Dimanche 17 et lundi 18 décembre 1871
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)
Dimanche soir
Ma chère petite Gla,
Combien tu es courageuse de m'écrire malgré ton horrible mal, je t'en suis bien reconnaissante <car> je m'inquiétais <de savoir> le résultat de la visite de Mercredi à M. Dewulf. Pauvre chérie, combien tu as souffert et souffres encore, et il est probable qu'il faudra encore revenir à la charge pour ouvrir un passage à ce vilain mal. Nous t'admirons tous les 4[2] dans notre petit coin, de prendre assez sur toi pour nous écrire (et < > faire si propre) lorsque tu es si mal <toi>. Aussi on répète autour de moi : « quelle personne énergique que cette Aglaé ». Et c'est bien ce que je pense. Mais il faudra te soigner jusqu'au bout, et ne pas sortir avant que le mal ne soit tout à fait en décroissance. Cet engourdissement général du bras joint aux élancements doit être quelque chose de bien douloureux < > les plus douloureux < > et cela n’est pas fait < > ni te donner bonne mine < > mais il faut bien accepter les choses comme elles viennent, nous autres pauvres créatures nous ne pouvons pas faire autrement. Je suis bien contente de ton arrangement de chauffage, de cette façon tu as bon chaud et peux jouir de ton joli petit appartement, on aime toujours son petit chez soi ; c'est ce qui m'arrive avec la pièce que j'occupe toujours, c'est celle que je préfère de beaucoup et que je trouve toujours la plus jolie...
On me crie bonsoir, il faut aller embrasser mes deux fillettes... La voilà, la besogne faite, la pénitence en était fort douce, j'ai mis une petite bande avec de l'eau de vie camphrée au poignet d'Emilie, elle dit y avoir mal par moment. Je ne sais si ça vient du piano, elle fait des exercices, et comme cette étude l'amuse, elle la fait avec ardeur. Elles font beaucoup de progrès toute deux ; Marie joue fort gentiment un menuet de Haydn.
Comme toi je ne crois presque plus au retour de maman[3] à Paris, cette pauvre mère doit avoir cependant grand désir de te revoir. Sa présence te serait bien agréable.
Comment va Alphonse[4] ? Son cours ne le fatigue-t-il pas ? Fais-lui toutes nos amitiés.
Depuis ma lettre d'hier 1h rien digne de t'être écrit : défait une petite caisse contenant les objets que j'étais allée acheter à Mulhouse : un tapis (feutre) pour bonne-maman Duméril[5], un châle pour Nanette[6], du chocolat & puis visite à Mme Berger[7] puis pesage de mes laines < >, lectures de mes petites écolières et le soir toutes sortes de choses à <inscrire> pour les pauvres. Cette semaine il faut que je prépare < > à l'école de couture. Aujourd'hui messe à 7h ½ avec Emilie. Marie avait eu mal aux oreilles, et elle est restée à la maison, nous avions du brouillard, mais les grands-parents Duméril[8] l'ont bravé pour venir nous surprendre à 11h ½ ; ils vont bien, je n'ai rien appris de nouveau. Mme Constant Say[9] a été très mal, M. Nélaton[10] lui a fait une opération fort désagréable, elle va mieux. Tu sais que la mère et la fille[11] sont veuves toutes deux en moins d'un an. Leur grande fortune ne les met en rien à l'abri des misères de cette vie, c'est là où l'égalité est parfaite.
Je viens de lire les raisons que M. Thiers donne à la commission pour faire rentrer à Paris l'assemblée. Nous appartenons à la classe des ruraux et je voterais pour le gouvernement à Paris, et l'Assemblée à Versailles.
Tu me demandes ce qui nous ferait plaisir pour nos étrennes ? Je voudrais t'adresser la même question car je n'ai pas la moindre idée pour toi, pas plus que pour Alfred[12]. Mais que veux-tu dans un village il n'y a rien, et j'en prends mon parti sans me casser la tête pensant à l'occasion réparer la chose. Tu devrais faire de même. Cependant les enfants ont tant de plaisir à recevoir ce qui vient de vous que je me ferais scrupule de leur enlever ce plaisir. Ce sont toujours les livres (amusants) qu'on me demande.
