11 mai 1882 environ

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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Mon cher Papa,[1]

Merci mille fois de la bonne lettre que tu m’as écrite et des nouvelles de chacun que tu nous donnes, je suis bien contente de savoir que tu es enfin reposé de ton voyage.

Nous avons lu avec attention tout ce que tu nous dis du nouveau projet[2] dont on te parle, du reste tante[3] nous avait déjà mis au courant de ce qu’elle savait et dans notre désir à tous d’être éclairé le plus possible avant qu’on fasse la moindre avance, Marcel[4] avait fait quelques recherches et avait su que le jeune homme en question[5] était au ministère des travaux publics depuis trois ministères, il s’y est donc trouvé sous MM. Sadi-Carnot[6], Raynal[7] et le ministre actuel[8] ; cela nous effraie un peu car cela semble indiquer une forte tendance à s’occuper de politique et de politique très avancée, car tu te souviens peut-être de ce qu’était M. Raynal, le ministre de Gambetta[9] et homme fort méprisable à divers points de vue (nous l’avons su de différents côtés et entre autres par des républicains). Les positions de chefs de cabinet ne sont jamais imposées, paraît-il, aux auditeurs au Conseil[10] et toujours bénévolement acceptées. Il est étonnant que M. C. ait pu rester au cabinet d’un tel ministre sans approuver un peu ses idées et en compagnie d’un M. Marcel[11] (également au conseil d’état) et qui paraît-il n’est pas fameux.

Marcel croit avoir vu M. C. cet hiver chez le procureur général[12], il serait d’après ses souvenirs, petit, décoré, avec quelque chose d’un peu de travers dans le regard. Il porte lorgnon ; du reste Marcel n’a pas même entendu le son de sa voix ; il n’avait l’air de connaître presque personne de la Cour ; en somme l’impression de Marcel n’était pas fameuse mais c’est uniquement au point de vue extérieur.

Tout cela peut à peine s’appeler des renseignements et dans l’état actuel des choses il nous semble bien difficile de tâcher d’en savoir davantage car d’après ta lettre nous croyons comprendre qu’on a parlé d’Émilie[13] à la famille et il devient alors très délicat pour Marcel de prendre des informations sur l’honorabilité des parents de son chef, ses démarches reviendraient probablement à M. A. qui doit être aux aguets, cela pourrait lui faire croire qu’on court après son neveu ou qu’on a déjà pris un commencement de décision ; et après tout Mme B.[14] qui t’en parle ne connaît que bien indirectement le jeune homme. A propos de Mme B. laisse-moi te dire, mon cher Papa, que je suis un peu inquiète de voir une affaire aussi délicate entre ses mains, car tu sais tout le 1er combien elle manque quelquefois de jugement ; tu ferras bien si tu lui écris de peser tes mots ; car sur un mot de toi même insignifiant elle peut pourrait aller de l’avant, et nous engager avec précipitation or c’est ce qui le plus souvent fait manquer les mariages. Elle insisterait sur la fortune d’Émilie et elle prendrait bien facilement le rôle qui, après toi, revient tout naturellement à tante.

Que tout cela est grave, mon cher Papa, je voudrais être auprès de toi et causer avec toi de tout ce qui nous occupe bon cher Père, combien je pense à toi ! J’espère que nous aurons bientôt une nouvelle lettre de toi. L’heure me presse, j’ai à peine le temps de t’embrasser mais je le fais du plus profond de mon cœur

ta fille

Marie

Nous allons tous à merveille. Surtout mon Père chéri je te supplie de brûler cette lettre.


Notes

  1. Lettre non datée, à situer après la lettre d’Élisabeth Mertzdorff-Bonnard du 8 mai.
  2. Un projet de mariage pour Émilie Mertzdorff,sœur de Marie.
  3. Aglaé Desnoyers, épouse d'Alphonse Milne-Edwards.
  4. Marcel de Fréville.
  5. Clément Colson.
  6. Sadi Carnot (1837-1894) ministre des Travaux publics dans le cabinet Jules Ferry, de septembre 1880 à novembre 1881.
  7. David Raynal (1840-1903), ministre des Travaux publics dans le gouvernement Léon Gambetta.
  8. Henri Varroy, ministre des travaux publics pour la seconde fois du 30 janvier 1882 au 6 août 1882.
  9. Léon Gambetta, Président du Conseil du 14 novembre 1881 au 26 janvier 1882.
  10. Le Conseil d’État.
  11. Henry Marcel.
  12. Paul Audibert, procureur général (« M. A. »).
  13. Émilie Mertzdorff.
  14. Élisabeth Mertzdorff, épouse Eugène Bonnard (voir la lettre du 8 mai).

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« 11 mai 1882 environ. Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=11_mai_1882_environ&oldid=41404 (accédée le 25 avril 2024).

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