Dimanche 8 décembre 1878

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1878-12-08 pages 1-4.jpg original de la lettre 1878-12-08 pages 2-3.jpg


Paris 8 Xbre 1878.

Je pense, à en juger par nous, mon Père chéri, que je vais te trouver au milieu d’une nappe blanche et je suis sûre que la Rangen même doit être un peu poudrée ; hier matin en nous levant nous avons été fort surpris de voir le jardin tout blanc, la neige est tombée jusqu’à midi puis a dégénéré en pluie de sorte que les rues sont dans un état de saleté épouvantable. Aujourd’hui il fait toujours assez froid, le temps est gris et j’aperçois quelques petits flocons errants qui n’annoncent rien de bon, aussi sommes-nous enchantées d’avoir devant nous une bonne journée de Dimanche bien tranquille où nous pourrons bien travailler et lire, nous avons été ce matin à la messe de bonne heure et j’espère bien que nous ne ressortirons pas. Emilie[1] t’a écrit Vendredi pendant que j’étais chez M. Flandrin[2] aussi je pense qu’elle t’aura parlé de notre soirée passée avec Hortense[3].
Mon cours de dessin a été très amusant j’ai beaucoup travaillé à ma bosse qui est presque finie ; à mon grand bonheur, Marie Flandrin dessine cette année, de sorte que nous nous trouvons très près l’une de l’autre, Vendredi elle a eu un fou rire affreux causé par deux petites nouvelles qui n’avaient jamais tenu un crayon de leur vie et qui paraissaient terriblement empruntées.

Après l’atelier tante[4] m’a conduite chez Paule[5] où je me réjouissais de passer un bon moment, mais à peine commencions-nous à bien causer qu’il est arrivé deux visites ce qui fait que je ne l’ai pas vue du tout ; elle était aussi contrariée qui moi et j’ai peur que la jeune fille qui était là n’ait entendu le : Pas de chance ! qu’elle m’a dit tout bas quand je suis partie.

Hier nous avons été aux cours de géographie et d’anglais[6] qui tous deux ont été fort amusants ; et grâce aux interrogations de Mlle Kleinhans[7] je te réponds : que je n’ai pas eu froid aux joues cependant cela m’amuse assez de répondre c’est un souvenir du bon vieux cours.

J’espère, comme Vieux-Thann devient mondain ! toutes les semaines des soirées ! c’est un bouleversement dans le tranquille Vieux-Thann auquel je ne puis pas croire. Ce qui m’étonne (ou plutôt au fond cela ne m’étonne pas du tout) c’est que tu ne t’y rendes pas avec plus d’enthousiasme, je croyais que depuis longtemps tu désirais organiser chez toi des réunions de ce genre, serait-ce la présence des dames qui t’empêche d’y trouver du plaisir ? Oh ! non, ce n’est pas dans tes [principes] tu n’es pas à la mode actuelle pour cela. Je crois plutôt à l’attrait irrésistible qu’ont pour toi ta robe de chambre et tes pantoufles et tu sais que je t’avais bien prédit que cela arriverait ainsi. Je croyais que ces réunions hebdomadaires auraient lieu le Dimanche, pourquoi a-t-on choisi le Vendredi ?

Je ne sais si je t’ai remercié, mon cher Papa, de ta si gentille lettre et du non moins amusant croquis qui l’accompagnait ? Tu as vraiment un talent de dessin pour la caricature, je ne t’accorderai pas aussi facilement le prix pour le portrait car bien qu’il y ait longtemps que Mlle Mimi[8] n’a vu son papa il lui a été impossible de reconnaître son image dans le Monsieur qui s’approchait d’elle !

Adieu mon Père chéri, chéri, je t’embrasse de tout mon cœur.
Je ne te parle pas des santés elles sont toutes excellentes, bonne-maman[9] seule est toujours bien fatiguée et faible. Ta fille qui pense avec bonheur au moment où elle te reverra,
Marie

Marthe[10] est avec nous je t’embrasse en son nom et en celui d’Emilie.


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Marie Mertzdorff prend des leçons chez le peintre Paul Flandrin.
  3. Hortense Duval.
  4. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  5. Paule Arnould.
  6. Cours d’anglais donné par Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.
  7. Caroline Kleinhans, professeur de géographie.
  8. Marie Mertzdorff elle-même.
  9. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  10. Marthe Pavet de Courteille.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 8 décembre 1878. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_8_d%C3%A9cembre_1878&oldid=39695 (accédée le 26 avril 2024).

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