Vendredi 21 octobre 1870

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller)


livre de copies, vol. 2, p. 625 (lettre 1870-10-21).jpg livre de copies, vol. 2, p. 626 (lettre 1870-10-21).jpg livre de copies, vol. 2, p. 627 (lettre 1870-10-21).jpg livre de copies, vol. 2, p. 628 (lettre 1870-10-21).jpg livre de copies, vol. 2, p. 629 (lettre 1870-10-21).jpg


Vendredi 21 Octobre 1870.

Jour où Pierre[1] a 5 mois.

Mes chers amis,

Le long espace de temps que j’ai laissé s’écouler sans vous écrire, depuis mon n° 8 (4 Octobre)[2] a été franchi silencieusement par moi, en grande partie, à cause de l’incertitude où l’on est, relativement à l’arrivée des lettres à destination, ce qui, avec l’absence de réponse de ceux auxquels on s’adresse, ôte de l’entrain pour écrire ; en outre, j’ai tardé à prendre la plume, parce que un petit accident étant survenu dans ma santé, je ne voulais pas vous écrire sans vous en parler, et je n’aurais pas aimé vous en entretenir sans vous apprendre qu’il était tout à fait dissipé. Aujourd’hui, il n’a pas encore complètement disparu, mais il est en bonne voie de résolution, de sorte que je ne veux pas tarder davantage à venir vous donner des nouvelles. Ce petit accident, causé par le refroidissement de la température extérieure, quoique je ne fusse pas sorti de la maison, a consisté dans un petit épanchement d’eau, dans le côté droit de la poitrine, où, depuis bien des semaines, il y a un peu de bronchite, déterminant, la nuit surtout, de la toux et de l’expectoration fatigantes. C’est le 15 que l’auscultation a fait reconnaître à Lecointe[3], ce petit épanchement pleurétique, et dès le soir, un large vésicatoire, de 15 centimètres, et presque égal dans les 2 sens, était appliqué en arrière, à droite, et le 19 un autre semblable au premier a été mis à la même place, et a été plus pénible, parce que le nouvel épiderme était encore très mince, et enfin, tout n’ayant pas encore disparu, quoiqu’il y ait modification en bien, un 3eme, presque aussi grand, couvrira demain le côté droit de la poitrine. Je ne tarderai pas à vous faire connaître le résultat définitif de cette médication active, qui a déjà diminué la toux et l’expectoration, et, par suite, permis de meilleures nuits. Ce n’est que l’auscultation et la percussion, pratiquées par Lecointe avec le soin le plus minutieux, qui lui ont permis de constater cet épanchement qui, en raison de son petit volume, n’a déterminé aucune souffrance. Quant à mon état général, malgré une légère tendance à l’amélioration constatée par Lecointe, il y a une bien légère différence. La petite quantité d’eau épanchée dans le ventre a un peu diminué, mais les membres inférieurs, particulièrement les cuisses, restent tout aussi volumineux et durs, et gênés dans leurs articulations, dernière complication qui, si le temps me permettait de sortir, opposerait un obstacle à la marche un peu prolongée, quoique cependant un moment après que je me suis levé de mon siège les mouvements deviennent plus faciles. Quant à l’essoufflement, il était, jusqu’à l’application des vésicatoires, extrêmement pénible. Sous l’influence de ces grands exutoires volants, il a un peu diminué, mais je crains de le voir revenir. Après plus de deux mois d’eau de Vichy, j’en cesse l’usage. Je prends maintenant, depuis près de 15 jours, de l’iodure d’arsenic et de l’iodure de potassium. Mes fonctions digestives continuent à se bien accomplir, et je mange volontiers la ½ (ou peut-être un peu plus) de ce que je mange en état de santé. Voilà où j’en suis, et j’ai encore pour plusieurs mois, je n’en saurais douter. Lecointe, d’ailleurs, ne m’a jamais dissimulé que ce serait long, mais l’étape déjà parcourue peut compter, puisque, en réalité, elle a commencé le 26 Mai (près de 5 mois). Au milieu de cela, je ne me laisse point abattre, ni par des réflexions sur mon état de maladie, que je m’efforce de supporter avec patience et résignation, heureux des soins si assidus et si affectueux dont m’entourent sans cesse la mère[4] et la fille[5]. Je ne me laisse pas absorber, non plus, bien différent en cela d’Auguste[6], par les préoccupations que peut si bien motiver la situation terrible dans laquelle nous sommes, mais qui évidemment semble tendre à s’améliorer. Nous ne sommes pas encore tourmentés par les mauvaises conditions d’alimentation où la ville commence à se trouver placée. Je jouis extrêmement de la présence d’Adèle et de ses enfants[7], et comme elle a eu la fermeté ainsi que sa mère, au milieu des évènements actuels, j’éprouve une tranquillité d’esprit qui m’est très salutaire. De même que de chez vous, aucune nouvelle, bien entendu, ne nous parvient de Chaumont[8]. Si vous essayiez d’écrire, en mettant sur l’adresse par voie de Tours, il serait possible que les lettres parviennent, car on parle d’essais de départs de ballons, de cette ville, pour Paris. Nous serions si désireux d’avoir de vos nouvelles, et de celles du pays ! On en a de bonnes de Julien[9], qui est toujours au fort d’Issy. Mme Desnoyers[10], son mari, Aglaé[11], Mme Gastambide[12], Mme de Tarlé[13], Antoinette[14], Mme Dunoyer[15], les Baleste[16], me font l’amitié de venir assez souvent savoir de mes nouvelles. Après le déjeuner, que précède ma toilette, toujours un peu fatigante, mon temps est pris par la lecture des Débats, dont les articles de fond sont toujours d’un grand intérêt, et dont les informations, très nombreuses et exactes, sont fort intéressantes, car nous prenons, bien entendu, la plus vive part aux évènements accomplis autour de nous. Recevez-vous des journaux, temps en temps, autres que l’Industriel ? Le reste de ma journée est rempli par une révision, que je projetais depuis longtemps, d’une certaine portion de mes autographes, puis, peu à peu, je compte me remettre doucement au travail. Je suis délicieusement installé dans le grand salon. Le soir, au moins 3 fois par semaine, nous jouons au boston, avec Auguste et Paul[17] ; les autres soirs, Eugénie et moi, nous jouons aux dominos ou à l’impériale, et après le coucher de ses enfants, la chère Adèle vient prendre la place de sa mère, qui se prépare pour le coucher, qui a lieu de 10 h ¼ à 11 h.

