recollé ; demain je leur raconterai l'aventure et le petit cadeau des enfants[2] se fera lorsque tu auras pu t'en occuper.
Encore autre chose ; voulant t'éviter fatigue et ennui, j'avais commandé sur échantillon 20 mètres d'une petite étoffe (en uni) pour me faire un costume complet pour l'été, à un marchand de Strasbourg, mais par je ne sais quelle combinaison, ils m'écrivent qu'ils ne peuvent pas me livrer ma commande, aussi je viens te prier de me faire faire en étoffe convenable pour mettre le Dimanche, en voyage, pour courses avec toi &, une robe avec son jupon, sa seconde jupe et son petit paletot. Je n'ai que des robes de soie à mettre et ce n'est pas agréable. J'aime bien un grand volant dans le bas avec biais ou ce que tu voudras au-dessus. Tu feras comme pour toi ; pas du voyant et rien d'excentrique comme forme. Enfin selon ton goût. Je serais contente de l'avoir dans pas trop longtemps ?
Ma bonne petite Mère,
Maintenant que j'ai bien causé commission et chiffon avec ma Gla, que je m'adresse directement à toi pour te remercier de ta bonne lettre, et te dire que je suis bien près de toi par la pensée, que je crains que tu ne veuilles en faire de trop par toi-même dans ton déménagement. Voilà ce pauvre François[3] empêché par son bras, c'est encore une complication. Et puis l'inquiétude que te donnent nos pauvres tantes[4], tout cela ne manque pas que de fatiguer et de vous arrêter dans les choses qu'on veut entreprendre. Je suis bien contente de voir que l'état de ma pauvre tante Prévost s'améliore ; espérons. Emile est-il près de sa mère ? C'est bien heureux que la maladie de M. Festugière[5] paraisse prendre un bon cours à cause de sa petite femme.
Ce que tu me dis de l'entrain et de l'activité d'Alfred[6] fait plaisir, c'est bien bon qu'il soit sorti de là-bas, ce n'était plus tenable, et il faut espérer qu'il va bien retrouver et que ce changement amènera un heureux résultat par la suite. J'espère qu'Aglaé n'aura pas oublié ma commission et l'aura embrassé le 12 de ma part en lui offrant mon tout petit souvenir. Ici je n'ai rien, vous vous offrirez mutuellement les quelques fleurs que j'ai l'intention de couper demain et de mettre dans la caisse à robe, de ma part.
La politique est fort intéressante en ce moment et lesjournaux en disent trop pour que ma lettre puisse vous apprendre encore quelque chose de nouveau. Ici il y a eu, malgré les menées républicaines, ou à cause de cela, de l'entrain dans le vote en oui du plébiscite[7], et le dépouillement s'est fait aux cris de vive l'empereur. Ce soir, on nous rapporte, comme bruit, que M. Kestner est arrêté ; nous saurons cela demain ; Nous avons été ces 2 jours absents, hier à Mulhouse, et aujourd'hui à Morschwiller. Les Duméril[8] m'ont chargée de bien des amitiés pour vous tous. Mme Duméril a été fortement grippée, elle s'en ressent encore.
Bonsoir, ma bonne petite mère, dors bien il est 11 h.
Vendredi 1 h 1/2
Ma chère petite Gla, je viens de réemballer ta belle robe, j'espère que tu ne la trouveras pas trop fanée, je n'ai pas fait reculer les boutons ne sachant pas laquelle de nous deux la remettra la première. Mes 2 éventails sont cassés, ils vont se faire réparer à Paris. Tu trouveras aussi un petit souvenir à ton intention qui te plaira j'espère. Je te renvoie la caisse, comme je l'ai reçue, sans clef, je pense que tu trouveras aussi une clef de caisse pour l'ouvrir.
Je suis toujours horriblement pressée ; Nanette[9] vient de revenir, ma belle-sœur[10] arrive demain pour une huitaine de jours ; j'ai tout le linge de la lessive à ranger. Merci de ton petit mot de ce matin cela fait bien plaisir d'avoir de vos nouvelles, la bonne lettre de maman m'a donné aussi de bons détails. Mille amitiés à vous tous de notre quatuor[11] qui vous aime bien
Eugénie M.
Notes
- ↑ Cette lettre non datée est à situer le jeudi qui suit le plébiscite (8 mai 1870).
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ François, domestique chez les Desnoyers.
- ↑ La mère d’Eugénie a deux sœurs : Amable Target, veuve de Constant Prévost et Marie Emilie Target, veuve de Benjamin Allain, et mère d’Emile Allain.
- ↑ Georges Jean Festugière, époux de Cécile Target.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Napoléon III, inquiet de l’effervescence républicaine, organise le 8 mai 1870 un plébiscite pour conforter son pouvoir. Le vote donne 7,5 millions de oui et 1,5 de non à l’Empire. Il n’y a une majorité de non qu’à Paris et dans les grandes villes. Dans le département du Haut-Rhin, 81 000 oui, 20 000 non ; dans la ville de Thann, 1 000 oui, 420 non (1 900 inscrits) [d’après Joseph Baumann, Histoire de Thann].
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Annette, domestique chez les Mertzdorff.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ La signataire Eugénie, Marie et Emilie Mertzdorff et leur père Charles.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 12 et vendredi 13 mai 1870. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards et sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_12_et_vendredi_13_mai_1870&oldid=43132 (accédée le 9 octobre 2024).
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