Vendredi 21 août 1835

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Angers) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris)



Angers 21 Août 1835.

Me voici enfin arrivé à Angers, ma chère maman, et bien content je t’assure de me trouver auprès d’Auguste[1]. J’ai vu avec regret avant hier à Tours que la poste partait à 5 heures du matin, et que par conséquent ma lettre serait en retard d’un jour, puisque je ne l’ai mise à la poste qu’à huit heures du matin. Ma journée à Tours s’est passée fort agréablement. Après avoir été à la poste, je me suis promené un moment, je suis rentré à 10 heures à l’hôtel où j’ai déjeuné, puis j’ai été voir M. Bretonneau[2] qui m’a fait le plus gracieux accueil qu’il soit possible, me témoignant à plusieurs reprises le plaisir qu’il avait à me voir, tu comprends que j’ai cherché de mon côté à lui exprimer combien j’étais sensible à ces marques d’amitié. Il finissait de déjeuner et était avec M. Leclerc (ce jeune homme que nous avons vu à Paris) et qui m’a aussi très bien reçu, et avec sa femme[3], dont l’air âgé et cassé, m’a bien frappé, quoique je m’attendisse à voir une personne vieille ; elle a l’air presque aussi vieux que ma tante[4], mais elle semble avoir encore toutes ses facultés. M. Bretonneau m’a engagé à venir dîner chez lui, mais comme il désirait me montrer son jardin, il m’engagea à me trouver chez lui à 4 heures pour faire cette promenade avant le dîner. Il était pressé comme il l’est toujours, et je m’en allai ; il était près de onze heures et demie, j’allai à la cathédrale qui est extrêmement belle, et je montai à l’une des tours qui est fort élevée et d’où on voit bien l’ensemble de la ville, laquelle est assez ramassée sur elle-même et n’a véritablement de bien beau que sa position qui est magnifique ; je visitai l’évêché qui n’offre rien de particulier si ce n’est que les appartements sont très vastes, le musée qui ne possède que quelques beaux tableaux : un canal servant de jonction de la Loire et du Cher, les promenades de la ville, et je rentrai à l’hôtel pour m’arranger un peu, puis j’allai chez M. Bretonneau, un cabriolet était prêt et nous montâmes dedans, M. Bret, M. Leclerc et moi, et au bout d’un quart d’heure environ, nous étions rendus à ce jardin qui offre une végétation d’une vigueur admirable, grâce à un puits artésien qui y est creusé, et dont toute l’eau se répand dans le jardin par des rigoles. Les fleurs et les arbres sont superbes. M. Bretonneau semble aimer beaucoup cette propriété qui se compose en outre d’une petite maison assez gentille, d’une prairie fournissant assez de foin pour ses chevaux, et d’une jolie petite île formée par une petite rivière. Nous nous sommes promenés pendant une heure ½ à peu près ; nous sommes rentrés à 6 heures, M. Bretonneau m’a mené dans son salon et m’a présenté à Mme Leclerc chez laquelle il demeure. Cette dame peut avoir une quarantaine d’années et n’est pas jolie, elle est fort petite, mais elle a une fille de 17 à 18 ans qui est une jolie personne. Nous avons dîné tous les six ensemble, M. Bretonneau m’a fait boire du très bon vin de Saumur qui peut en quelque sorte rivaliser avec le Champagne, et m’a encore témoigné beaucoup d’amitié et m’a parlé à plusieurs reprises de vous tous ; il a été obligé de sortir de suite après dîner pour recommencer ses visites ; nous sommes sortis M. Leclerc, sa mère, sa sœur et moi, nous sommes allés voir deux beaux puits artésiens qui sont creusés dans la ville ; le fils nous a quittés pour aller aussi de son côté voir des malades. Nous nous sommes rendus au champ de foire où nous nous sommes promenés, puis assis pendant une heure au moins et j’ai eu le plaisir de causer avec ces dames qui sont aimables, et la jeune personne ne manque pas d’esprit, ma soirée s’est donc passée, comme tu le comprends, d’une manière fort agréable. Je suis rentré à l’hôtel et me suis couché entre onze heures et minuit. Le lendemain jeudi, je me suis levé vers 6 heures, j’ai fait ma malle ; et à 7 on est venu me prévenir qu’il y avait de la place dans la diligence, je m’y suis rendu, et nous sommes partis à 8 heures, j’ai vu un instant M. Bretonneau qui passait dans la rue. J’avais une place d’intérieur ; il n’y avait en fait de voyageur avec lequel je pusse causer qu’un collégien. La route de Tours ici est admirable, on voyage sur une levée ou digue, qui longe le bord de la Loire dont le lit desséché laisse voir de charmants îlots que recouvrent les eaux dans les temps où les eaux sont fortes, et dont l’autre bord qui est un coteau garni de bois, de petits villages pittoresques et de châteaux offre un aspect délicieux. J’avais déjà suivi la levée depuis Blois jusqu’à Tours, et la vue est bien belle aussi. Nous avons été fort vite, nous n’avons mis que 12 heures à parcourir les 30 lieues qui séparent Tours d’Angers. Ayant mis une lettre à la poste le mercredi après 5 heures du matin pour Auguste, elle avait été en retard d’un jour, et n’était partie que 2 ou 3 heures avant moi et il ne l’avait pas reçu à 8 heures, j’ai laissé ma malle au bureau et suis allé en m’informant de mon chemin jusqu’à la rue des Lices où demeure Auguste et où je l’ai trouvé qui allait venir voir aux diligences si part hasard j’étais arrivé. Tu conçois que nous avons eu beaucoup de plaisir à nous revoir. Il peut me loger chez lui, ce dont je suis fort aise, car nous nous trouverons bien plus ensemble que si j’avais été à l’hôtel, je suis dans son cabinet de travail qui est une grande chambre.

