Dimanche 28 octobre 1917 (A)

De Une correspondance familiale



Gazette multigraphiée n° 10, d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Brunehautpré) à son fils Louis Froissart (mobilisé)


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10e et dernière G.D.B.[1]        28 Octobre 1917

C’est le dernier N° et il sera bref, car les instants que l’on passe à la maison sont rares et précieux. Jugez-en par le récit de la semaine : ce sera du réchauffé pour Pierre[2] à qui son père[3] a écrit longuement, mais dans l’enfer où il se trouve il doit oublier à mesure ce qu’on lui apprend. Nous espérons avoir bientôt de ses nouvelles, celles du 20 nous paraissent déjà anciennes. Nous suivons Michel[4] sur les routes sans savoir où on le mène et Jacques[5] dans sa nouvelle activité qu’il paraît heureux d’échanger contre un repos trop prolongé. Nous nous demandons si Louis[6] est toujours dans la même position qui n’avait rien de fatigant. Nous suivons Lucie[7] dans ses devoirs maternels et la remercions de la lettre qui nous apporte ce matin des nouvelles de la chère petite malade[8]. Anne Marie traîne un peu de rhume avec mal de tête, cela nous tourmenterait si tout le monde autour d’elle n’était pas plus ou moins enrhumé et mon optimisme me porte à penser que la bonne Vève[9] gardera pour elle toute seule ses microbes écarlates ; Madeleine[10] que je remercie aussi de sa lettre nous conte des choses forts intéressantes, voilà Guy occupé de la rédaction d’une publication que, en qualité d’ancien habitant des tranchées, il saura certainement rendre intéressante pour ceux qui y sont maintenant et nous sommes très désireux de lire le premier N° de la « France nouvelle »[11]. Peut-on s’abonner ?

Me voilà bien loin des occupations de la semaine mais cela vous prouvera, mes enfants, que ce qui me préoccupe et m’intéresse le plus, c’est vous et vos lettres. Donc grande activité extérieure, depuis la dernière G.D.B. qui remonte au 15. L’événement le plus important a été la visite des Degroote aussi surprenante qu’agréable. Vous la connaissez tous. J’ai achevé Dimanche dernier mes visites à Campagne, fait mes adieux au patronage. Le lendemain Lundi nous avons eu un double enterrement : le Commandant de Rosamel[12] gendre de M. de France[13] à Lefaux où votre père devait aller en qualité de camarade de l’artillerie de Douai, et celui de Mlle Boisleux belle-sœur de Pullhop[14] qui est morte chez sa sœur Mme Dalle à Hesdin. Vous ai-je dit que Pullhop vient d’arriver dans cette dernière ville comme automobiliste ? Les Degroote ont voyagé avec lui. Je n’ai pu lui parler. Car c’est moi qui suis allée à Hesdin par le train, sachant que je pourrais revenir dans l’auto des Bamières[15] qui dînaient chez nous. L’après-midi, votre père et Paul sont allés à Hesdin Montreuil pour des affaires de permis et pour le laisser passer de la religieuse de Gabrielle, au retour visite d’un officier d’Intendance anglais accompagné d’un agent civil des réquisitions et d’un interprète toujours pour le foin de notre fermier[16]. La situation est très tendue entre lui et son propriétaire[17] et celui-ci s’est fâché tout rouge en s’entendant dire par le civil qu’il manquait de patriotisme en voulant assurer la récolte prochaine. Mardi tout entier à Brunehautpré beaucoup de rangements dans l’intérieur et les greniers, chasse aux souris et aux mites. Votre père a chassé au Ménage. Nous avons eu la visite de M. le Curé de Buire[18]… à midi. Toujours le même, aussi bon, édifiant et original. Mercredi nous avons été à Etaples faire plusieurs visites, et avons eu la déception d’apprendre que les bons amis d’autrefois ne pouvaient, pour bien des raisons, rester nos amis. C’est très triste. Votre père a été tout de suite invité à assister à la bénédiction d’un bateau. Retour par Montreuil. Jeudi j’ai passé la matinée à Campagne pour faire le catéchisme et différentes autres choses, pendant que votre papa en faisait d’autres. Nous avions M. le Curé de Brimeux[19] à dîner. Je suis retournée à Campagne ensuite pour faire mes adieux à l’ouvroir et une distribution de vêtements aux tout petits. Vendredi nous avons eu notre dernière messe, temps affreux, nous avons gardé M. le Doyen[20] à dîner, avec l’intention de partir de bonne heure pour Dommartin, mais voilà un déballage de bons amis de Saint-Denoeux, M. Augustin Priez[21] et son fils qui viennent demander une recommandation pour que ce dernier qui est récupéré comme garde-voie soit rapproché du pays où il a une culture, un de ses frères étant tué, un autre prisonnier et le 3e au front des Flandres. On a commencé par resservir le dîner, on a fait ensuite une lettre et il était près de 5h quand nous sommes arrivés à Dommartin avec la Sœur Désirée que nous reconduisions chez le pauvre Curé de Tortefontaine qui dépérit de plus en plus. Samedi à Bamières, puis aussitôt après le dîner, nous sommes partis votre papa et moi avec Laure[22] et Marguerite[23], voir la Cousine Alexandre[24]. Mais nous avons fait un long arrêt à Boufflers pour voir les arbres qu’il est question de réquisitionner, course à la recherche du garde qui a été jadis plombé par Michel. Bref nous avons posé plus d’une heure et il était presque 5h lorsque nous avons abouti à Lannoy. La chère Cousine[25] n’est plus la personne souffreteuse et gémissante que vous connaissez. Elle a rajeuni de 10 ans, devenue active et entreprenante par nécessité. Elle s’occupe de toutes ses affaires, de sa culture, des réquisitions, des locations &&. Marguerite est installée à Amiens avec Clara[26]. Ses filles sont en à la Providence, Louis[27] en 4e. ILs sont installés 90 rue BOUCHER de PERTHE. Inscrivez cela Mesdames… Nous n’étions rentrés à Bamières qu’à 7h1/2, mais Élise[28] avait fait souper Jacqui[29]. La Cousine nous a encore appris que le cousin R. d’Auxi vient de subir 2 opérations graves et que l’on reste tourmenté pour l’avenir. Il vient de rentrer chez lui. Le ménage de Madeleine[30] est tout à fait disloqué, ce qui n’empêche pas celle-ci d’être très gaie et très élégante ? Le mari qui n’est rien moins qu’intéressant est aviateur en Russie. Aujourd’hui matinée à Campagne, nous avons négocié une affaire avec les Marchand qui nous donneront leur âne en location pour l’hiver pour sa nourriture ; de cette façon le transport des enfants est assuré pour l’école. Nos affaires domestiques sont arrangées non sans me laisser quelques regrets car Louise[31] éprouvant le besoin de se reposer a loué une maison à Fressin. Nous emmenons la famille Alexandre[32] à Paris comme Valet de chambre, Cuisinière et la fille complètera son éducation commerciale. Mais il faudra qu’Alexandre [revienne] [ ] [cultiver le jardin]


