Dimanche 28 octobre 1877
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris le 28 Octobre 1877
Mon cher Papa,
Devine où nous allons aller cette après-midi ? vers quel pays penses-tu que nous dirigions nos pas ? Vois-tu, tu nous as donné une telle habitude de voyages que maintenant notre vie sédentaire ne nous contente plus, ce n’est ni l’Italie ni la Suisse qu’il nous faut ; ces petits pays où tout le monde va et dont les habitants nous ressemblent tant, on se les figure sans les avoir jamais vus ; non, nous voulons aller plus loin et dans un instant nous partons pour le pôle nord. Irons-nous par terre ou par eau, la question n’est pas résolue mais peu importe aux grands voyageurs, rien ne les effraye ; ainsi les nuages noirs qui planent au-dessus de nos têtes ne nous effrayent nullement et il est décidé qu’on partira quoi qu’il arrive ; nous gèlerons peut-être en route heureusement que le trajet est court car par un phénomène extraordinaire et que M. Flammarion[1] t’expliquerait peut-être la terre s’est soudainement transformée et voilà maintenant le pays des Esquimaux transporté au jardin d’acclimatation ; quel hiver froid cela nous annonce !! mais comme M. Geoffroy[2] doit être content, quel succès pour son jardin !
Les Esquimaux en question sont arrivés avant-hier ils sont assez nombreux et vont pendant cet hiver remplacer les Nubiens ; depuis plusieurs jours on leur creuse un terrier ; pauvres gens que je les plains ! Mais tout en les plaignant je me réjouis énormément d’aller les voir ; oncle[3] y va surtout au jardin pour voir des oiseaux de paradis mais nous ce sont les Esquimaux qui nous attirent. Jean[4] se dépêche de travailler pour venir avec nous ; il a commencé le grec et en copiait ce matin une grande page.
Hier c’était le cours, nous y avons été à pied comme d’habitude, puis tante[5] et moi nous avons pris une voiture et nous avons été à Passy voir Marthe Tourasse et Pauline Dupoirieux auxquelles nous devions une visite depuis plus d’un an. Marthe était à son cours de dessin où elle va 3 fois par semaine depuis la rentrée ; c’est un véritable enthousiasme, elle dessine continuellement aussi elle n’a dessiné encore pris qu’une semaine de leçons et elle m’a montré des têtes qu’elle a déjà faites et devant lesquelles j’ai fort rougi je t’assure. Marthe n’a pas grandi, par exemple elle a engraissé et peut maintenant rivaliser avec moi. Ses amies étaient avec elle ; elles ne me plaisent pas beaucoup. Pauline allait sortir nous n’y sommes pas restées longtemps du reste j’aime bien mieux Marthe. Ni l’une ni l’autre ne sait ce qu’elle fera cet hiver en fait de cours. Marthe ira peut-être à la Sorbonne.
Emilie[6] travaille beaucoup en ce moment mais elle a bien moins de peine que ses compagnes ayant déjà fait une année préparatoire ; aussi tout le monde au cours la trouve bien heureuse.
Nous n’avons pas encore recommencé nos leçons de Mme Roger[7] ; elle aura sans doute oublié de nous écrire, nous y avons été avant-hier mais elle était sortie.
J’oubliais mon père chéri, de te remercier de ta bonne lettre, si tu savais comme cela nous fait plaisir une lettre de toi ! J’espère que le malaise de bonne-maman[8] n’aura pas eu de durée, embrasse-la bien pour nous cette bonne maman chérie et dis-lui que si nous ne rentrons pas trop tard ce soir je tâcherai de lui écrire. Je n’ai pas encore d’idée quant à la copie de la fresque ; est-ce grandeur naturelle ? Ce n’est guère un sujet de billard. Peut-être dans ton cabinet ? ou dans un corridor ?
Adieu mon Père chéri, il faut goûter afin de prendre des forces pour notre longue expédition ; je t’embrasse de tout mon cœur.
Ta fille qui t’aime comme tu le sais [bien]
Marie
Notes
- ↑ Camille Flammarion (1842-1925) est un astronome, vulgarisateur des problèmes de l'astronomie, de l’atmosphère terrestre et du climat.
- ↑ Albert Geoffroy Saint-Hilaire.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Pauline Roger, veuve de Louis Roger.
- ↑ Félicité Duméril épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 28 octobre 1877. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_28_octobre_1877&oldid=39600 (accédée le 15 novembre 2024).
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