Dimanche 12 octobre 1873
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Dimanche soir[1]
12 8bre 73
Ma chérie
Si tu avais été petit oiseau tu m'aurais vu ce soir après le départ de bon-papa & bonne-maman[2] assis à mon bureau regardant par la fenêtre, puis la pendule qui marquait 5h ½. Je ne vois rien venir. Puis cependant Melchior[3] avec le courrier.
Ce n'était certes pas le journal que j'attendais, il contient trop de vilaines choses que je ne lis pas. Mais bien une chère petite lettre qui a été reçue comme l’on reçoit un bon ami. Je te remercie chérie de ta bonne missive d'hier, elle ne me porte que de bonnes choses & elles sont si rares.
Figure-toi que je suis brouillé avec ma correspondance & ne me souviens jamais quel jour je vous ai écrit, il me semble qu'il y a déjà plusieurs jours que j'ai écrit une longue lettre à Émilie[4]. Depuis je sais que j'ai donné de nos nouvelles à Tante Zaepffel[5] & je vois d'après ta lettre qu'il y a en effet bien des jours passés sans que vous ayez de mes nouvelles. Je suis tant avec vous, mes toutes chères, et la correspondance souffre.
Mais une autre fois je ferai plus attention.
Mes faits & gestes seront bien vite racontés. Jeudi j'ai passé ma journée à Morschwiller, les travaux sont bien avancés, j'étais très satisfait de ce que j'ai vu. aussi ne suis-je pas resté comme d'habitude longtemps à faire la Causette avec bonne-maman j'ai passé mes heures avec les machines. Je pense que cette semaine l'on essayera à blanchir des pièces & c'est notre Bruckert[6] d'ici qui est chargé de cette mise en train.
Je crains bien que le père Buisson ne soit trop âgé pour faire marcher ces machines qui vont un peu trop vite.
En rentrant il me semble que j'ai trouvé une petite lettre amie d’Émilie qui m'attendait.
Vendredi & Samedi j'ai pas mal dessiné à une machine que je crois nécessaire. Enfin aujourd'hui J’ai eu à dîner tous nos parents de Morschwiller[7] plus M. & Mme Paul, ces derniers ne m'ayant plus revu & ne leur ayant pas écrit me croyaient fâché. Mais il n'en est heureusement rien. Les Paul n'étant venus qu'à midi j'ai fait un bout de causette avec bonne-maman toute seule, Ces Messieurs étant au bureau. Ces petits discours de bonne-maman vous les connaissez & savez que nous n'avons rien dit de bien méchant, ni sur nos chers Parisiens, ni sur le prochain en général.
Bonne-maman suit le procès Bazaine & comme j'avais essayé à plusieurs reprises à le lire aussi & que j'ai dû chaque fois y renoncer. J'ai dû la laisser philosopher là-dessus & elle s'en acquitte bien. Nanette[8] nous a donné un assez bon dîner durant lequel l'on a assez causé.
L'on a pris le café au billard où l'Oncle Georges[9] est venu nous rejoindre, Ces Messieurs ont joué ces dames[10] & bon-papa ont pris l'air & le beau soleil au Jardin. Léon lui est venu seul à pied & s'en est retourné de même.
Après le billard l'on est allé faire visite à tante Georges admirer ses treilles qui sont tellement chargées de fruit comme jamais je n'en avais vues. C'est très curieux & il n'est pas laid.
La journée a été superbe & tout me fait espérer que demain Lundi jour des Vendanges nous aurons ce même temps ce qui est si rare dans cette saison & qui sera une fête pour tous les travailleurs. Nous ne pensons pas finir en un jour, mais il restera peu pour le lendemain. Je pense que Nanette aura soigné pour les différents dîners etc. Du reste c'est l'Oncle Georges qui soigne pour ces choses-là & il s'y entend.
Lundi je ferai mon jour de repos & tâcherai de l'employer à ranger mes papiers & livres etc. Flâner dans la maison comme vous me voyiez souvent. L'on ne travaille ni au bureau ni à la fabrique, bonne journée de vérification de toute sorte
Mardi je serai de nouveau à Morschwiller & s'il m'est possible je me ferai conduire à Mulhouse.
