Dimanche 10 novembre 1833

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Amiens) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris)


lettre du 10 novembre 1833, recopiée livre 8 page 977.jpg lettre du 10 novembre 1833, recopiée livre 8 page 978.jpg lettre du 10 novembre 1833, recopiée livre 8 page 979.jpg lettre du 10 novembre 1833, recopiée livre 8 page 980.jpg lettre du 10 novembre 1833, recopiée livre 8 page 981.jpg lettre du 10 novembre 1833, recopiée livre 8 page 982.jpg lettre du 10 novembre 1833, recopiée livre 8 page 983.jpg


Amiens Ce 10 Novembre 1833 Dimanche matin.

Eh ! bien, ma chère maman, tu dois recevoir aujourd’hui une lettre de Mlle Ghiselain qui te montrera la vérité de la prédiction que tu me faisais dans ta dernière lettre en me disant qu’il ne fallait pas m’attendre à retrouver à Amiens les jours que j’ai donnés de plus à nos parents, puisque l’on ne veut pas que je reste moins de 8 jours ici et qu’on ne veut pas me laisser partir avant vendredi. J’ai vu avec peine que tu étais contrariée ainsi que papa[1] de ce que je ne sais pas mieux résister aux instances qu’on me fait, c’est que c’est fort difficile je t’assure, et par exemple lorsque j’ai dit que tu m’attendais pour faire ton déménagement du 14 au 16 on a répondu que rien ne pressait et que tu pouvais bien rester quelques jours de plus au jardin. Bref, ici comme ailleurs je n’ai pas su apposer cette fermeté que tu me conseillais d’employer. Et pour tout dire, je dois t’avouer que je me trouve très bien à Amiens ; ici d’abord je suis comme chez un prince, j’ai une chambre dans laquelle on fait du feu le soir, du feu le matin, un domestique qui me soigne, et Mme Dunoyer[2] que sa vie de grandeur n’a pas changée quand il s’agit de faire plaisir, a beaucoup d’attentions pour moi. Ce qui me paraît le plus singulier, c’est ce grand changement arrivé dans la position de Mme Dunoyer, et je me prends très souvent à comparer le petit appartement du passage des Petites-Ecuries, à ce grand hôtel de la Préfecture, la richesse de l’ameublement de ce dernier, avec celui si modeste de l’autre, le nombreux domestique d’ici qui se compose : d’un valet de chambre, d’un domestique, d’un cuisinier, d’une femme de chambre et d’une bonne d’enfant, à celui de Paris qui ne se composait que d’une servante. Madame demande sa voiture, etc. etc. Tout cela paraît réellement singulier, mais on est heureux de voir que des personnes aussi bonnes soient dans une aussi belle position. L’hôtel est très beau, le jardin magnifique et ici comme à Lille et à St Omer[3], on veut absolument te voir ; Mme Duval[4] aussi.

Je suis parti de St Omer jeudi à minuit avec Alphonse[5], nous avons fait le soir une partie de boston et avons quitté la maison à 10 h ½ ; mon oncle Montfleury[6] continuait à bien aller. Notre séparation à Alphonse et moi a eu lieu le vendredi matin à St Pol ; j’ai vu là M. Lesturgez[7] qui était venu pour l’élection d’un député[8], lequel m’a chargé de vous présenter ses compliments, et M. G. Grivel[9] qui venait pour le même objet. Jusque là, nous avions fait route avec une espèce de commis voyageur qui nous avait assez amusés par ses histoires, mais depuis St Pol jusqu’à Amiens, c’est-à-dire depuis 9 heures du matin jusqu’à 7 heures du soir, la conversation quoique assez gaie parce que nous étions 3 jeunes gens, a été moins animée que le matin, et les relais étant très mal servis, nous nous sommes assez ennuyés. Le soir de mon arrivée, ces dames allaient chez Mme Dupont, la belle-mère de Léonide[10] qui est venu te voir l’été dernier ; je connaissais cette famille, on me proposa d’y aller et j’acceptai ; j’eus le plaisir d’y voir Mme Alphonse Dupont, Mme Bourgeois[11], M. Duval[12], j’y reconnus quelques personnes, et quoique je ne m’y sois pas amusé, car c’était une soirée de jeu, et je n’ai pas joué, je ne m’y suis pas ennuyé. Hier samedi, j’ai été chez mon oncle Désarbret[13] que j’ai trouvé dans sa salle devant la cheminée, sur le feu de laquelle étaient deux harengs et une soupe aux choux ; il a une bonne, et se trouve dans ce moment dans les grands embarras d’une lessive ; cela fait de la peine de le voir ainsi seul dans cette vieille maison dont toute la partie sur le devant est fermée ; j’ai eu assez de peine à me faire entendre de lui, car sa surdité est encore à ce qu’il me semble augmentée ; j’ai été avec lui chez notre cousin Théophile Duval[14] que je n’ai pas trouvé, il n’y avait chez lui que sa mère qui a tout à fait l’apparence et la mise d’une paysanne.

