Dimanche 18 et lundi 19 septembre 1870 (C)

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers, avec un ajout d’Emilie et Marie Mertzdorff (Bâle) à leur époux et père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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Bâle

Dimanche 18 Septembre 70

Mon cher Charles,

Je ne sais si tu as eu ma première lettre, mais voici une occasion pour Thann, et je suis trop heureuse si je puis te faire parvenir un petit mot te portant toutes nos amitiés et te disant que nous n'aspirons tous qu'au moment où tu nous permettras de rentrer auprès de toi et de pouvoir te seconder dans la faible mesure de nos forces, en t'entourant de notre affection à défaut de secours plus énergique. Les voitures à échelles ont continué jusqu'à hier soir à défiler venant de France et chargées de paysans fuyant devant l'invasion, ce matin au contraire on dit que quelques familles reprennent la route de la patrie d'après la nouvelle que les Garibaldiens auraient battu les Badois entre Mulhouse et la Suisse et les auraient forcés à fuir... Mais ils vont revenir en plus grand nombre ! Nous savons peu de chose de tout ce qui nous intéresse. Les Strasbourgeois arrivent assez nombreux, et sont reçus avec une hospitalité qui fait bien l'éloge des Suisse. Mme Jaeglé[1] a pu obtenir des renseignements rassurants sur la maison occupée par sa mère[2]. Elle est encore intacte et on s'y réunit 3 fois par jour pour prier, c'est une dame juive logée chez Mme Oswald qui nous a donné ces renseignements.

Hier nous avons dû nous rendre à l'invitation de Mme Oswald, nous étions chez elle à 3h elle nous a fait faire une charmante promenade en voiture puis goûté, et cordiale conversation. Cette dame m'a paru bonne et aimable, mais en ce moment, je ne saurais dire combien la société pèse, on n'est un peu tranquille que lorsqu'on peut se laisser aller à penser à tout ce qui absorbe l'esprit. La distraction fatigue et les conversations indifférentes sont lourdes à supporter. J'aurais voulu faire faire une promenade en voiture aux Gotti, mais jusqu'ici les 2 cochers craignaient pour les chevaux et les voitures les descentes rapides du pays, cependant je crois qu'aujourd'hui nous essayerons avec la voiture d'Emilie[3] qui a une mécanique.

Quant à nous, sois tranquille nous sommes bien, faisons bon ménage ; les cochers ne m'ont pas donné d'ennui jusqu'ici, chacun est fort calme ; tu peux le faire dire à la femme de Vogt[4]. Nos fillettes[5] sont bien sages, Emilie continue à être enrhumée, son nez coule, et je pense que Marie va se prendre aussi. Mais nous sortons toujours et le reste va bien. Ce matin nous étions toutes 3 à la grand’messe, hier on a un peu travaillé le matin, puis l'après-midi chez Mme Oswald.

Je m'inquiète beaucoup pour notre cher monde de Paris[6]. Je pense qu'il ne sera plus venu de lettre. Adèle[7] me préoccupe aussi, comment aura-t-elle fait le voyage jusqu'à Chaumont ?

Et bonne-maman Duméril[8] comment est-elle avec toutes ces émotions ? Et moi exilée de tant d'être aimés, sans pouvoir leur être d'aucun secours.

Mme Vaucher[9] a dû rentrer Vendredi avec ses enfants à Mulhouse, c'est son mari qui l'a demandée ; elle revenait de Suisse avec toute sa famille.

La Suisse tient une attitude vraiment très belle, tâchant de porter quelques soulagements à tant de misères qui accablent notre pauvre pays et particulièrement Strasbourg. Il est navrant d'entendre parler tous ces pauvres gens des horreurs de leur vie dans les caves et j'entendais ce matin quelqu'un raconter dans la rue que si la ville ne se rendait pas, le général prussien devait brûler le reste de la ville.

J'espère que Nanette[10] est rentrée car pour toi ce serait une tranquillité de l'avoir dans la maison, donne à Thérèse et à Antoinette une petite parole encourageante de ma part ; il m'est si pénible de n'être pas à mon poste.

Si la nouvelle du combat des Garibaldiens est vraie, voici le Haut-Rhin avec des blessés, et la lutte va recommencer prochainement en plus grand nombre. Que de misères morales et physiques.

Adieu, Ami chéri, soigne-toi, pense à nous et souviens-toi que notre plus grand désir serait d'être près de toi.

Nous t'embrassons bien bien fort.

Ta Nie

Dans ma dernière lettre je te priais de faire demander chez M. Mairel ce qu'il sait des demoiselles Lelièvre[11], leur mère[12] est arrivée de Strasbourg laissant son mari, elle ne sait rien de ses filles qui sont dans le département de l'Eure. C'est M. Mairel qui est resté en correspondance avec elles. Envoi quelqu'un demander pour me faire dire.

C'est un domestique de M. Schlumberger de Thann qui prendra cette lettre.

soir 9h Les voitures continuent à défiler vers la France ; d'autres reviennent, Stéphane veut retourner, Louis[13] et Ignace[14] se tourmentent de leur femme. Résumé : on ne sait rien de ce qui se passe.

Bonsoir mon pauvre Ami. Quelles sont tes pensées ? Je t'embrasse

Eugénie M.

Lundi matin Le journal bâlois nous arrive grâce à Mme Jaeglé, mais ce que nous lisons n'est pas rassurant pour l'ensemble. Cependant les paysans retournent chez eux.

Le cœur est navré. Où es-tu ? Qu'as-tu fait à la maison ? Nous faisons du feu le matin. Les fillettes vont bien, je ne peux que t'envoyer nos tendresses

EM.


Notes

  1. Marie Caroline Roth, épouse de Frédéric Eugène Jaeglé.
  2. Caroline Frédérique Eberlen, veuve du pasteur Jean Roth.
  3. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  4. Marie Anne Capon, épouse d'Ignace Vogt, cocher chez les Mertzdorff.
  5. Emilie et Marie Mertzdorff.
  6. En particulier les familles Desnoyers et Milne-Edwards.
  7. Adèle Duméril, dont l’époux Félix Soleil vient d’être nommé à Chaumont.
  8. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  9. Cécile Luya, épouse d’Edouard Vaucher, a 5 enfants.
  10. Annette, domestique chez les Mertzdorff, ainsi que Thérèse Neeff et Antoinette.
  11. Dont Camille Lelièvre.
  12. Marie Thérèse Adèle Boltz, épouse d’Etienne Charles Antoine Lelièvre.
  13. Stéphane et Louis, domestiques.
  14. Ignace Vogt, cocher.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 18 et lundi 19 septembre 1870 (C). Lettre d’Eugénie Desnoyers, avec un ajout d’Emilie et Marie Mertzdorff (Bâle) à leur époux et père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_18_et_lundi_19_septembre_1870_(C)&oldid=39422 (accédée le 15 novembre 2024).

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