Vendredi 11 avril 1873
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
ce qui veut dire ma petite Marie[1]
Ma grosse chérie, je m'attendais à une lettre de toi, seulement le Vendredi Saint la poste ne se délivre pas le matin, et j'ai donc dû attendre. Je ne m'en plains pas, les prussiens fêtent les Dimanches & les jours Saints. Tu les approuves avec moi j'en suis sûr & ce n'est pas la seule bonne chose à les imiter.
J'ai passé ma journée d'hier à Morschwiller puis à Mulhouse. Bonne-maman[2] va bien, si bien que……. Entre mille tu ne le devinerais pas & pour ne pas te laisser cherchant… Je vais te le dire de suite… si bien… qu'elle se décide à m'accompagner à Paris la semaine prochaine. Voilà j'espère une grande nouvelle. Elle doit avoir écrit à son frère M. Auguste[3] pour lui demander s'il peut la recevoir & comme cela est à peu près certain, vous pouvez à peu près compter la voir dans peu de jours.
Elle désire voir son frère que l'on dit un peu souffrant, mais surtout aussi embrasser ses petites-filles[4]. Elle remettra son voyage à Besançon[5] à un peu plus tard. Il est du reste décidé que tante Auguste[6] viendra passer quelques jours à Morschwiller cet automne.
Adèle[7] a écrit à bonne-maman, elle va mieux ; cependant les forces ne reviennent que bien lentement, dit-elle. Elle connaît le malheur qui nous a frappés[8] & tu sais qu'elle sent vivement les douleurs des autres.
Elle est contente de son nouveau logement, seulement pendant longtemps encore, ils auront des ouvriers dans leur maison, qui, une fois arrangée, sera commode & agréable.
A Mulhouse j'ai rencontré le notaire, que j'avais à voir ; seulement ce que j'avais préparé avec tant d'art & de soins ne vaut pas grand chose. C'est à peu près à recommencer & nous ferons cela ensemble chez lui à Paris.
Je n'avais pas encore vu les Paul, j'y ai passé une heure avant le départ du chemin de fer. Ces amis vont bien, mais ils sont un peu inquiets de l'avenir.
Aller & retour en chemin de fer j'ai voyagé avec M. Marozeau qui m'a parlé de vous & de sa petite fille[9].
J'ai oublié de faire prendre des nouvelles de M. Conraux[10], ne sortant pas du tout je suis comme étranger au pays. Notre pauvre Alsace est si triste & cependant le pays si beau. Tout est vert, sauf le rossberg, qui conserve encore son bonnet blanc penché un peu sur l'oreille Gauche (nord). Dans le paysage cela ne fait pas mal & j'en suis sûr vous aurez bien du plaisir à le revoir ainsi que ses deux petites sœurs sa Rangen & sa Staufen.
Les pelouses du jardin sont à peu près terminées, quelques-unes verdissent déjà & lorsque nous reviendrons tout cela sera bien vert. Nous avons eu un peu de froid, hier une bise du Nord a été des plus désagréable. Aujourd'hui il pleut & le jardinier[11], je vois, en profite pour sortir l'Orangerie, c'est de bonne heure, pourvu qu'il n'ait pas à s'en repentir.
Dans la cour & la fabrique rien de bien important à vous en entretenir. Hier un domestique de Morschwiller est venu avec voiture à 3 chevaux. Il n'est rentré qu'avec 2 chevaux, laissant le 3e malade ici. Dans la journée il est mort. Ce sont de ces petits accidents qu'il faut oublier au plus vite.
L'émigration est toujours très grande à Mulhouse, comme dans toute l'Alsace beaucoup de personnes s'en vont en Amérique & quelques-uns en Algérie.
L'on me dit que M. Jean Dollfus, <le> grand type Alsacien, rentre d'Algérie où il a acheté le terrain suffisant pour créer un village de 50 familles alsaciennes.
C'est une dépense de 300 mille francs au moins aussi sa famille n'est-elle pas trop contente.
Nanette[12] a reçu une lettre de Dellys[13] ; son fils n'est pas trop content là-bas, il regrette toujours son Colmar. Il a vu M. Dollfus qui établit son village à 2 lieues de Dellys, donc dans la grande Kabylie ce qui m'étonne.
C'est faire un noble usage de sa fortune !
Je viens de faire mes comptes avec Nanette qui lorsqu'elles sont seules toutes deux[14], ne dépensent presque rien pour elles. C'est le petit café au lait qui fait les frais des repas. Nanette a bien bonne mine, elle engraisse ainsi que Thérèse. Les deux s'informent toujours de vous & comme Nanette regrettait de ne pas savoir écrire le français pour vous envoyer une lettre ; je l'ai engagée de le faire en Allemand, lui promettant réponse dans la même langue. Je sais par M. Berger que Hélène[15] va bien & que la semaine prochaine elle viendra à Vieux-thann où est déjà Marie sa sœur.
Tu vois que je pense à vous & si je m'arrête c'est bien la taille du papier qui en est cause.
Il ne me reste place que pour embrasser Oncle et tante[16], toutes deux mes chéries ; tante est contente de vous ; continuez ainsi & dans notre malheur grâce à vous je goûterai encore quelques moment heureux.
Léon[17] est ici il reste jusqu'à demain, couche donc ici. Je compte passer mon Dimanche de Pâques à Morschwiller[18].
Vieux-thann. Vendredi Saint au soir. Votre père qui vous aime Charles M
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Charles Auguste Duméril.
- ↑ Marie et Émilie Mertzdorff.
- ↑ A Besançon habitent Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril, et la famille Soleil.
- ↑ Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
- ↑ Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil et fille d’Eugénie Duméril.
- ↑ Le décès d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff.
- ↑ Élisa Marozeau.
- ↑ Le docteur François Joseph Conraux.
- ↑ Édouard Canus.
- ↑ Annette, domestique chez les Mertzdorff.
- ↑ Dellys, en Algérie.
- ↑ Annette et Thérèse Neeff, domestiques chez les Mertzdorff.
- ↑ Hélène Berger, fille de Louis Berger.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Chez Félicité et Louis Daniel Constant Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Vendredi 11 avril 1873. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_11_avril_1873&oldid=61755 (accédée le 15 novembre 2024).
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