Dimanche 7 et lundi 8 novembre 1869

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers (épouse Milne-Edwards) (Paris)

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Vieux-Thann
Dimanche soir 10 h[1]

Ma chère petite Gla,

En rentrant de la messe j'ai trouvé ta bonne petite lettre et j'avais formé de suite le projet de te répondre, mais tu sais, on ne fait pas toujours ce qu'on projette et mon temps a été pris par mes fillettes[2], par Léon[3] et ensuite par une longue conversation avec une cuisinière que Thérèse[4] me proposait, puisque qu'elle pense prendre ménage la vieille folle, longue conversation qui n'aboutira à rien, car la fille en question ne sait pas un mot de français et ne comprenait pas mon allemand ; c'est ce que Thérèse a compris, elle va chercher autre chose.

La petite Thérèse[5] couche à la maison depuis Mercredi, c'est une brave fille, ça marche très bien, pourtant seulement jusqu'ici il n'y a que Cécile[6] qui serve à table et cette semaine je vais l'y mettre aussi ; je suis contente de l'avoir. J'ai aussi mes petits ennuis avec Jean, je crois qu'il boit ! Enfin tout cela ce ne sont que des misères, je suis si parfaitement heureuse ; et si occupée comme toi, ma petite Gla, que ces jours j'étais un peu fatiguée, mais mon Dimanche m'a reposée. Mes bonnes petites filles sont enrhumées, mais rien de grave, l'appétit est toujours bon. Dis au cher oncle Julien[7] que grâce à lui, les cartes ont été finies pour la fête du papa[8] qui était aussi content que ses fillettes, ce n'est pas peu dire ; Dimanche ce sera mon tour, on a bien de la peine à garder les secrets.

Charles me gronde toujours pour la peine que je te donne avec mes commissions, et il dit toujours : « tu abuses te ta sœur, elle a déjà bien à faire, ce pauvre chou ! » Mais je réponds que je te connais le pauvre chou et qu'il est si content de me rendre service qu'il oublie sa fatigue et puis qu'il fait si bien les commissions que je lui conserverai la pratique. Tu vois que je suis sans gêne. J'ai reçu hier les robes des enfants cachemire bleu violet. C'est très joli, et plus raisonnable que du drap pour des fillettes qui grandissent tant. Ainsi merci, ma chère Gla, encore pour cet achat pour lequel tu as tant couru. Comment faut-il faire ces robes ? Faut-il mettre l'astrakan ? N'est-ce pas trop lourd pour cette étoffe.

Approuverais-tu un volant de 10 cm en biais plissé et l'effilé sur la tête, une casaque garnie de petit comment ? formant corsage peut-être des petits velours ? R.S.V.P.

Pour le petit Bonnard[9] j'approuve ta combinaison ; je t'enverrai une lettre que tu feras remettre avec le drap. Merci toujours.

Louise Pavet[10] m'a écrit un bon petit mot pour me demander si j'étais en compte avec toi, et remercier pour la machine. Je n'ai pas encore répondu, charge-toi toujours de lui dire que c'est toi qui règle avec moi.

Paul Target[11] m'a annoncé aujourd'hui par un mot charmant que son fils était reçu bachelier ; il me dit avoir été pour te voir et que tu étais sortie avec Bathilde[12]. Comment va-t-elle cette pauvre femme ? Et Constance[13] ?

Georges[14] est allé hier consulter à Strasbourg, son père l'a accompagné. Le pauvre garçon va toujours en s'affaiblissant. Le Docteur a trouvé une tumeur à la rate, c'est très grave, et peu fréquent ; il n'en a vu qu'un cas qu'il a guéri, ceci donne un peu d'espoir. Charles[15] engage vivement qu'il aille s'installer avec sa femme[16] et la petite à Strasbourg, car son médecin de Mulhouse ne l'a pas bien soigné, et que d'un autre côté il ne peut rien faire et doit un peu se distraire. Que de douleurs en ce monde. Un jeune ménage qu'on a dû envier pour les auspices heureuses sous lesquelles il commençait !

L'école sera terminée pour demain on entrera en classe Mardi.

Petit Jean[17] te reste toujours, je suis contente que ce soit avec toi que le grand progrès de la lecture se fasse. Dis-lui que je suis obligée d'empêcher son amie Emilie[18] de lire tant ça l'amuse, elle prend toujours un livre pour ses récréations-

Je serai satisfaite de savoir Maman[19] rentrée et la grande maison louée aux sœurs pour plusieurs années ce serait un bon débarras.

Par ordonnance de ceux qui ont servi de mentor au cher ingénieur civil[20], chimiste à la ville de Vieux-Thann, lui rappelons que l’usage du petit verre le matin est très salutaire et que sa gouvernante aux doigts de roses pourrait s’acquitter des fonctions qui étaient dévolues à Cécile. Dis au cher garçon qu’ici on pense bien à lui et qu’on s’était si bien habitué à sa présence qu’il manque ; mais ce n’est que remis. Au reste je préviens les nouvelles cuisinières qu’il faut compter sur 5 maîtres tous les jours ! hein tu vois que je suis prévoyante !

Bonsoir, ma Gla, il est temps d’aller faire dodo. Je t’embrasse comme je t’aime.

Lundi midi

Je ne sais plus ce que je t’ai écrit, ne n’ai pas le temps de me relire, à toi à le faire.


Notes

  1. Cette lettre non datée est à situer le dimanche qui suit la Saint Charles (4 novembre).
  2. Marie et Emilie Mertzdorff.
  3. Léon Duméril.
  4. Thérèse Gross, cuisinière chez les Mertzdorff.
  5. La jeune Thérèse Neeff, domestique chez les Mertzdorff.
  6. Cécile Besançon, bonne des petites Mertzdorff.
  7. Julien Desnoyers.
  8. Charles Mertzdorff.
  9. Pierre Bonnard.
  10. Louise Milne-Edwards, épouse de Daniel Pavet de Courteille.
  11. Paul Louis Target, père de Louis Target.
  12. Bathilde Prévost, épouse d’Alphonse Duval.
  13. Constance Prévost, épouse de Claude Louis Lafisse.
  14. Georges Léon Heuchel, fils de Georges Heuchel.
  15. Charles Mertzdorff.
  16. Georges Léon Heuchel et son épouse, Elisa Madelaine Stoecklin, ont une fille Jeanne Heuchel.
  17. Jean Dumas.
  18. Emilie Mertzdorff.
  19. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers, probablement à Montmorency.
  20. Probablement Julien Desnoyers, ce « cher garçon ».

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 7 et lundi 8 novembre 1869. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers (épouse Milne-Edwards) (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_7_et_lundi_8_novembre_1869&oldid=60030 (accédée le 20 avril 2024).

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