Dimanche 25 juin 1871

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1871-06-25 pages1-4.jpg original de la lettre 1871-06-25 pages2-3.jpg


Vieux Montmorency[1]

25 Juin 71

Dimanche

Mon cher Charles,

Je n'ai pas encore reçu de lettre de toi, que les communications sont donc encore longues et difficiles, il faut espérer que cet état de choses ne restera pas ainsi. Je me figure aujourd'hui que bonne-maman Duméril[2] aura tant fait qu'elle aura obtenu de toi et d'oncle et de tante Georges[3], que vous alliez passer la journée à Morschwiller. Il n'a pas encore plus ce matin, quoique le temps menace et soit froid et désagréable ; il en est probablement de même en Alsace.

Je voudrais avoir quelques nouvelles intéressantes à pouvoir te conter, mais tu sais qu'on n'est guère mieux renseigné ici qu'à Vieux-Thann. Cependant nos parisiens[4] ont rapporté hier soir que les perquisitions se continuaient et qu'hier c'était le tour du quartier du Jardin des Plantes, que toutes les rues des environs étaient gardées et que personne ne pouvait sortir emportant quelques paquets, dans le but d'empêcher la sortie des armes, car de temps en temps, on essaie de tirer sur un soldat ou un officier. Les arrestations vont leur train, et le nombre des électeurs communeux en sera diminué considérablement, et c'est la chose importante.

Nos petites filles[5] vont très bien, elles ont tout à fait des mines épanouies ; Montmorency leur plaît, chacun est bien gentil avec elles et elles jouissent d'une douce liberté qui leur va. Les lapins jouent un grand rôle dans leur divertissement, et elles accompagnent maman[6] dans ses occupations, aussi je les ramènerai le moins possible à Paris. Je pense accompagner seule Aglaé[7] demain afin de voir Mme Duméril[8] avant son départ. En même temps je tâcherai de savoir le jour et l'heure à laquelle je pourrais rencontrer M. Gosselin[9] pour y mener Marie avant ton retour.

Aujourd'hui nous sommes aussi complets que nous pouvons l'être toi n'étant plus avec nous !... Hier j'ai émargé le papier de la salle à manger et en ce moment l'artiste en décors Alphonse[10], assisté de ses 2 aides Maman et Aglaé, le pose, Alfred[11] et moi assistons à ce grand œuvre, Marie court de l'un à l'autre, Emilie joue avec son Jean[12], et ces 2 là ne sont pas les moins satisfaits, ils clouent les petits morceaux qui tombent du papier et trouvent que l'effet est magnifique. M. Edwards[13] va venir dîner.

Nous craignons la visite de Mme Dollfus[14] qui paraissait avoir l'intention de nous présenter son gendre M. Sayous[15] lorsque j'ai été lui faire visite Vendredi.

Alfred m'a dit que Mardi, au départ tu avais très bonne mine, sur quoi on aurait voulu me taquiner, mais il n'y a pas eu d'écho, et je m'en réjouis, en souhaitant recevoir un petit mot me disant que tu vas bien et que tu n'as pas eu trop d'ennuis au retour.

Tu dois être bien occupé, puisque M. Jaeglé[16] doit s'absenter, aussi je n'ose espérer ma lettre quotidienne.

Je ne te parle pas de la maison, ce n'est pas que la chose ne m'intéresse pas, mais je sais que Nanette[17] fera pour le mieux et tu voudras lui dire un petit bonjour de ma part, ainsi qu'à Thérèse[18].

Il y a toujours beaucoup de Prussiens dans Montmorency, mais heureusement on n'en a pas renvoyé à Maman. Les réparations vont leur train dans la grande maison.

Adieu, mon chéri, merci pour tout, tu sais que mon cœur est à toi et que je veille en ce que je peux sur nos chéries. Que Dieu nous aide. Je voudrais être près de toi et je sens d'un autre côté que notre présence fait du bien à Maman.

Encore de bons baisers de tes trois et amitiés de tous les habitants réunis au Cottage.

Ta Nie

Un bon souvenir à oncle et tante Georges et à Morschwiller[19].


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  3. Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer.
  4. En particulier Jules et Alfred Desnoyers.
  5. Marie et Emilie Mertzdorff (« nos chéries »).
  6. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  7. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  8. Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
  9. Léon Gosselin, chirurgien.
  10. Alphonse Milne-Edwards.
  11. Alfred Desnoyers.
  12. Le petit Jean Dumas.
  13. Henri Milne-Edwards.
  14. Noémie Martin, veuve de Frédéric Dollfus.
  15. Edouard Sayous, époux de Berthe Fanny Dollfus.
  16. Frédéric Eugène Jaeglé.
  17. Annette, domestique chez les Mertzdorff.
  18. Thérèse Neeff, domestique chez les Mertzdorff.
  19. Les Duméril habitent à Morschwiller.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 25 juin 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_25_juin_1871&oldid=51666 (accédée le 29 mars 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.