Vendredi 15 novembre 1918

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)

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15 Novembre 18

Mon cher petit,

Poursuis-tu les Boches au-delà de nos frontières ? fais-tu une entrée triomphale en Lorraine ou dans notre chère Alsace ? je le souhaite pour toi, car l’enthousiasme y sera grand lorsque les Alsaciens verront rentrer les troupes françaises et ce serait un beau souvenir pour toi. La victoire a coûté bien cher, mais c’est bien bon de l’avoir.

Ton papa[1] et moi avons été seuls toute la semaine. Quel contraste avec la semaine passée ! nous avons été Mardi à Tours, Michel[2] étant parti Lundi matin pour Guérigny[3]. Nous avons rapporté 4 valises bien chargées, ayant liquidé le coffre. Mais en raison de l’armistice la Société Générale était fermée l’après-midi et peu s’en est fallu que nous soyons forcés de coucher à Tours. De proche en proche, en descendant du Directeur au concierge, en passant par des intermédiaires qu’il fallait attendre ou chercher, ton papa a réussi à se faire ouvrir le coffre, et grâce à un retard du train qui aurait dû partir ½ h plus tôt, nous avons pu le prendre encore.

Michel revient seulement demain soir ; il dîne chez les Corpet, de sorte que nous le verrons que rapidement Dimanche matin.

La femme de Blaud[4] que ses fils (revenus tous deux à l’occasion de la mort de leur père) avait fait interner à l’hôpital de Campagne leur mère, on nous apprend qu’elle (un peu sommeil !) vient de se jeter dans un puits ! L’histoire ne dit pas si elle a, cette fois, réussi à se faire mourir.

Pottier[5] et Alexandre[6] sont en froid et ont échangé, je crois, quelques propos désobligeants. Alexandre est allé s’installer à Brunehautpré avec sa femme[7] et sa fille. C’est plus prudent. J’avoue que j’étais étonnée de n’avoir eu aucune dispute entre les femmes pendant les 2 mois qu’elles ont passés autour du petit fourneau du fournil ou autour de la pompe.

J’espère d’ailleurs que l’on va bientôt nous rendre Brunehautpré. Les Degroote[8] pensaient déjà s’y installer en attendant qu’Hazebrouck soit habitable. Mais il faut avant tout qu’Henri soit démobilisé !

Nous attendons les Colmet Daâge[9] chez nous Lundi.

Mais j’allais oublier de te remercier du beau diplôme qui stigmatise ta citation. C’est impressionnant ! Vas-tu le faire encadrer ? Je n’ai pas encore « Domination[10] » j’avoue que l’Armistice me l’a fait un peu perdre de vue. Je l’aurai après-demain et te l’enverrai tout de suite. Je te fais mes excuses de ce retard.

Ton papa voudrait bien aller à Mulhouse pour voir si ses feuilles de coupons y sont encore… J’aurais bien envie aussi d’aller faire un tour là-bas. J’ai vu hier la sœur de l’École[11] qui est ici avec 100 enfants pour assister au défilé de Demain. Elle m’a dit qu’une équipe de prisonniers boches allait arriver incessamment pour faire un premier déblayage dans nos ruines ; la sœur Morandine[12] de l’hôpital y sera envoyée pour les loger et ravitailler. Elle tient ce renseignement de M. Zwingelstein. Je t’embrasse tendrement, mon cher enfant,

Emy


Notes

  1. Damas Froissart.
  2. Michel Froissart, frère de Louis.
  3. Chez Louis Arène à Guérigny.
  4. Possiblement Marie Victorine Herminie Devienne, veuve de Joseph Blaud, et mère de François Charles Joseph et Jean Joseph Blaud.
  5. Eloi Raymond Pottier, régisseur chez les Froissart, époux d’Aline Besse.
  6. Alexandre Baudens, employé comme chauffeur par Damas Froissart.
  7. Marie Wicart, employée comme cuisinière.
  8. Lucie Froissart, son époux Henri Degroote et leurs enfants Anne Marie, Georges, Geneviève, Odile et Yves Degroote.
  9. Madeleine Froissart, son époux Guy Colmet Daâge et leurs fils Patrice, Bernard et Hubert Colmet Daâge.
  10. Possiblement La Domination, roman d’Anna de Noailles, paru en 1905.
  11. L’école de Vieux-Thann ?
  12. Sœur Morandine : Thérèse Litzer.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 15 novembre 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_15_novembre_1918&oldid=59382 (accédée le 23 décembre 2024).

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