Vendredi 23 et samedi 24 juillet 1875

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1875-07-23 pages 1-4.jpg original de la lettre 1875-07-23 pages 2-3.jpg


Paris le 23 Juillet 1875.

Pauvre père chéri, quelles étourdies tu as pour filles[1] ! c’est abominable vois-tu. Figure-toi que cette malheureuse lettre que tu n’as reçue qu’hier datait déjà de 2 jours et qu’elle a été tout simplement oubliée sur notre table. Heureusement ……

Samedi 24 Juillet. Mon bon Père que vas-tu penser de nous et de cette lettre écrite en tant de fragments ? Je crois que si hier je commençais en t’annonçant un de nos défauts je puis ce matin continuer cette liste et te dire que si tes filles sont étourdies elles sont aussi très paresseuses ce dont tu dois très bien t’apercevoir. Elles t’en demandent bien pardon et pour se justifier elles vont te dire que cette paresse n’est pas absolument de leur faute mais beaucoup de celle d’Hortense Duval qui est ici depuis Mercredi soir. Voilà mon bon petit papa l’explication de ce long silence et je t’assure que quoique nous ayons été paresseuses à écrire nous n’avons pas perdu notre temps. Je commence mon journal à Mercredi 12h et jusqu’à ce matin tu verras que nos journées ont été bien remplies et que nous sommes bien loin de nous être ennuyées. Nous partons donc Mercredi à 2h ½ en passant par la douche ce qui est devenue maintenant notre chemin habituel puis nous prenons l’omnibus qui nous conduit jusqu’au boulevard des Italiens à une certaine porte que tu connais bien celle de M. Pillette[2]. Mais rassure-toi, mon bon père, ce n’était qu’une simple inspection que tante[3] voulait nous faire passer avant de partir pour les bords de la Manche. Nous montons donc ; mais quelle est notre surprise de trouver pas mal de monde dans ce salon où nous n’avons généralement vu que nous. Nous attendons, mais l’heure s’avance et force nous est de partir sans avoir rien fait du tout. Nous étions à 4 ½ chez tante Target[4] où avait lieu le rendez-vous avec Mme Lafisse[5] et après une courte visite nous sommes parties emmenant avec nous la jeune personne de 18 ans car elle a 18 ans depuis 8 jours !

Je ne parlerai pas de notre soirée tu connais le dîner et la soirée en famille. Jeudi matin nous n’avions nulle envie de travailler aussi tante nous a-t-elle permis de laisser nos devoirs pour le moment. Sitôt après le déjeuner on s’est installé dans le 1er cabinet d’oncle[6] dans le fond où se trouvaient rangés en bataille les nombreux pots de confiture (j’en ai je crois compté plus de 150) et l’on s’est mis en devoir de recouvrir ce régiment au son d’une agréable lecture faite par l’une de nous. Le temps passe vite quand on est ensemble aussi avons-nous été très surprises en découvrant à 2h ½ qu’il était l’heure de nous habiller car bon-papa[7] devait venir nous prendre à 3h pour faire ensemble la visite de la sainte chapelle. Cela nous a comme tu penses beaucoup intéressées surtout avec bon-papa qui connaît tous les plus petits détails et qui sait vous faire remarquer tout ce qu’il y a de beau. Nous avons ensuite été à Notre-Dame où nous sommes entrées voir le trésor. Enfin après une visite prolongée nous avons quitté bon-papa et nous avons été prendre un exquis bain froid.

Puis nous avons été dîner chez bonne-maman[8]. Hier matin nous avons bien dû travailler car Mlle Bosvy venait à 10h ; pendant que nous prenions notre leçon Hortense est sortie faire des courses avec oncle. Ils étaient ici à 1h et nous sommes partis tous ensemble par le bateau pour l’exposition de géographie qui est ouverte depuis quelques jours. Je t’en prie, mon petit père, arrive quelques jours d’avance car cette exposition est extrêmement intéressante et faite pour toi qui aimes tant la géographie. Nous y sommes restés jusqu’à 4h ½ ; puis la faim nous pressait et nous avons encore toute une annexe à voir. Nous avons été jusqu’au palais royal où bonne-maman qui était avec nous nous a régalés de petits gâteaux chez Chiboust[9]. Puis, tandis que ces dames prenaient l’omnibus pour rentrer, nous sommes reparties avec oncle sur la terrasse et dans l’orangerie où nous avons été fort attrapés en ne trouvant en fait de géographie qu’une exposition faite par les marchands des kiosques en tous genres de chaises portatives & de ces mille choses plus insolites les unes que les autres ; tu vois cela d’ici.

Nous n’en avons pas moins consciencieusement fait tout le tour aussi en arrivant ici Hortense était-elle fatiguée quant à moi j’aurais volontiers recommencé.

Il est 7h 10, je t’écris depuis 6h ½ car je craignais fort qu’une fois tout le monde levé je ne puisse de nouveau plus t’écrire ce que je ne voulais absolument pas. Mon bon père si tu savais combien je me réjouis de te revoir ! Tu sais que nous ne partirons pas pour Port[10] sans toi et que le départ est fixé au Dimanche 1er par conséquent il faut que tu sois là.

Les petites Berger[11] (ou les grandes Demoiselles pour parler plus logiquement) sont paraît-il venues nous voir Mercredi juste au moment où nous venions de sortir ; nous avons beaucoup regretté de ne pas les avoir vues, elles ont dit à Cécile[12] qu’elles partaient pour Portrieux et qu’elles comptaient revenir vers le 15 août ; ce sera un bien court séjour, faisant un aussi long voyage.

Je te remercie mille fois père chéri de t’être occupé de l’accordeur.

A revoir petit papa je compte sur une lettre de toi tout à l’heure nous annonçant ton arrivée et en attendant je t’embrasse de toutes mes forces ta fille qui t’aime

Marie

Je vais écrire à Mme Soleil[13], combien j’aimerais mieux que cela soit à bonne-maman[14] à laquelle je veux écrire depuis si longtemps ce qui me couvre de remords. Cela m’amuserait bien autrement.


Notes

  1. Marie et sa sœur Émilie Mertzdorff.
  2. Ernest Pillette, dentiste.
  3. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  4. Probablement Éléonore Pauline Lebret du Désert, veuve de Louis Ange Guy Target.
  5. Constance Prévost, épouse de Claude Louis Lafisse.
  6. Alphonse Milne-Edwards.
  7. Jules Desnoyers.
  8. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  9. M. Chiboust, célèbre pâtissier, inventeur d’une crème légère à la vanille.
  10. Port-en-Bessin.
  11. Marie et Hélène Berger.
  12. Cécile, bonne des demoiselles Mertzdorff.
  13. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil.
  14. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 23 et samedi 24 juillet 1875. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_23_et_samedi_24_juillet_1875&oldid=61655 (accédée le 22 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.