Vendredi 6 décembre 1878 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)


original de la lettre 1878-12-06B pages 1-4.jpg original de la lettre 1878-12-06B pages 2-3.jpg


Vendredi soir.

Bonjour ma chère Mimi

Il y a si longtemps que tu n’as vu ton papa qu’à son portrait cependant bien fidèle ne le reconnais-tu pas ?[1]
c’est à grand regret que je viens te dire que Saint-Nicolas n’a rien, mais absolument rien mis dans ton soulier. Ne serait-il pas content de toi ou l’aurait-il oublié. A toi de le savoir. Ce pauvre Saint-Nicolas ne connaît plus notre maison, nous qui avions toujours tant de plaisir ce jour. Ce matin une bonne lettre de Founichon[2] est venue me distraire en me donnant de vos bonnes nouvelles.

Nouvelle soirée chez Mme - Berger[3]. ce soir & comme je veux aussi avoir ma soirée à moi, comme je les aime je m’amuse comme tu le vois à prodiguer mes talents d’artiste avec & pour mes filles. Avec cela j’ai bonne chambre bien chaude, bonnes pantoufles & par dessus encore bonne tasse de thé. Peut-on avoir de meilleures choses avec plus de facilité.

Cet après dîner Georges D. & sa femme[4] ont pris la voiture de 2h à 7h. 5 heures de temps pour faire leurs visites de noce. l’on attendait de faire cette corvée que l’appartement fût prêt à recevoir & je crois que les ouvriers y sont encore. mais pour finir cette semaine.

Scène du 28 Novembre 78.[5]
que je t’introduise auprès de ces illustres personnages. Le M. en chapeau, homme [court] & redouté est M. Mass Kreis director[6]. A côté M. le Ober Ingenior Jockel[7]. un peu plus loin son assessor[8]. à la queue un terrible chien de terre neuve dressé contre tous les socialistes et tous les assassins de roi et de Kreisdirectoren[9].
Ces Messieurs sont là pour l’inspection & l’essai du nouveau pont qui est reçu avec force éloges. l’essai consistait à faire passer une voiture chargée de pierres avec 3 chevaux devant ces illustres personnages & devant M. le Maire de Vieux-Thann[10].
Nous allons nous presser à fermer le passage entre Jardin & chantier.
Après ce rude travail ces dignes Messieurs ont dû aller se rafraîchir de bière chez Beck Jean ou à l’Ours blanc. C’est à faire enquête pour qui est curieux. Si tous ces fonctionnaires ont des types incroyables, en somme ce sont de bons diables, bien terriblement ennuyeux & qu’on est heureux de voir le moins possible.

Qui a terre a Guerre, dit-on ? Je vais avoir un procès avec mon voisin du jardin Loeffel[11]. L’eau du canal a coulé dans son jardin & pour cela il me demande 100 marks, que je ne me soucie pas de lui octroyer. Je voudrais saisir cette occasion pour rectifier les bords du canal & pour cela il me faut un procès, qui se présente à souhait. Seulement ce sera bien long & terriblement ennuyeux.

Il paraît que la mère de Thérèse[12] est très malade, du jour au lendemain [elle] est devenue sourde & sa tête déménage, les pauvres enfants sont bien en peine.

Depuis une 10aine de jours les maux d’estomac sont à l’ordre du Jour à la fabrique, l’on fait grande consommation de petits verres & de thé après.

Notre pauvre curé[13] est désolé de ne pouvoir faire façon de ses garçons qui deviennent de plus en plus mauvais. Grâce aux parents qui n’aident en rien, bien au contraire entravent tant qu’ils peuvent ceux qui voudraient s’en occuper. Aussi a-t-il déclaré que s’il ne trouve pas plus de bon vouloir auprès des parents il quittera ; menace, qui, je le crains bien, sera peu efficace, quoique nous n’aurons jamais aussi bon & aimable prêtre nullement distingué pour un village qui sait si peu l’apprécier.

Nous avons heureusement toujours passablement de marchandises & pouvons occuper notre monde sans chômage. à pareille époque, l’année passée, nous avons dû arrêter les Lundis plusieurs semaines de suite. Plusieurs Alsaciens sont en ce moment à Berlin pour l’enquête sur les traités de commerce. Entre autre M. Lauth[14] & [Bumburn] que tu connais. Les pauvres gens ! c’est un vrai dévouement.

Assez belle Journée aujourd’hui, un peu de soleil sans pluie. Aussi le rossberg reprend-il son air de printemps ; sa perruque blanche n’est plus.

Oncle Georges[15] est un peu enrhumé, mais autrement il ne va pas mal. La petite Hélène[16] est sevrée depuis 4 jours, avec grande facilité.

Embrasse tout ton monde & crois à l’affection de ton père qui t’embrasse.
Charles Merztdorff


Notes

  1. Légende d’un croquis.
  2. Founichon : Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  3. Joséphine André, épouse de Louis Berger.
  4. Georges Duméril et son épouse Maria Lomüller.
  5. Légende d’un croquis.
  6. Kreis director : directeur d’un cercle d’Empire.
  7. Ober Ingenior : ingénieur en chef.
  8. Assessor : assistant.
  9. Les Kreisdirectoren remplacent en Alsace-Lorraine les sous-préfets.
  10. Thiébaut Zimmermann, maire de Vieux-Thann.
  11. Bernard Loeffel.
  12. Joséphine Fricker, épouse de François Neeff et mère de Thérèse Neeff (employée par Charles Mertzdorff).
  13. Louis Oesterlé, curé de Vieux-Thann de 1875 à 1881.
  14. Auguste Lauth.
  15. Georges Heuchel.
  16. Hélène Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 6 décembre 1878 (B). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_6_d%C3%A9cembre_1878_(B)&oldid=36069 (accédée le 22 décembre 2024).

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