Mercredi 19 août 1835

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Tours) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris)



Tours Mercredi 19 Août 1835 7 h ½ du matin

Ma chère maman,

Je commence ce matin cette lettre pour toi, je ne la finirai peut-être qu’un peu tard, et il est possible qu’elle ne parte pas aujourd’hui, mais comme tu as eu de mes nouvelles les deux derniers jours, je pense que tu ne seras pas inquiète. Je suis parti hier de Blois, comme je t’ai écrit que je comptais le faire à 10 h. du matin. J’avais retenu une place de coupé pour mieux voir le pays, mais ce coupé était un cabriolet, dont la vue était assez gênée par le cocher et un voyageur placé à côté de lui sur le siège, comme dans un coucou. Cela ne m’a cependant pas empêché d’admirer le superbe pays que nous parcourions sur une belle route qu’on appelle la levée, et qui suit constamment la rivière, excepté pendant une lieue peut-être. La Loire est d’une largeur remarquable, elle est malheureusement à sec dans une grande partie de sa largeur, et on regrette de ne pas voir à sa surface des bateaux, qui en rendraient l’aspect encore bien plus joli, car telle qu’elle est, elle est un peu triste. Sur les côtes, au milieu des arbres, et sur les coteaux, on aperçoit d’anciens châteaux, plus ou moins considérables, deux surtout sont très grands, et paraissent très beaux, ce sont ceux de Chaumont et d’Amboise. Pour en revenir à notre voiture, ou plutôt à notre cabriolet, dans lequel j’étais avec un monsieur et une dame, mari et femme qui m’ont semblé comme il faut, (la dame est assez jolie), et nous avons causé presque tout le temps tous les trois ; nous étions assez mal. Nous avons mangé une très grande quantité de poussière, et nous avons eu extrêmement chaud, et comme nous avons fait d’abord 9 lieues avec les mêmes chevaux, puis 6 lieues avec 2 autres chevaux seulement, bien qu’il y eut 9 personnes, dans la voiture, 2 sur le siège en comptant le cocher et 2 sur l’impériale, tu conçois que nous n’avons pas dû aller vite, aussi ne sommes nous arrivés qu’à 7 heures, ayant mis par conséquent 9 heures à faire 15 lieues presque toujours exposés au soleil. Quelle différence avec la rapidité du voyage d’Orléans, 11 heures nous ayant suffi pour faire le double du chemin. Je suis descendu dans l’hôtel où arrive la diligence, on avait d’abord porté ma malle dans une très vilaine chambre, mais on m’a presque aussitôt mis dans une autre qui est beaucoup mieux et je viens de passer une excellente nuit d’un seul somme dans un très bon lit à ce que je crois. On m’offrait hier dans cet hôtel une voiture pour Angers, mais j’ai craint que ce ne fût encore une guimbarde et j’ai mieux aimé m’aller adresser aux grandes messageries. Au bureau de celles de la rue Notre Dame des Victoires, on m’a presque promis que j’en aurai, tous ces jours-ci il y en a eu (c’est la voiture de Paris que je prendrai au passage).

Je me suis décidé à ne partir que demain jeudi parce que si j’avais quitté Tours aujourd’hui il aurait fallu partir sans voir la ville, puisque c’est à 7 h du matin que passe la diligence. Je serai à Angers demain soir vers les 7 ou 8 heures. Je vais écrire à Auguste[1] pour lui annoncer mon arrivée. Hier au soir pour me reposer après souper, j’ai été au spectacle ; la salle est fort laide, et les auteurs peu remarquables ; j’ai vu ce fameux « Père Goriot »[2], qui est une assez jolie pièce. Je viens de défaire ma malle en partie, pour pouvoir me donner le plaisir de changer de linge.

Je vais aller voir M. Bretonneau[3] qui m’invitera peut-être à dîner, et je vais profiter de ma journée le mieux possible, pour bien voir la ville dont je connais déjà une des choses les plus remarquables, la rue Royale qui est très belle. J’ai aperçu le pont qui a 15 ou 16 arches et qui est par conséquent encore plus long que celui de Blois qui est déjà bien beau.

Papa[4] se met sans doute en route à cette heure-ci. Je souhaite bien que son voyage se fasse le plus heureusement possible et sans trop de fatigue.

Quant tu recevras cette lettre tu auras le bonheur d’avoir Félicité[5] tout à fait auprès de toi ; je suis bien content de sentir que tu auras tout le jour la compagnie de cette bonne sœur dont les malaises j’espère ne la fatiguent pas trop.

Ne sachant pas quand je pourrai finir cette lettre, j’aime mieux me décider à la terminer là.

Adieu donc ma chère maman, crois bien que la vue de tant de choses nouvelles pour moi ne m’empêche pas de songer à vous, et c’est une pensée qui me revient souvent.

Je vous embrasse tous trois[6]

Tout à toi, A. Aug. Duméril.

Mes amitiés je te prie à Eugène et à Alphonse[7], à qui je compte écrire ainsi qu’à Félicité quand je serai à Angers.


Notes

  1. Charles Auguste Duméril, son cousin.
  2. Dès sa parution en volume (1835), le roman de Balzac est l’objet d’adaptations théâtrales sauvages : une comédie en 2 actes mêlés de couplets chantés par Ancelot et Paulin au théâtre du Vaudeville et une comédie-vaudeville en 3 actes mêlés de chants par Jaime, Théaulon et Decomberousse au théâtre des Variétés, en avril 1835, dont rend compte le critique Janin.
  3. Pierre Bretonneau, médecin à Tours, ami d’André Marie Constant Duméril.
  4. André Marie Constant Duméril.
  5. Cousine et belle-sœur d’Auguste, Félicité Duméril est alors enceinte de Caroline.
  6. Alphonsine Delaroche (sa mère), Louis Daniel Constant Duméril (son frère) et Félicité.
  7. Eugène et Alphonse Defrance.

Notice bibliographique

D’après le livre des lettres de Monsieur Auguste Duméril à M. Henri Delaroche (suite), 4ème volume (Voyage à Angers et sur les bords de la Loire, jusqu’à Saint Nazaire, pendant qu’Auguste l’ingénieur était en mission à Angers en 1835), p.993-997

Pour citer cette page

« Mercredi 19 août 1835. Lettre d’Auguste Duméril (Tours) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_19_ao%C3%BBt_1835&oldid=43177 (accédée le 18 décembre 2024).

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