Nous nous sommes déjà promenés ce matin, nous avons parcouru la ville qui n’offre rien de bien remarquable. Il dessine dans ce moment pendant que je t’écris, et nous nous interrompons bien souvent pour causer. Je dois dîner avec lui à sa table d’hôte qui est à ce qu’il parait très bonne et qui est bien composée. Je sais si bien que vous vous intéressez à tout ce que je fais, que je me permets de m’étendre en longs détails sur toutes mes actions. J’espère que j’aurai bientôt une lettre de toi, tu peux me l’adresser simplement à Monsieur Duméril élève ingénieur des Ponts et Chaussées rue des Lices, sans autre indication.

Voilà papa[5] bien prêt d’arriver à Montbéliard, je souhaite qu’il ne soit pas trop fatigué de cette longue route. Auguste a reçu hier une lettre de Fabre[6] qui lui annonce sa réception avec une bonne note ; si tu le vois, fais-lui, je te prie, mon compliment.

Auguste compte écrire prochainement à Félicité[7], je me donnerai aussi très prochainement ce plaisir, Auguste vous envoie à tous trois ses meilleures amitiés ainsi qu’à Eugène et à Alphonse[8]. Il remercie beaucoup le premier de l’envoi de sa thèse et le félicite sur la manière dont il l’a passée. Il me charge aussi de te remercier pour les pralines que tu avais eu l’idée de lui envoyer, disant qu’il reconnaît bien là ta bonté.

Adieu, ma chère maman, je t’embrasse de tout cœur ainsi que Constant et sa femme. Mes amitiés je te prie à ma tante, aux cousins et aux Comte et aux Say si tu les vois.

Tout à toi ton bien affectionné fils

A. Aug. Duméril

Mon passeport m’a été utile à Saumur et ici hier au soir.


Notes

  1. Charles Auguste Duméril, cousin d’Auguste Duméril.
  2. Pierre Bretonneau, médecin à Tours, ami d’André Marie Constant Duméril.
  3. Marie Thérèse Adam, épouse de Pierre Fidèle Bretonneau.
  4. Elisabeth Castanet.
  5. André Marie Constant Duméril.
  6. Joseph Auguste Fabre a soutenu sa thèse le 17 août 1835.
  7. Félicité Duméril, sa cousine et épouse de son frère Louis Daniel Constant.
  8. Eugène et Alphonse Defrance.

Notice bibliographique

D’après le livre des lettres de Monsieur Auguste Duméril à M. Henri Delaroche (suite), 4ème volume (Voyage à Angers et sur les bords de la Loire, jusqu’à Saint Nazaire, pendant qu’Auguste l’ingénieur était en mission à Angers en 1835), p. 998-1004.

Pour citer cette page

« Vendredi 21 août 1835. Lettre d’Auguste Duméril (Angers) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_21_ao%C3%BBt_1835&oldid=43191 (accédée le 29 mars 2024).

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