Je vais retourner aujourd’hui chez lui, je sais qu’il ne prêche pas ; après j’ai été chez Mme Duval dont la porte d’entrée est maintenant rue St Rémy ; elle est maintenant à ce qu’il paraît plus que jamais dans ses noirs < > elle m’a cependant fort bien reçu, m’a fait très bon accueil. Je suis allé de là chez Léonide, dont l’appartement se compose de la partie de la maison que nous habitions, cette charmante Mme Duval a fait sa cuisine dans le jardin qui est maintenant une sorte de cour ; Léonide a fait de l’ancienne cuisine sa salle à manger, de la pièce au rez-de-chaussée qu’on appelait la chambre de Raoul[15], sa cuisine ; de la grande chambre rouge, une fort belle chambre très bien ornée, de la petite chambre jaune un délicieux petit salon, de la pièce où travaillait Mlle Caron une jolie chambre d’amis. Les meubles sont d’un goût parfait, quant à la maîtresse de ces lieux, il m’a paru tout singulier de la trouver une dame, son mari a l’air de beaucoup l’aimer. C’est à ce qu’il paraît la plus élégante de toutes les dames d’Amiens. J’ai été après ces visites faire une promenade en voiture avec Mme Dunoyer et Mlle Élisa[16] ; j’ai dîné chez Mme Duval ; Léonide et son mari y dînaient ainsi que le général Tiburce Sébastiani le frère de l’ancien ministre ; j’ai passé la soirée chez M. Duval ; on a été assez gai. Aujourd’hui je vais au spectacle ; demain lundi, la famille Duval dîne ici ; mardi je suis engagé à une soirée dansante. Et mercredi... sans doute je pars pour Paris d’après ce que tu me dis dans ta lettre ; nous allons déjeuner, et je lirai le passage qui a rapport à ce sujet. J’oubliais de te dire que mardi je dîne ou plutôt je fais un déjeuner dînatoire à midi et demi chez mon oncle et que je redîne le soir chez Mme Duval.

Je pense que le courrier part de bonne heure aujourd’hui, et comme je compte sortir après déjeuner, je termine ici ma lettre remettant à te parler tout à l’heure de la décision que j’aurai pu prendre relativement à mon départ. Je te remercie beaucoup de ta lettre en réponse à ma dernière de St Omer (si elles mettent trois jours à faire le trajet, c’est que les dépêches vont de Saint Omer à Calais pour partir de là pour Paris). Je vois que ta soirée de jeudi a assez bien réussi. Adieu donc ma chère maman, je t’embrasse de tout cœur ainsi que papa et Constant[17].

Ton fils tout affectionné et bien dévoué

A. Aug. Duméril

Mes amitiés je te prie à ma tante[18] et à Eugène[19] dont Alphonse n’a pas reçu de lettre à Saint Omer comme tu l’annonçais.

Je crois que tu feras bien de ne pas tarder à écrire à ma tante Montfleury[20], car je crois qu’elle compte assez sur une lettre de toi.

Voici heureusement le beau temps revenu.

Je m’attendais bien à de la résistance et Mme Dunoyer veut que je te dise qu’elle a du monde à dîner mercredi, que cela lui ferait de la peine que je m’en allasse ce jour-là ; ensuite en arrivant le vendredi 15, peut-être cependant aurais-je le temps de prendre mon inscription et pour moi le registre serait-il irrévocablement fermé le 15 au soir ? Vois cela avec papa et réponds, s’il te plaît, demain lundi, de manière à ce que je puisse avoir ta réponse mardi. Vendredi tu as probablement été en retard, puisque j’aurais dû recevoir ta lettre hier et que je ne l’ai reçu qu’aujourd’hui.

Lorsque j’ai commencé cette lettre, je n’avais pas encore reçu ta lettre, ainsi ne t’étonne pas de ce que je te dis au commencement de la mienne.


Notes

  1. André Marie Constant Duméril.
  2. Clarisse Ghiselain, épouse de Charles Dunoyer, préfet de la Somme.
  3. Deux frères d’André Marie Constant Duméril vivent respectivement à Lille (Auguste l’aîné) et à Saint Omer (Florimond dit Montfleury l’aîné).
  4. Flore Maressal, épouse d’Augustin Duval, conseiller à la Cour d’Amiens.
  5. Alphonse Defrance.
  6. Florimond Duméril dit Montfleury (l’aîné), frère d’André Marie Constant, est directeur de l’hôpital de Saint Omer.
  7. Benoît Lesturgez a épousé en 1814 Rosalie Leguay, fille d’Angélique Duval et de Louis Leguay.
  8. Probablement Henri de Rigny (1782-1835), ministre de la Marine en 1830, puis en 1831, député de la Moselle et du Pas-de-Calais.
  9. Georges Grivel, fils d’Isaac Jules Grivel, banquier négociant qui a financé l’installation de la filature de Jean Baptiste Say à Auchy-lès-Hesdin en 1804.
  10. Léonide Duval a épousé Alphonse Dupont en 1832.
  11. Octavie Duval a épousé Hippolyte Bourgeois en 1829.
  12. Augustin Duval, père d’Octavie (épouse Bourgeois) et de Cécile (épouse Dupont).
  13. Joseph Marie Fidèle Duméril, frère d’André Marie Constant.
  14. Le chanoine Antoine Théophile Duval, fils de Charlotte Duval.
  15. Charles Edmond Raoul-Duval, troisième enfant d’Augustin Duval.
  16. Elisa Dunoyer.
  17. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  18. Elisabeth Castanet.
  19. Eugène Defrance, frère d’Alphonse.
  20. Catherine Schuermans, seconde épouse de Florimond Duméril dit Montfleury (l’aîné).

Notice bibliographique

D’après le livre des Lettres de Monsieur Auguste Duméril à M. Henri Delaroche (suite), 4ème volume [Séjour à Amiens chez Mr Dunoyer alors Préfet de la Somme (1833), à Soissons chez Auguste l’Ingénieur quand il y était en mission (1839). Course à Fontainebleau avec mon père et Bibron (1839)], p. 977-983.

Pour citer cette page

« Dimanche 10 novembre 1833. Lettre d’Auguste Duméril (Amiens) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_10_novembre_1833&oldid=57190 (accédée le 22 décembre 2024).

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