Adieu, mille tendres amitiés, de tous à tous, et pour les Mertzdorff. Les 3 enfants vont très bien, à part un peu de rhume, sans importance.


Notes

  1. Pierre Soleil.
  2. Voir le récapitulatif des lettres envoyées dans le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2e volume, page 594.
  3. Le docteur Charles Édouard Lecointe.
  4. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste.
  5. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil et fille d’Auguste.
  6. Charles Auguste Duméril, beau-frère d’Auguste.
  7. Marie, Léon et Pierre Soleil.
  8. Chaumont où se trouve Félix Soleil.
  9. Julien Desnoyers.
  10. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  11. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  12. Emilie Delaroche, épouse d’Adrien Joseph Gastambide.
  13. Suzanne de Carondelet, veuve d’Antoine de Tarlé.
  14. Antoinette de Tarlé, épouse de Gilbert de Milhau.
  15. Clarisse Ghiselain, veuve de Charles Dunoyer.
  16. Hippolyte Baleste et son épouse épouse Amélie Louise Defrance?
  17. Paul Duméril, fils de Charles Auguste.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril 2me volume (pages 625-630)

Pour citer cette page

« Vendredi 21 octobre 1870. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_21_octobre_1870&oldid=58799 (accédée le 28 mars 2024).

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