Tu pourrais voir dans la Collection Tardieu[13] (rue de Tournon 13) Je ne connais que la Veilleuse[14] et la Légende d'une épingle[15]. C'était charmant autant que je me rappelle mais un peu trop tôt pour Marie. Fais-toi envoyer les <principaux> de la collection, tu jugeras par toi-même. (volumes in 18 vélin 1 F) Voilà ce que je lis sur le dos d'un livre < >. Ce que les fillettes < > beaucoup ce sont des feuilles < > découpage, elles ont employé celles que j'avais achetées avec toi rue St Jacques il y a <> ans. On trouve cela chez les papetiers de nos quartiers, on découpe puis on colle et ça les amuse beaucoup, elles ont passé leur journée à monter les meubles de la chambre de Lily en carton. J'ai acheté un petit fourneau de fonte pour la dînette que je leur ferai monter dans la petite pièce près de la chambre un jour où nous irons à Morschwiller, elles ont beaucoup de batterie de cuisine dont elles pourront au moins se servir. Si tu te trouvais rencontrer un bougeoir de cuisine en cuivre ou choses analogues ça trouverait sa place sur ces petites < > après je ferai mettre autour du < > la cuisine dont le petit foyer sera le centre (il faut que je te dise que ce charmant objet me coûte 20 F car je t'entends crier après moi, et qu'il est très lourd... Comme les douanes sont une cause de difficultés pour s'envoyer des petits présents. Gardez ce que vous voudrez me donner pour lorsque j'irai vous voir, je ne sais trop ce que je désire mais il me semble qu'un bénitier, une petite fanchon en dentelle noire et un album pour mettre les petites photographies sont choses qui me manquent et me feraient plaisir. J'espère que tu me parleras avec la même franchise. Vois-tu quelque chose dont maman aurait besoin ? Tu arrangeras cela comme si j'étais près de toi. Demain je t'inscrirai avec les enfants les ouvrages qu'elles trouvent les plus amusants pour Jean[16] et Marthe[17]. Tu crois que < > Pour Marthe < > rien avoir de plus joli la collection < > coûte <8 F>
Bonsoir ma chère Gla < > peut-être que tu souffres encore de ton bras < >Je t'embrasse bien fort < > EM
Il y a < >
J’ai un joli bouquet de réséda sur ma table que je voudrais t’envoyer.
Voici les livres qu’Emilie et Marie pensent devoir plaire à Jean et à Marthe : (Emilie me dicte)
1- <Contes dans> Contes dans un nouveau genre[18].
2- Collection de Frank[19]
3- Embarras d’une petite fille curieuse (Marthe) (1820) à la librairie d’éducation de Pierre Blanchard[20]
4- Le Chanoine Schmidt[21], les œufs de Pâques, la Colombe (très amusant &&)
5- Lydie de Gersin[22] (histoire d’une jeune anglaise de 8 ans)
6- Berquin[23] (mais tout n’amuse pas)
7- Les Mémoires d’une Poupée par Julie Gouraud[24]
8- histoire et leçons de Choses Mme Pape Carpantier[25]
9- Les Bons Enfants par Mme de Ségur[26] très amusant
10- Les fêtes d’Enfants[27] (bibliothèque rose)
Tu as la collection de la bibliothèque rose beaucoup plus complète que nous.
11- Les Récréations instructives (un ouvrage qu’on a donné autrefois au à Pierre Buffet qu’on a de la peine à se procurer, nous n’en avons qu’un volume publié chez Borrani (tiré du Journal des Mères et des Enfants)[28]
1 h Lundi
Ma petite Gla, Depuis ce matin je n’ai pu retrouver une minute pour écrire à maman, fais-lui dire que je l’embrasse bien fort.
Il me semble que les titres que je t’ai donnés hier pour Marie ne valent pas grand chose. Ce qu’elle désire c’est un volume de Mme Emmeline Raymond qui se trouve à la librairie Firmin-Didot[29] et qui contient toutes les explications et modèles pour apprendre à faire tous les petits ouvrages à l’aiguille, crochet, filet &&.[30]
On m’attend et comme je ne peux pas savoir comment va ton bras depuis Samedi, il faut que j’attende en t’embrassant de tout cœur.
EM
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Eugénie Desnoyers, Son époux Charles Mertzdorff, et les fillettes Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers, à Montmorency.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
- ↑ Joséphine André, épouse de Louis Berger.