Notes

  1. Gazette De Brunehautpré.
  2. Pierre Froissart, frère de Louis.
  3. Damas Froissart.
  4. Michel Froissart, frère de Louis.
  5. Jacques Froissart, frère de Louis.
  6. Louis Froissart, destinataire de cette gazette.
  7. Lucie Froissart, épouse de Henri Degroote.
  8. Anne Marie Degroote.
  9. Geneviève Degroote, qui a la scarlatine.
  10. Madeleine Froissart, épouse de Guy Colmet Daâge.
  11. Il s’agit plutôt de La Nouvelle France.
  12. Édouard Du Campe de Rosamel.
  13. Guislain Joseph de France.
  14. « Pullhop », un nom ou un surnom ?
  15. « Les Bamières » : la famille de Paul Froissart.
  16. M. de Sainte Maresville.
  17. Damas Froissart.
  18. Louis Fourrier, curé de Buire-le-Sec (près de Brimeux).
  19. Félix Routier, curé de Brimeux.
  20. Jean Baptiste Legay, doyen de Campagne-les-Hesdin.
  21. Augustin Priez, père de Joseph, Georges, Albert (†) et Paul Priez.
  22. Laure Froissart, épouse de Jules Legentil.
  23. Marguerite Dambricourt, épouse de Jean Froissart.
  24. Probablement Marie Carette, veuve d'Alexandre Froissart.
  25. Marguerite Froissart, veuve de Gaston Lefebvre.
  26. Clara non identifiée.
  27. Louis Lefebvre.
  28. Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  29. Jacqui : Jacques Damas Froissart.
  30. Madeleine non identifiée.
  31. Louise Bruche, épouse de Georges Bénard, employée par les Froissart.
  32. Alexandre Baudens, employé par les Froissart avec son épouse Marie Wicart.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 28 octobre 1917 (A). Gazette multigraphiée n° 10,d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Brunehautpré) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_28_octobre_1917_(A)&oldid=59397 (accédée le 21 novembre 2024).

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