Vendredi 22 juin 1877
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris le 22 Juin 1877
Mon bon petit Père,
Quoique ce ne soit pas moi qui aie reçu une bonne lettre ce matin je ne viens pas moins t’en apporter ma bonne part de remerciements car je t’assure qu’elle m’a fait au moins autant de plaisir qu’à ma sœur[1] ; j’espère que Mme Berger[2] se lance ! en voilà un souper des plus complets ! ce qu’il y a de plus drôle c’est que je croyais Mme Berger à Epinal auprès de Mme Deguerre[3] et certainement le repas n’aurait pas eu lieu sans elle.
D’ici je n’ai pas grand-chose à t’apprendre je ne suis pas comme toi et ne sais pas trouver tout ce qu’il y a d’intéressant. Si tu savais comme tout ce que tu nous racontes de tante Marie[4] nous amuse ! comment va-t-elle ?
Hier j’ai été très occupée toute la journée et tu vas voir comment : c’était la première fois que je me livrais à ce genre de travail, j’ai repassé toute la matinée, tante[5] m’a montré et cela m’a beaucoup amusée quoiqu’un peu endolori les talons et échaudé les doigts. J’ai repassé nos robes de toile, je t’assure que c’est très difficile ; j’ai commencé avant le déjeuner me suis énormément dépêchée et n’ai eu terminé ma besogne qu’à midi. Je recommencerai encore car tante veut que j’apprenne ; mais pour une 1e fois je ne m’en suis pas trop mal tirée ; j’aurais bien aimé que tu me voies je suis sûre que j’avais l’air d’une vraie repasseuse car pour me donner bien le genre j’approchais sans cesse mon fer de ma joue.
A midi je me suis habillée en poste (tu sais comme quand tu nous as attendues longtemps et que nous voulons nous dépêcher) et j’ai été en omnibus avec tante à la sainte-Chapelle où nous avons retrouvé le cours de beaux-arts réduit, hélas, à sa plus simple expression ; Mlle Magdeleine n’a plus qu’une élève en dehors de moi ; nous étions donc deux ; nous avons examiné le monument sous toutes ses faces ; mais à ma grande honte il faut que je te dise que j’ai eu beaucoup de distractions et que je me suis plus d’une fois mise à regarder les avocats et les juges avec leurs drôles de costumes et puis les prisonniers qu’on conduisait au tribunal au lieu de contempler le gothique rayonnant ; je crois même que je me suis déconsidérée aux yeux de ma maîtresse qui nous expliquait tous les sujets du portail en m’écriant tout à coup : Oh ! que ce moineau est donc gentil ! et ce n’était pas un pierrot du temps de saint-Louis !! De là nous avons été rue du Bac toujours pour ce même cours mais cette fois tranquillise-toi ce n’était pas pour étudier l’architecture de l’hôtel Des Essarts.
Nous sommes revenues ici en voiture pour reprendre Emilie[6] puis notre carrosse nous a menées au bain Lambert où nous nous sommes plongées avec délices sinon dans les flots d’une onde pure du moins dans une eau bien agréable et qui coulait si fort qu’il nous a été impossible de remonter le courant.
Aujourd’hui nous ne sommes pas sorties il fait de l’orage il vient de tomber une pluie torrentielle nous irons peut-être plus tard dans la ménagerie.
Nous apprenons à force notre comédie d’anglais c’est décidément le Sham[7] book et c’est Emilie qui est le héros moi je suis sa marraine et suis prodigue en beaux sermons.
Au revoir mon bon petit papa que j’aime, je t’embrasse de toutes mes forces, que je voudrais donc te voir ; ta fille qui écrit bien mal.
Marie
J’embrasse bon-papa et bonne-maman[8] ainsi que tante Marie.
Notes
- ↑ Charles Mertzdorff écrit alternativement à Marie et à sa sœur Emilie.
- ↑ Joséphine André, épouse de Louis Berger.
- ↑ Marie André, épouse d’Antoine Albert Deguerre.
- ↑ Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Emilie Mertzdorff.
- ↑ SHAM acronyme de Self-Help and Actualization Movement. Genre éditorial de livres pratiques et de recettes pour toutes les circonstances de la vie, inauguré par Benjamin Fraklin en 1732 avec son Poor Richard’s Almanack.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Vendredi 22 juin 1877. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_22_juin_1877&oldid=51849 (accédée le 18 décembre 2024).
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