- ↑ Félicité Duméril et son époux Louis Daniel Constant Duméril, venus de Morschwiller.
- ↑ Emilie Wey, veuve de Constant Say (1816-1871).
- ↑ Auguste Nélaton (1807-1873), médecin et chirurgien.
- ↑ Jeanne Say, veuve de Roland de Cossé-Brissac ((1843-1871).
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Jules Tardieu (1805-1868), libraire à Paris, littérateur.
- ↑ La Veilleuse légende par J. T. de Saint-Germain [pseudonyme de Tardieu], Paris, J. Tardieu (In-18, 1862, 5e édition).
- ↑ Pour une épingle légende par M. J.-T. de Saint-Germain, Paris, J. Tardieu (In-18 avec gravures, 1862, 10e édition).
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ L’un des ouvrages de Mlle C. Deleyre : Contes dans un nouveau genre pour les enfans qui commencent à lire (1807, 1861) ; Contes dans un nouveau genre dédiés aux enfants bien sages (édition revue par Mme Fanny Richomme, 1857) ; Contes dans un nouveau genre pour les enfants (1861).
- ↑ Possiblement : Frank, a sequel to Frank in early lessons, Maria Edgeworth (1767-1849), 1854, Londres, 7e édition en 3 volumes.
- ↑ Les Embarras d'une petite fille curieuse, histoire amusante et utile, ornée de six gravures (P. Blanchard, 1820 ; il existe des éditions plus tardives).
- ↑ Christoph von Schmid (1768-1854), chanoine d'Augsbourg et très prolifique auteur pour la jeunesse.
- ↑ Baronne Frederike Henriette Wiesenhuetten, Lydie de Gersin, ou Histoire d'une jeune Angloise de huit ans pour servir à l'instruction et à l'amusement des jeunes Françoises du même âge (1835 ; il existe d’autres éditions).
- ↑ Arnaud Berquin (1747-1791) est l’auteur d’ouvrages dont L'Ami des enfans (1783, très souvent et longtemps réédité) ; Jules Gossin, avocat, est l’auteur d’une série d’ouvrages, dont Le Berquin catholique, ou Lectures récréatives à l'usage de la jeunesse religieuse (1834). De nombreux ouvrages paraissent tout au long du XIXe siècle : Le Berquin des petits garçons ; Le Berquin des demoiselles ; Le Berquin des petits-enfants (1875) ; Le Berquin des enfants et des adolescents (1878), etc.
- ↑ Sous pseudonyme Julie Gouraud (1810-1891) publie de nombreux ouvrages pour la jeunesse, dont les Mémoires d'une poupée, contes dédiés aux petites filles par Mlle Louise d'Aulnay (plusieurs éditions à partir de 1839).
- ↑ La pédagogue et directrice de l'École normale maternelle de Paris, Marie Pape-Carpantier (1815-1878) publie de nombreux ouvrages, dont les Histoires et leçons de choses pour les enfants (Louis Hachette, 1858, 1860, etc.).
- ↑ Sophie de Ségur (1799-1874), auteur de livres pour enfants souvent réédités publie Les Bons enfants (1863, Louis Hachette, Bibliothèque rose illustrée ; 1866).
- ↑ Anne Charlotte Jeannel, en religion sœur Élisabeth, Les Fêtes d'enfants : scènes et dialogues (1862 puis 1864 ; Bibliothèque rose illustrée).
- ↑ Les Récréations instructives sur les animaux, les arts et les métiers, l'agriculture, l'industrie, les sciences et autres sujets variés, publié à Paris par C. Borrani, constitué par des extraits du Journal des mères et des enfants, dir. Jules Delbruck (1860-1863).
- ↑ Didot, famille d'imprimeurs et éditeurs, dont la raison sociale devient « Firmin-Didot » sous le Second Empire.
- ↑ Emmeline Raymond, Leçons de couture, crochet, tricot, frivolité, guipure sur filet, passementerie et tapisserie, Paris, Firmin-Didot frères, 1868, In-18, 360 p., fig., « Bibliothèque des mères de famille ».
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 17 et lundi 18 décembre 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_17_et_lundi_18_d%C3%A9cembre_1871&oldid=41453 (accédée le 21 novembre 2024).
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