Te voilà chère Marie bien au courant de ce que j'ai fait & désire faire & lorsque tu liras cette lettre je serai en chemin de fer.
Il y a 3 jours j'ai écrit à Haarlem en Hollande de même à Lille à propos de machine & suivant la réponse il serait possible que je vous arrive par par ce gros crochet ; mais d'ici à une décision j'aurai encore bien occasion de vous écrire.
A mon retour de Paris ici je devrais me décider à faire un assez long voyage dans toute l'Allemagne ; mais pourrai-je m'y décider ? that is the question ?
A Mulhouse l'on est généralement content de nous ici, l'on voit que nous faisons des efforts & j'espère que nous saurons aider considérablement cette pauvre industrie cotonnière d'Alsace à entrer sur le marché Allemand. Maintenant j'étudie pour imiter les Anglais pour entrer sur les marchés de l'Amérique du Sud. Si cela devait réussir comme je l'espère les produits du pays trouveraient un écoulement de plus.
Lorsque j'aurai fait tout cela avec un peu de succès je serai content & pourrai peut-être me reposer un peu auprès de vous mes chéries avec l'esprit plus libre. Mais il faudra probablement plus de temps que cet hiver.
Du reste chère amie, je suis heureux d'avoir à m'occuper & à me tourmenter un peu, autrement je laisserais aller mon cœur à des idées bien autrement tristes. Je ne vais pas jusqu'à la fatigue & ne me porte que mieux tant au moins que j'aurai quelque espoir de réussir.
Mais je te parle affaire comme à une grande fille & tu ne m'en voudras pas n'est ce pas, ce ne sont que quelques lignes à lire qui me font beaucoup de plaisir à écrire ; & c'est aussi un peu pour Oncle & tante[11] qui s'intéressent à mes projets.
Je ne sais si je vous ai dit que le petit enfant[12] de Melcher qui était toujours malade & chétif est mort cette semaine, il avait 3 ans C'est un bonheur pour la pauvre créature & ses parents[13].
J'ai fait cueillir du raisin pour pouvoir en envoyer à Morschwiller & aux Paul, l'on n'en a pas trouvé à Steinbach où toute la vigne est ravagée par les sangliers, mais ici suffisamment pour ici je n'ai besoin que de peu.
Il paraît que quelques sœurs des écoles sont déjà de retour, car l'on m'a fait demander les clefs de la maison. La maison est si calme, les bonnes[14] restent toujours dans leur quartier, je ne les vois & ne les entends pas & [sans] le murmure de l'Eau l'on pourrait se croire au milieu de L'Oxenfeld[15].
Mais me voici au bout de mon papier & de mon rouleau de nouvelles il me reste à peine assez de place pour te prier d'embrasser pour moi toutes les chères joues que tu aimes[16] & que j'aime bien aussi & pour toi & ta sœur le plus gros bec de ton père qui t'aime
Charles Mff.
Il est assez tard car tu dois être en train de te coucher si Demain il me reste un petit moment Je le passerai encore avec toi.
Tu vois que je n'ai plus de papier fais-moi souvenir, comme jadis.
Lundi matin Melcher vendange je ne veux pas le faire aller en ville ce soir je termine en t'embrassant encore bien fort.
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Melchior Neeff, concierge chez les Mertzdorff.
- ↑ Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Possiblement Thiébaut Bruckert.
- ↑ Les grands-parents Duméril et leur fils Léon Duméril.
- ↑ Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Probablement Félicité Duméril et Elisabeth Schirmer, l’épouse de Georges Heuchel.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
- ↑ Madeleine Louise Neeff.
- ↑ Marie Anne Wallenburger et son époux Melchior Neeff.
- ↑ Annette et Thérèse Neeff.
- ↑ L’Oxenfeld, plaine sauvage, couverte de bruyère.
- ↑ Allusion à la famille Desnoyers.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 12 octobre 1873. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_12_octobre_1873&oldid=61751 (accédée le 15 novembre 2024).
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